20.3.07

LES YEUX DE SAMIRA

Samira voulait divorcer. Elle ne supportait plus les coups, les violences et les insultes. Elle ne s’imaginait pas vivre avec un compagnon qui la considérait comme un simple bétail à cornaquer, un champ qu’on laboure et ensemence, ainsi qu’il est si poétiquement dit dans le Coran.

Pourtant, Samira a cédé à la pression de sa famille et à la riante coutume du mariage forcé. Quittant la France pour un peu de temps, elle est partie au Maroc pour la cérémonie.

La pression sociale sur les jeunes femmes d’origine maghrébine est intense. Les parents, qui ne voient là que la perpétuation d’une coutume dont ils ont eux-mêmes « bénéficié », s’accrochent à ces traditions d’un autre siècle ; souvent par réflexe identitaire et parce que la France n’a pas su ni voulu leur enseigner les rudiments de la vie dans une société plurielle.

Les frères des jeunes femmes, eux, aiment à se vanter d’avoir des soeurs « saintes et pures » mais se réservent le droit d’aller, eux seuls, vaquer à d’autres occupations, « d’autres trous », disent-ils de manière imagée. Ils s’autorisent – grand bien leur fasse – ce qu’ils interdisent aux femmes.

Les hommes peuvent se permettre à peu près tout.

Samira, si elle a un jour un enfant, ne pourra pas le voir grandir. Elle devra se contenter d’épouser de la main les contours de son visage pour tenter de deviner la beauté de ses traits.

Aujourd’hui et demain, Samira est à la cour d’Assises du Gard. Au banc des accusés, celui qu’elle a épousé au Maroc quelques années avant et qui l’avait violenté lors de la nuit de noces en la battant, au point qu’elle a du finir la nuit à l’hôpital de Meknès.

Il est accusé "d’actes de torture et de barbarie ayant entraîné une mutilation et une infirmité permanente".

Après son mariage, Samira fuit le Maroc, son époux, sa belle-famille qui la maltraite et revient en France, à Nîmes dans le quartier de Pissevin. Mais son compagnon vient la rejoindre et l’enfer recommence. Coups, blessures, violences.

Elle demande le divorce mais cela n’a pas l’heur de plaire au petit mâle, au caractère fier et ombrageux. Depuis des générations, ses traditions religieuses lui enseignent que l’homme est tout puissant.

Bien entendu, les théologiens musulmans n’ont pas eu le temps de lui préciser qu’il lui fallait taper du plat de la main, sans faire de marques. Il n’a pas eu l’occasion de suivre les enseignements de Hani Ramadan à Genève et n’a jamais entendu parler du moratoire réclamé du bout des lèvres par le frère de celui-ci.

Alors, il frappe et se sent outré lorsque sa femme, sa chose, son objet, veut se séparer de lui. Outré et vexé ! Car chez les petits coqs, il passe alors pour quelqu’un qui ne sait pas se faire respecter.

Le 2 juillet 2003, il entre dans l’appartement que sa compagne est en train de nettoyer pour l’état des lieux. Il frappe à nouveau et, avec son index, lui arrache les yeux.

Samira hurle de douleur, sort de l’immeuble malgré les coups, se cogne aux murs en hurlant « rendez-moi mes yeux ! ».

Le quartier de Pissevin, à Nimes, a la réputation d’être un haut lieu de convivialité, de métissage, de brassage culturel, de lien social. Son marché, appelé le Souk de Nîmes, rappelle, chaque mercredi, et de façon joyeuse, les attaches indéfectibles qu’ont tissé Nîmes et le Maghreb à travers l’histoire. Cela, c’est pour les manuels que l’on distribue aux touristes.

Mais Samira ne pourra plus revoir les étals de safran et de poivrons, de cumin et de tomates. Samira est désormais aveugle.

Dans le quartier de Pissevin, c’est le silence.

Silence, comme à Illkirch ou une femme vient d’être brûlée vive par son compagnon jaloux qui voulait la purifier. Ce silence meurtrier imposé par le politiquement correct.

Ce silence meurtrier à nous imposé, parce qu’il ne faudrait pas faire d’amalgame ; parce que critiquer l’islam serait faire preuve de racisme, parce que lutter contre ceux qui transforment la femme en objet de plaisir ou de convoitise et en sujet de servitude, reviendrait à jeter l’opprobre sur une religion.

Silence sur ce procès parce que les analystes politiques, dont la seule audace est de traverser la Seine pour se rendre au studio télé, ont décrété qu’en 2002, l’insécurité avait hissé Le Pen au second tour et qu'il ne fallait pas recommencer cette fois-ci.

Les barbares

Lâches, veules, couards, ces petits pantins, égocentrés dans leurs certitudes apprises, sont les mêmes qui guettent à plusieurs le Juif à la sortie de son école, quand ce n’est pas dans la cour même de l’établissement.

Ce sont les mêmes, issus de la même idéologie, qui ne ressentent aucune culpabilité, aucune once de remord à avoir torturé Ilan durant 3 semaines pour finalement le brûler.

Ce sont les mêmes qui, avec l’approbation tacite des journaux qui n’en pipent mot, énuclent, là aussi, et égorgent un jeune homme, Sébastien Selam. C'était en 2004.

Pourquoi se gêneraient-ils, du reste ? L’assassin de Sébastien est aujourd’hui libre. Il continue à roder dans le quartier, autour de l'entourage terrorisé de sa victime.

Les autorités n’ont pas donné suite à la demande de la famille de la reloger. Pas un maire, pas un officier de police, pas un juge n’a ordonné la moindre protection. Toutes les demandes de relogement hors de la portée de l'assassin ont échouées. Sébastien est mort. Son assassin est en vie, et en liberté. Nul ne s'en offusque.

L’époux de Samira, lui, est devant ses juges. Quelle sera la sanction ? Samira a eu le courage d’aller jusqu’au bout de sa plainte.

Mais, pour une qui se bat, combien ne disent rien ? Pour une qui voit son combat reconnu, combien vivent dans la terreur de l’autre coup, du poing qui viendra frapper, du couteau qui viendra égorger ?

Samira ne verra plus jamais, et l’on n’a même pas la maigre consolation de se dire qu’elle ne verra pas l’horreur que continueront à déclencher ces traditions meurtrières.

Car, même aveugle, elle reste femme, aux yeux de ces barbares…

Femme, donc coupable, forcément coupable, pour plagier l’expression désormais fameuse de l'apologiste sénile des infanticides ruraux*, en son temps coqueluche des mêmes médias qui se taisent actuellement.

Paul Lémand © Primo, le 19 février 2007

* Pierre Desproges, à propos de Marguerite Duras


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Auteur : Paul Lémand
Date d'enregistrement : 20-03-2007