par Daniel Pipes
12 février 2008, version provisoire
Sous les airs faussement flegmatiques de la vie quotidienne, la population britannique est engagée dans une confrontation capitale avec l’Islam. Les changements en cours sont clairement illustrés par trois développements intervenus la semaine passée et qui tous constituent le point culminant de tendances à l’œuvre depuis des années.
Premièrement, le gouvernement britannique décida que les actes de terrorisme perpétrés par des Musulmans au nom de l’Islam sont sans lien avec l’Islam, ou seraient même anti-islamiques. Cette notion a pris racine en 2006, lorsque le Ministère des affaires étrangères, craignant que l’expression de «guerre contre la terreur» ne suscite la colère des Musulmans britanniques, chercha des tournures de langage qui prônent «des valeurs partagées afin de contrer les terroristes». Début 2007, l’Union européenne publia un guide confidentiel bannissant l’usage des termes djihad, islamique et fondamentaliste en relation avec le terrorisme, en faveur d’expressions «non-offensantes». L’été dernier, le Premier ministre Gordon Brown interdit à ses ministres d’utiliser le mot musulman en liaison avec le terrorisme. En janvier, la ministre de l’Intérieur Jacqui Smith alla encore plus loin en qualifiant le terrorisme d’«anti-islamique». Et la semaine dernière, le Ministère de l’Intérieur finissait d’embrouiller totalement les choses en publiant un guide de conversation sur le contre-terrorisme enjoignant les fonctionnaires à ne parler que d’extrémisme violent et de meurtriers criminels, et non d’extrémisme islamique et de fondamentalistes djihadistes.
Deuxièmement, et cette fois aussi après plusieurs années d’évolution, le gouvernement britannique reconnaît maintenant la polygamie. Il a en effet changé les dispositions de sa loi de 2003 sur l’exonération fiscale lors de «mariages polygames»: auparavant, une femme seulement pouvait faire un héritage exempt de droits de succession lors du décès de son mari; cette loi permet à présent à plusieurs épouses d’hériter du même mari sans taxation fiscale, à condition que leur mariage ait été contracté dans un pays où la polygamie est légale, comme au Nigeria, au Pakistan ou en Inde. Dans un domaine apparenté, le Département du travail et des pensions a commencé à attribuer des soutiens financiers à des harems sous forme de prestations telles que des indemnités de chômage, des allocations de logement et des abattements fiscaux. La semaine passée, on a pu apprendre qu’à la suite d’une année d’examen, quatre départements gouvernementaux (Travail et pensions, Finances, Impôts et douanes, Intérieur) avaient conclu qu’une reconnaissance formelle de la polygamie était la «meilleure solution possible» pour le gouvernement de Sa Majesté.
Troisièmement, l’archevêque de Canterbury, Rowan Williams, approuva l’application de certaines parties de la loi islamique (la charia) en Grande-Bretagne. Il expliqua qu’il lui «semblait inévitable» d’adopter ses éléments civils car tous les Musulmans britanniques ne se sentent pas liés au système légal existant et l’application de la charia favoriserait leur cohésion sociale. Si les Musulmans peuvent faire appel à une cour civile islamique, ils n’ont pas à affronter «le dur choix entre la loyauté culturelle et la loyauté à l’État». Et Williams d’avertir que de continuer d’insister sur le «monopole légal» du droit coutumier britannique plutôt que d’autoriser la charia ferait peser «un certain danger» sur le pays.
Le Premier ministre Brown rejeta aussitôt sèchement la suggestion de Williams: son ministère déclara que la charia «ne peut pas être invoquée pour justifier des violations de la loi anglaise, et les principes de la charia ne sauraient être utilisés devant une cour civile. (…) le Premier ministre estime que dans ce pays, la loi britannique doit s’appliquer, en fonction de valeurs britanniques.» Les critiques contre Williams fusèrent aussi de l’ensemble de l’éventail politique – Sayeeda Warsi, la ministre Tory (musulmane) de la cohésion sociale du cabinet fantôme britannique; Nick Clegg, leader des libéraux démocrates; et Gerald Batten, du parti indépendantiste du Royaume-Uni. Des groupes tant laïques que chrétiens s’opposèrent à Williams. Trevor Phillips, par exemple, le président de la commission pour l’égalité. L’Église anglicane d’Australie dénonça sa proposition, de même que des membres éminents de sa propre église, y compris son prédécesseur, Lord Carey. Melanie Phillips qualifia son intention d’«extraordinairement confuse, absurde et incorrecte». L’éditorial du quotidien Sun avança qu’«il est facile de dénigrer l’archevêque de Canterbury Rowan Williams en le traitant de vieil idiot. Mais en fait, il constitue une grave menace pour notre nation.» Et de conclure sur un ton caustique que «l’archevêque de Canterbury s’est trompé d’église».
Bien qu’il ait été largement critiqué (et qu’il risque de perdre son emploi), Williams pourrait fort bien avoir raison en ce qui concerne la progression inéluctable de la charia, car celle-ci est déjà fermement ancrée en Occident. Un ministre de la Justice hollandais a ainsi annoncé que «si les deux tiers de la population hollandaise se prononcent demain en faveur de l’introduction de la charia, ce devrait être possible». Un juge allemand s’est référé au Coran dans une affaire routinière de divorce. Des tribunaux tribaux somaliens existent déjà en Grande-Bretagne.
Ces développements indiquent que l’apaisement britannique en regard de la guerre contre la terreur, de la nature de la famille et de l’État de droit s’inscrit dans une tendance plus générale. Or cette tendance constitue un défi plus grave encore que la menace sécuritaire générée par la violence islamiste – elle pourrait modifier la nature même de la vie occidentale.
February 12th 2008 Posted to Gauche, Islam