Meurtre d'Ilan Halimi : le récit des geôliers
LE MONDE 21.03.06 11h16 • Mis à jour le 21.03.06 11h16
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ls s'appellent Jérôme Ribeiro, dit "coup de tête", Samir Ait Abdelmalek, alias "Smiler", ou "agent Murphy", comme dans le film Matrix, Fabrice Polygone, Yahia Kaba et Jean-Christophe G., le seul mineur du groupe, surnommé "Zigo". Ils ont entre 17 et 27 ans. Geôliers d'occasion, recrutés par Youssouf Fofana, 25 ans, – "le boss" – au hasard des cités de Bagneux. "Youssouf Fofana fait peur, très peur, a dit Jérôme Ribeiro aux policiers, on sait tous dans la cité qu'il ne faut pas l'enculer, sinon c'est chaud pour nous." Un "grand" de la cité, ancien taulard qui les recrute à la mi-janvier pour quelques milliers d'euros. "Il m'a demandé si je voulais me faire beaucoup d'argent, j'ai répondu oui, a expliqué Jérôme Ribeiro. Il m'a indiqué qu'il suffirait de garder trois jours un homme." Cet homme, c'est Ilan Halimi ; sa détention durera en réalité trois semaines, du 21 janvier au 13 février, jour où le jeune homme a été retrouvé à l'agonie. L'autopsie a conclu à un décès "consécutif à des brûlures étendues associées à des plaies cervicales par arme blanche". Elle a également révélé la présence de multiples ecchymoses et éraflures.
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"TRACES DE BRÛLURES"
La première semaine de séquestration se passe dans un appartement prêté par le concierge. Youssouf Fofana a installé le décor : des draps "de couleurs à motifs orange, pour masquer les murs". Menotté, habillé d'un peignoir acheté chez Auchan, nourri de protéines liquides à l'aide d'une paille, ses geôliers autorisent Ilan Halimi à fumer un joint, entre deux gifles. Pour entrer dans l'appartement, un code : deux coups puis un autre, frappés sur la porte. Puis Ilan Halimi est transporté dans une salle de la chaufferie, sur les épaules du "boss". Son sort ne varie guère. "Il pissait dans une bouteille et faisait caca dans un sac en plastique", a indiqué un geôlier, Yahia Kaba.
Les violences sont régulières. "Dès le premier jour, j'ai pu constater que l'otage présentait des traces de brûlures par mégots au niveau des côtes et du dos", a affirmé Cédric Birot Saint-Yves, autre geôlier. Pour Jean-Christophe G., les coups auraient débuté après un premier échec de remise de rançon. Selon lui, Ilan Halimi "a commencé à réclamer souvent des cigarettes. Tous les quatre, Nabil, Yahia, Jérôme et moi, nous lui avons mis des tartes quand il gémissait pour avoir des cigarettes. (…) Il m'est arrivé aussi de lui mettre de petits coups de balai sur les jambes, cuisses ou mollets." Mais les épisodes les plus signifiants ont eu lieu avant de prendre des photos destinées à effrayer la famille de la victime : simulacre de sodomie avec un manche à balai, coup de cutter à la face infligé par Samir Ait Abdelmalek.
A la fin de la détention, les rotations sont de plus en plus laborieuses chez les geôliers. Certains se cherchent des excuses pour raccourcir leur tour de garde. L'impatience règne. Une réunion de crise est organisée dans le local, deux jours avant la mort d'Ilan Halimi . "La conversation s'est tenue devant l'otage, a raconté Cédric Birot Saint-Yves. Le boss nous a réunis afin de savoir qui voulait ou ne voulait pas continuer. (…) Nous craignions la présence de la police dans le secteur et nous pensions que nous n'aurions pas d'argent." Nabil Moustafa confirme cet épisode : "On a dit qu'on en avait assez. Le boss a réfléchi et il a décidé qu'il n'y avait plus que ce soir-là, que l'autre devait dégager." Mais le calvaire d'Ilan Halimi n'est pas fini. Youssouf Fofana aurait continué à entretenir l'espoir d'une rançon. "Il voulait obtenir de l'otage le numéro d'un membre de sa famille qui n'aurait pas encore été contacté", a affirmé Fabrice Polygone, qui dit être sorti afin de faire le guet. Les autres auraient alors infligé des violences à Ilan Halimi. A son retour, il l'aurait trouvé "dos contre le mur, jambes un peu repliées vers le torse. Il était en peignoir. J'ai vu nettement des traces d'éraflures ou de frottement sur le côté gauche de son torse, un peu partout, vers les côtes, le cou, la poitrine. Ça ne saignait pas." Le chef de la bande aurait encore donné des gifles à l'otage ; il portait "des gants avec tissu sur le dos de la main et un simili-cuir sur le plat", précise Fabrice Polygone. Il est minuit passé, ce lundi 13 février. Il faut préparer Halimi avant sa remise en liberté, pendant que Youssouf Fofana va chercher une voiture. "Lorsque j'ai soulevé sa couverture, j'ai vu des taches de sang sur son pyjama avec des trous, au niveau des jambes et du ventre, a détaillé Nabil Moustafa. Quand on l'a déshabillé, j'ai vu des plaques rouges sur son ventre (…), ça ressemblait un peu à des brûlures." Avant de le remettre à leur chef, les geôliers doivent nettoyer toute trace compromettante sur leur otage. "Nabil, Zigo et moi, on devait le laver avec de l'eau, du gel douche qui se trouvait sur place et des gants de toilette, a expliqué Fabrice Polygone. Je lui ai coupé les cheveux. Zigo et Nabil ont trouvé que ce n'était pas assez court et ils ont essayé de le lui raser les cheveux avec un rasoir mécanique à deux lames, noir ou bleu." Puis Ilan Halimi est séché et enveloppé dans un drap violet, que Jean-Christophe G. avait acheté au supermarché du coin.
"DROIT DANS LES YEUX"
Plus tard dans la nuit, Youssouf Fofana arrive. "Une fois dans le local, Youssouf nous a dit qu'il allait partir avec l'otage", a déclaré Fabrice Polygone. Les geôliers l'aident à conduire Ilan Halimi jusqu'à une voiture, le hissent à l'intérieur. Après le départ du chef, ils nettoient les lieux. "J'ai jeté des sacs de courses, des bouteilles, des sachets de biscuits, des croissants", s'est souvenu Cédric Birot Saint-Yves.
Pourquoi Ilan Halimi n'a-t-il pas été relâché ? Samir Ait Abdelmalek a dit qu'il avait croisé Youssouf Fofana au lendemain du départ d'Ilan Halimi de la cave. En tête-à-tête, le chef du gang lui aurait raconté qu'il avait déposé l'otage, la veille, dans les Yvelines, à bord d'une voiture volée, puis serait revenu auprès de lui. "A ce moment, Ilan avait réussi à enlever son bandage des yeux, a expliqué Samir Ait Abdelmalek. Il avait donc vu Ilan le regarder droit dans les yeux et du coup Youssouf avec un couteau lui a mis un coup dans la gorge vers la carotide puis un coup de l'autre côté de la gorge. Ensuite il a essayé de lui couper le bas de la nuque. Puis il lui a mis un coup de couteau dans le flanc. Il avait sûrement dû revenir avec un bidon d'essence car il m'a dit qu'il avait utilisé un bidon pour asperger Ilan avec ce combustible et l'a incendié sur place." Interrogé le 23 février à Abidjan, Youssouf Fofana a nié toute responsabilité. Il a affirmé qu'il a conduit son otage derrière le supermarché Cora de Bagneux, pour le confier à un dénommé Marc, dit "Crim" ou "Craps", et à un autre homme, qui l'ont enfermé dans le coffre de leur voiture. Le lendemain seulement, Fofana a dit avoir appris que "Crim et son copain s'étaient rendus à Sainte-Geneviève-des Bois, qu'ils avaient déposé le corps dans un petit bois et qu'ils avaient versé de l'acide sur l'ensemble du corps, qu'ils y avaient mis le feu et qu'une boule de feu s'était formée".
Gérard Davet et Piotr Smolar