30.3.06

LA NOUVELLE POLITIQUE ISRAELIENNE

L'Express du 30/03/2006
Interview
«La génération des généraux s'est effacée»

propos recueillis par Christian Makarian et Pierre Ganz (RFI) dans le cadre de l'émission RFI-L'Express L'Invité de la semaine

Freddy Eytan, ancien journaliste et ex-diplomate israélien, analyse avec L'Express la situation politique en Israël après les élections générales

Les Israéliens ont-ils perçu les élections du 28 mars comme un vote pour ou contre Ariel Sharon?

La stature de Sharon a pesé sur les élections, mais son coma est irréversible. En revanche, le sharonisme représente toujours l'Israël de demain dans la mesure où Sharon a essayé, sa vie durant, de définir les frontières futures de notre Etat. Kadima a prouvé que la majorité des Israéliens étaient favorables à la paix en échange de territoires. De ce point de vue, Sharon n'a jamais quitté la scène politique.

«Nous avons commis l'erreur, à Oslo, de ne pas négocier aussi avec le Hamas»

Néanmoins, tout semble avoir changé après ce 28 mars. Pourquoi?

Parce qu'on assiste à l'effacement de la génération des généraux, et de celle qui a connu la Shoah. Les militaires ont évolué vers la modération en découvrant concrètement qu'on ne pouvait pas aboutir à une solution sans négocier avec les Palestiniens et sans faire de concessions. Ce qui ouvre le champ aux pragmatiques, à ceux qui ont laissé les armes au vestiaire. D'une certaine manière, c'est la première fois dans l'histoire d'Israël que les civils, quel que soit leur bord politique, ont acquis autant de poids. Les diplomates, mais aussi les technocrates, ont pris le pas sur les soldats. Ce qui va inévitablement entraîner de grands changements. C'est une phase de maturité qui coïncide avec les 58 ans d'Israël.

Le gouvernement Haniyeh vient d'être investi à Ramallah. Que pense l'opinion israélienne après quelques semaines de gestion Hamas?

Le fait que le Hamas a refusé de modifier sa charte prévoyant la destruction de l'Etat d'Israël a indiscutablement pesé sur le résultat du scrutin. Cela dit, le Hamas joue très bien avec sa propre opinion comme avec Israël. Depuis les élections palestiniennes, il n'y a pas eu d'attentat majeur revendiqué par le Hamas.

Iriez-vous jusqu'à dire, comme certains intellectuels israéliens, qu'Israël se trouve désormais avec un meilleur partenaire du côté palestinien?

Au moins le masque est tombé, et l'on est mieux informé des intentions de l'adversaire. Avec Arafat et le Fatah, on ne savait pas vraiment comment gérer. Tandis qu'avec le Hamas, dont on connaît fort bien le programme, on se trouve peut-être dans le cas - classique - d'un mouvement terroriste qui a intérêt à négocier dès lors qu'il a accédé au pouvoir. Cela dit, cette hypothèse-là recouvre un aspect purement tactique et demande à ce titre plusieurs mois avant d'aboutir.

Peut-on imaginer que le Hamas, à l'instar de l'OLP naguère, finisse par reconnaître l'Etat d'Israël?

Et quelle sera l'attitude d'Israël dans ce cas? Si le Hamas change de position dans les mois à venir, le gouvernement israélien se trouvera dans l'obligation de négocier directement. De mon point de vue, nous avons commis l'erreur, à Oslo, de ne pas négocier aussi avec le Hamas, qui représentait également les Palestiniens.

Pensez-vous que le Hamas soit prêt à évoluer sur la question cruciale de Jérusalem et des Territoires?

Il faut faire, de part et d'autre, des concessions douloureuses. Concernant Jérusalem, il existe 77 solutions possibles. A mon sens, on pourrait donner aux Palestiniens le droit de gérer eux-mêmes le quartier arabe et ses 140 000 habitants, à l'est de la ville. Et il conviendrait de laisser aux Juifs ce qui leur appartient.

La question sociale, qui monte en Israël, n'est-elle pas la grande nouveauté de ce scrutin du 28 mars?

Il y a actuellement 1 million d'Israéliens qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté. C'est un défi pour toute la classe politique, notamment pour les travaillistes. De même que le monde a changé, Israël a changé, et la mondialisation y exerce ses effets comme ailleurs. Actuellement, 18 familles dominent l'économie israélienne. La société devient inégalitaire, avec des riches de plus en plus riches et des pauvres de plus en plus pauvres. Ce qui rend vital un compromis durable avec les Palestiniens.