2.7.09
Barack Obama et les quatre cavaliers de l'Apocalypse
À Rafah, des militants du Hamas regardent la retransmission télévisée du discours du président Barack Obama prononcéau Caire, le 4 juin, à l'adresse du monde musulman. Crédits photo : AP
De Jérusalem à Kaboul, en passant par Bagdad et Téhéran, le président américain fait face à un «arc de crise» qui évolue dangereusement.
En politique étrangère, Barack Obama est confronté à la chevauchée délétère de quatre cavaliers de l'Apocalypse, tous issus de l'«arc de crise» du Moyen-Orient. Le premier s'appelle Palestine, le second Irak, le troisième Iran, le quatrième Afghanistan. L'homme le plus puissant du monde parviendra-t-il, dans les trois ans qui viennent, à arrêter ces quatre cavaliers qui, pour le moment, vont tous dans la mauvaise direction ? La tâche est ardue ; mais, faute de réussir au moins partiellement, le président américain compromettrait ses chances d'être réélu en novembre 2012.
Sur le conflit israélo-palestinien, qui pourrit depuis soixante ans les relations de l'Occident avec le monde arabo-musulman, Barack Obama se heurte à un double obstacle que ne connaissait pas le dernier occupant démocrate de la Maison-Blanche, Bill Clinton : l'intransigeance du gouvernement israélien et l'absence d'un interlocuteur capable de négocier au nom de tous les Palestiniens. Depuis les élections de 2009, siège à Jérusalem le gouvernement le plus à droite qu'ait connu l'État hébreu depuis sa fondation en 1948. Le récent refus du premier ministre Benyamin Nétanyahou de geler la colonisation israélienne en Cisjordanie occupée a provoqué, le 25 juin dernier, le premier incident diplomatique entre Israël et la nouvelle Administration américaine : George Mitchell, représentant spécial du président américain pour le Proche-Orient, a abruptement annulé la rencontre qu'il devait avoir à Paris avec Nétanyahou. Contraire au droit international, la colonisation en Cisjordanie (territoire occupé par Israël à la faveur de sa victoire militaire de 1967) a pris, au cours des douze dernières années, une telle ampleur qu'elle compromet la viabilité d'un futur État palestinien (qui serait composé de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, soit 22 % du territoire de la Palestine sous le mandat britannique).
Un découpage de Jérusalem à la ruelle près
Deuxième difficulté, les négociateurs américains ont en face d'eux des Palestiniens profondément divisés. En 1993, lors des accords d'Oslo, Yasser Arafat représentait l'intégralité de la nation palestinienne. Aujourd'hui, son successeur à la tête du Fatah, Mahmoud Abbas, ne représente qu'un mouvement qui fut défait par le Hamas islamiste aux seules élections libres qu'ait connues la Palestine. Le Hamas, qui nie toujours le droit à l'existence d'Israël (et avec lequel, en conséquence, l'Amérique refuse de négocier), tient d'une main de fer la bande de Gaza, après avoir tué ou expulsé les dirigeants locaux du Fatah. Ce dernier administre tant bien que mal les villes et les bourgades palestiniennes de Cisjordanie. Malgré d'interminables efforts, la diplomatie égyptienne n'a pas réussi à réconcilier les frères ennemis palestiniens, afin qu'ils constituent un «gouvernement» d'union nationale, avec lequel on pourrait commencer à négocier sérieusement une solution. Il est vrai que le soutien que le Hamas reçoit du Hezbollah libanais et de l'Iran ne pousse pas spécialement le mouvement islamiste palestinien à la tempérance.
Ancien conseiller à la sécurité nationale sous le président George Bush senior, le général Brent Scowcroft a confié au Figaro son espoir que le président Obama «allait prochainement affirmer que le protocole de Taba était la solution choisie par l'Amérique pour régler le conflit». Datant de janvier 2001, les pourparlers israélo-palestiniens de Taba (inaboutis pour cause de défaite électorale du premier ministre Ehoud Barak, battu par Ariel Sharon) avaient dessiné toutes les cartes de partage entre l'État juif et l'État palestinien, y compris celles de Jérusalem, à la ruelle près. Les gros blocs de colonies israéliens étaient intégrés au territoire de l'État hébreu, lequel rétrocédait à l'État palestinien autant de kilomètres carrés. Les plus petites colonies, implantées en profondeur en Cisjordanie, étaient démantelées (aujourd'hui, cela représenterait plus de 80 000 colons à rapatrier par la force).
Au cas où Obama ferait sienne la solution raisonnable de Taba, le Congrès le laissera-t-il exercer une réelle pression sur Israël ? En 1991, le président Bush senior avait forcé les Israéliens à se rendre à la conférence de paix sur le Proche-Orient qu'il avait organisée à Madrid, en menaçant de suspendre les garanties américaines assorties aux emprunts israéliens. Il ne fut pas réélu l'année suivante…
Deuxième cavalier de l'Apocalypse, l'Irak. Mardi 30 juin, tous les soldats américains se sont retirés des villes irakiennes, provoquant la liesse de la population et le soulagement du Pentagone. Mais, au cours de la semaine précédente, une campagne d'attentats, pour la plupart perpétrés dans des quartiers chiites, avait fait plus de 250 victimes. Le premier ministre, Maliki (un chiite), a accusé les groupuscules extrémistes sunnites liés à al-Qaida de chercher à relancer la guerre civile chiites-sunnites des années noires 2006 et 2007. Les unités de l'armée et la police irakiennes feront-elles preuve de l'énergie et de l'impartialité nécessaires pour maintenir l'ordre à Bagdad, Mossoul et Kirkouk ? Rien n'est moins sûr. Jusqu'à présent, elles se sont plutôt fait remarquer par leur corruption et leur sectarisme. Le fait est que la grande majorité des sunnites irakiens ne supportent pas l'idée d'être gouvernés par des chiites. Tous les ingrédients susceptibles d'alimenter une reprise de la guerre civile sont encore là. On ne voit pas les Saoudiens arrêter de financer les achats d'armes par les milices sunnites, ni les pasdarans iraniens suspendre leur soutien militaire aux milices chiites qui leur sont inféodées. Quant aux Kurdes, aujourd'hui totalement autonomes, on ne les voit pas renoncer pacifiquement au contrôle du bassin pétrolier de Kirkouk. Barack Obama a promis un retrait de toutes les troupes américaines d'Irak en 2011. Quel serait pour lui le coût politique de laisser derrière lui un Irak en guerre civile et en voie de décomposition, à l'image du Liban des années 1975-1990 ?
Troisième cavalier de l'Apocalypse, l'Iran est, de loin, le plus redoutable pour Obama. Les stratèges de la Maison-Blanche n'avaient absolument pas prévu la fraude gigantesque d'Ahmadinejad aux élections du 12 juin, que l'historien irano-américain Abbas Milani qualifie de «coup d'État parfaitement planifié pour donner l'intégralité du pouvoir aux pasdarans, avec la caution d'ayatollahs vieillissants». Ils n'avaient pas prévu non plus le sursaut de dignité de la population iranienne et l'émotion suscitée dans le monde entier par ses manifestations. Le durcissement de la dictature islamique en Iran ne laisse rien augurer de bon pour le dialogue que Washington entendait mener à partir de l'automne avec Téhéran sur le dossier nucléaire. Ahmadinejad a déjà dit qu'il «était définitivement clos». On ne voit guère le dictateur, enfermé dans sa paranoïa antioccidentale, revenir sur sa décision.
Accroître les sanctions commerciales ? Les seules sanctions supplémentaires à même d'affaiblir le régime seraient un embargo sur l'essence. L'Iran, dont les raffineries sont désuètes, importe 40 % du carburant qu'il consomme. Mais la mise en place d'un tel embargo international supposerait un blocus naval de l'Iran, apparenté à un acte de guerre. Il nécessiterait un accord préalable du Conseil de sécurité de l'ONU. La Chine et la Russie, qui ont félicité Ahmadinejad pour sa «victoire», s'y opposeraient très probablement.
Obama, qui n'a aucune envie de se mettre une troisième guerre sur les bras, n'a, en vérité, aucun moyen pour arrêter la course de l'Iran à l'arme atomique. Un groupe de trois officiers généraux, tous anciens chefs du Centcom (commandement central américain couvrant toute la zone de l'«arc de crise»), estime que l'Amérique doit se préparer à la perspective inévitable d'un Iran nucléaire. Ils préconisent la négociation d'un grand «deal» avec le régime de Téhéran, qu'ils ne considèrent pas plus dangereux que ne l'étaient, en leur temps, la Russie de Staline ou la Chine de Mao. En échange de son admission au sein du club nucléaire, l'Iran devrait s'engager à réfréner ses protégés du Hezbollah et du Hamas, à respecter la souveraineté de l'Irak, à aider l'Otan à stabiliser l'Afghanistan. Mais peut-on faire confiance à Ahmadinejad pour envisager de passer un tel marché avec lui ?
De l'imagination et de la chance
La situation en Afghanistan, quatrième cavalier de l'Apocalypse, ne cesse de se détériorer. Menée par les talibans, l'insurrection pachtoune est aux portes de Kaboul. Pour tenter de se concilier les «cœurs et les esprits» de la population rurale, les Américains viennent de renoncer officiellement à leur stratégie d'éradication de la culture de l'opium. Tactiquement, ils ont décidé de limiter drastiquement leur recours à l'arme aérienne, responsable de trop nombreuses bavures. Sans plaisir, ils se préparent à la réélection d'Hamid Karzaï, personnalité indécise, dont l'entourage est notoirement corrompu. À l'image des Soviétiques de la fin des années 1980, ils parlent sans cesse de la nécessaire «afghanisation» de la guerre, sans y croire vraiment. Dans ce pays structuré par les tribus et les clans, personne n'a jamais pu construire une armée nationale digne de ce nom. En Afghanistan, les Américains sont aux prises avec une contradiction : ils rêveraient de pouvoir en partir rapidement, mais, à la fois, ils s'accrochent au triptyque classique sécurité-développement-gouvernance, qui exigerait des dizaines d'années de présence pour avoir la moindre chance de succès. La seule bonne nouvelle est venue du Pakistan, dont l'armée, majoritairement pendjabie, semble décidée à reprendre le contrôle des zones tribales pachtounes, qui servaient jusque-là de sanctuaires aux talibans afghans et à leurs comparses arabes d'al-Qaida.
Pour parvenir à dénouer la contradiction afghane, à passer un «deal» fiable avec l'Iran, à se retirer d'Irak sans y laisser le chaos, à pousser Israël à faire des concessions, Obama devra faire preuve d'une imagination stratégique et diplomatique exceptionnelle. Il aura aussi besoin, comme les généraux chers au cœur de Napoléon, de beaucoup de chance.
Renaud Girard
http://www.lefigaro.fr/international/2009/06/30/01003-20090630ARTFIG00631-barack-obama-et-les-quatre-cavaliers-de-l-apocalypse-.php?mode=imprimer