Israël fuit la victoire
par Daniel Pipes
New York Sun
28 mars 2006
Version originale anglaise: Israel Shuns Victory
Adaptation française: Alain Jean-Mairet
À l'heure où les Israéliens se rendent aux urnes, aucun des principaux partis ne propose de gagner la guerre contre les Arabes palestiniens. C'est une lacune frappante et dangereuse.
Commençons par poser le décor. La chronique historique montre que les guerres sont gagnées lorsque l'un des camps se sent contraint de renoncer à ses objectifs. Cela est simplement logique, car aussi longtemps que les deux camps espèrent réaliser leurs ambitions guerrières, les combats se poursuivent ou peuvent reprendre. Par exemple, bien qu'ils aient été vaincus à l'issue de la Première Guerre mondiale, les Allemands n'avaient pas abandonné leur objectif de domination européenne et ils se tournèrent bientôt vers Hitler pour faire une nouvelle tentative. La guerre de Corée se termina il y a plus d'un demi-siècle, mais ni la Corée du Nord, ni la Corée du Sud n'ont renoncé à leurs aspirations, de sorte que la situation peut s'enflammer à tout moment. De même, à travers les nombreuses séries de négociations qui accompagnèrent le conflit israélo-arabe (guerres en 1948–49, 1956, 1967, 1973 et 1982), les deux camps maintinrent leurs objectifs.
Ces objectifs sont simples, statiques et binaires. Les Arabes luttent pour éliminer Israël; Israël lutte pour se faire accepter par ses voisins. L'intention des premiers est offensive, celle du second est défensive. Les premiers sont barbares; le second est civilisé. Pendant près de 60 ans, les rejectionnistes arabes ont cherché à éradiquer Israël en usant de toute une série de stratégies: saper sa légitimité par la propagande, compromettre son économie par des boycotts commerciaux, démoraliser sa population par le terrorisme et menacer d'user d'armes de destruction massive.
Bien que l'effort arabe ait été patient, intense et résolu, il a échoué. Les Israéliens ont édifié un pays puissant, riche et moderne, mais qui reste largement rejeté par les Arabes. Ce bilan mitigé a engendré deux développements politiques: un sentiment de confiance parmi les Israéliens politiquement modérés; et un sentiment de culpabilité mêlée d'autocritique parmi ses éléments de gauche. Très peu d'Israéliens se soucient encore de cette tâche inachevée qui consiste à convaincre les Arabes d'accepter la présence permanente de l'État juif. On peut en parler comme de l'objectif stratégique invisible.
Ainsi, plutôt que d'aspirer à la victoire, les Israéliens ont développé une longue liste d'approches permettant de gérer le conflit. Par exemple:
Unilatéralisme (construction d'une clôture, retraits partiels): la politique actuelle, adoptée par le premier ministre Sharon, par Ehud Olmert et par le parti Kadima.
Droit de superficie sur 99 ans pour le terrain des villes israéliennes en Cisjordanie: parti Travailliste d'Amir Peretz.
Développement économique arabe palestinien: Shimon Peres.
Compromis territorial: le principe des négociations d'Oslo initié par Yitzhak Rabin.
Financement externe pour les Arabes palestiniens (sur le modèle du plan Marshall): député Henry Hyde.
Retrait jusqu'aux frontières de 1967: extrême-gauche israélienne.
Incitation des Arabes palestiniens à développer un bon gouvernement: Natan Sharansky (et le président Bush).
Affirmation selon laquelle la Jordanie est la Palestine: droite israélienne.
Transfert des Arabes palestiniens hors de Cisjordanie: extrême-droite israélienne.
Ces nombreuses approches diffèrent largement dans leur esprit et s'excluent mutuellement. Mais elles partagent un élément déterminant. Toutes cherchent à gérer le conflit sans le résoudre. Toutes ignorent la nécessité de vaincre le rejectionnisme palestinien. Toutes cherchent à faire l'impasse devant la guerre au lieu de la gagner.
Pour un observateur extérieur espérant voir Israël accepté par les Arabes aussi tôt que possible, cette manière d'éviter la seule stratégie gagnante cause une certaine frustration, et d'autant plus profonde lorsqu'on se remémore à quel point les Israéliens comprenaient brillamment leurs objectifs stratégiques autrefois.
Heureusement, au moins un politicien israélien d'envergure plaide pour la victoire d'Israël contre les Arabes palestiniens. Uzi Landau relève simplement que «lorsque vous êtes en guerre, vous voulez gagner la guerre». Il espérait mener le Likoud dans le cadre des élections actuelles, mais il ne parvint pas à réunir une quelconque majorité dans son parti et n'est classé que quatorzième sur la liste de cette semaine, soit pas même de quoi lui assurer un siège au Parlement. On s'attend en outre à voir le Likoud lui-même obtenir moins de 15% des voix, ce qui montre à quel point l'idée de gagner la guerre est impopulaire parmi les Israéliens.
Et ils continuent d'expérimenter, à force de compromis, d'unilatéralisme, d'enrichissement de leurs ennemis et autres intrigues. Mais comme l'observait Douglas MacArthur, «dans la guerre, rien ne remplace la victoire». La diplomatie d'Oslo se solda par un échec lamentable et ce sera le cas également de tous les projets qui souhaitent éviter le dur labeur qu'impose la victoire. Les Israéliens doivent se préparer à reprendre le long, difficile, amer et coûteux effort nécessaire pour convaincre les Palestiniens, et d'autres, que leur rêve d'éliminer Israël est mort.
Si les Israéliens n'y parviennent pas, c'est Israël qui mourra.
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