Opium, charia et guérilla
Dans le Helmand, à la frontière du Pakistan, les talibans reconquièrent du terrain. Des soldats français s’y battent et meurent parfois, comme Loïc Le Page. Reportage dans cette province de tous les dangers.
Gereshk, bourg poussiéreux situé entre Hérat et Kandahar, dans le sud de l’Afghanistan. Une vieille forteresse domine le bazar endormi. Dans les rues, quelques turbans noirs. Ils lancent des regards inquisiteurs aux deux journalistes étrangers. Avertissement du chef de la police : « Vous devez immédiatement partir. Vous n’êtes pas en sécurité ici. » Ces “turbans noirs” sont des talibans, ceux qui assassinent les représentants du gouvernement, les enseignants et les étudiants. Ils brûlent aussi les écoles.
Dans la province du Helmand, région frontalière avec le Pakistan et voisine de l’Iran, l’absence des forces de sécurité a permis aux fidèles du mollah Omar de se réimplanter, quatre ans après l’arrivée des soldats américains en Afghanistan et à quelques semaines de l’arrivée de 3 000 soldats d’élite britanniques, épaulés par 3 500 militaires afghans qui auront pour mission de reprendre la province en main.
Alliés aux trafiquants d’opium, les talibans tiennent la plupart des onze districts. Ils encouragent les fermiers à planter le pavot et les populations à se remettre au régime de la charia. Le Helmand est devenu en deux ans la principale zone productrice de pavot du pays. Elle fournit près de la moitié des quantités de l’opium afghan, qui représente 80 % de la production mondiale.
« Les talibans se sont associés aux trafiquants de drogue, explique Sarzar Mohamed, responsable provincial de l’organisation internationale Mercy Corps. Ils les protègent, incitent les fermiers à planter le pavot et transforment ces régions en zones de non-droit. En échange, les trafiquants les arment et leur assurent le transit entre l’Afghanistan et le Pakistan. » Cet homme corpulent au regard doux essaie de mettre en place des programmes de substitution au pavot : « Pas la peine d’y penser pour le moment. C’était beaucoup plus simple après 2001, lorsque les talibans étaient défaits. Mais ils se sont réorganisés et leur technique de harcèlement nous empêche de travailler. Nous attendons des jours meilleurs. »
L’un des responsables de la police de Gereshk confirme qu’il est impossible d’aller dans les villages : « Trop dangereux, même avec une escorte. Nous n’y allons qu’en convoi, quand il y a vraiment un problème. Sinon, nous restons dans notre camp. Nous ne tenons pas à nous faire tuer. » Bombes télécommandées, embuscades, véhicules piégés : les fondamentalistes afghans, épaulés par des éléments d’Al-Qaïda, ont adopté les méthodes terroristes irakiennes. Depuis octobre 2005, plus de vingt attentats ont coûté la vie à plusieurs dizaines de personnes, essentiellement des soldats et des policiers.
« Emmenée par les États-Unis, la Coalition ne parvient pas, malgré un arsenal impressionnant et une incontestable supériorité militaire, à venir à bout de quelques milliers de rebelles qui sont loin d’avoir les mêmes atouts humains et technologiques, confie un expert en poste au Pakistan voisin. On se demande s’il y a une réelle volonté, au Pakistan et en Afghanistan, d’en finir vraiment avec cette guérilla. »
À Lashkar Gah, capitale de la province du Helmand, on ne se pose pas la question. Retranché dans sa demeure fortifiée, protégé par une trentaine de militaires solidement équipés, le gouverneur annonce son programme : « Nous allons éradiquer tout le pavot du Helmand en deux mois et en finir enfin avec la violence. Nous reprendrons le contrôle de toute la région. »
Les talibans protègent la production d’opium.
Les producteurs de pavot, souvent très pauvres, rétorquent qu’ils se battront jusqu’au bout pour défendre leurs récoltes : « Il fallait parler éradication avant que nous plantions et nous proposer des alternatives. Nous avons juste besoin de travailler pour nourrir nos familles. »
Hadji Mohammed Qasem, le chef du district, ne ferme plus l’œil : « Je suis obligé d’avoir des armes dans mon bureau et de dormir dans un endroit différent chaque soir. » L’un de ses gardes du corps montre un sac rempli de roquettes. Hadji Mohammed ajoute : « Je ne me déplace plus sans cet arsenal, prêt à défendre ma vie. La situation se dégrade. Les gens sont en colère. Ils accusent le gouvernement de ne rien faire alors que les talibans promettent de les défendre contre l’éradication de l’opium. Nous ne pouvons défendre personne, juste penser à nous protéger. »
Quelques jours plus tard, son collègue chargé du renseignement était tué avec trois de ses gardes du corps par l’explosion d’une bombe sur une route empruntée quotidiennement par les milices gouvernementales. L’attentat a été revendiqué par les talibans. Ils ont annoncé une très violente offensive pour les mois à venir.
Eric de Lavarène
© Copyright Valeurs Actuelles 2006 Groupe Valmonde - Tous droits réservés.