1.5.06

LE STATUT DE FATIMA

Dépêches spéciales - No. 1144
Mai 1, 2006 No.1144

Une réformatrice yéménite invite les musulmanes à retirer le voile

Dr Elham Manea, journaliste réformatrice yéménite dont les articles paraissent régulièrement sur le site réformateur www.metransparent.com, défend l'amélioration du statut de la femme, la liberté de pensée, une approche rationnelle des sources religieuses et le droit de chacun à décider librement de son avenir. Dans un récent article, Manea encourage les musulmanes à réfléchir par elles-mêmes et à décider librement de porter, ou non, le voile.
Voici quelques extraits de l'article : (1)

Retire ton voile, ma sœur

Je t'invite, ma sœur musulmane, à retirer le voile. Ceci est un appel honnête, sans intention de te déshonorer ou d'augmenter ta lassitude. Je t'invite à réfléchir par toi-même en te servant de ta propre intelligence.

Toi et ton intelligence suffisent. Il n'est pas nécessaire d'aller fouiller dans les livres et l'histoire, ni de consulter les opinions des commentateurs (…) Je te demande d'écouter mes paroles et de les juger sans présager de mes intentions. Et après cela, tu seras libre. Libre de choisir, de [façonner] ton destin et d'agir comme tu le souhaites. Tu es ton propre maître. Toi seule. Nul autre que toi n'est responsable de ta personne. Après [avoir lu mes paroles], porte le voile ou retire-le ; je respecterai ta décision. En définitive, c'est toi qui décides…

Les femmes ont commencé à porter le voile dans le monde musulman avec la Révolution islamique d'Iran, qui en a fait une obligation, et après que les dignitaires religieux eurent réussi à prendre le dessus sur les classes moyennes et les groupes de gauche, lesquels ont payé de leur sang pour mettre fin au règne du Shah Mohammed Reza Pahlavi. Puisque cette révolution fut le premier véritable éveil dans la région, elle a été considérée par beaucoup comme un exemple – aussi bien [la Révolution] que l'habit que les femmes se sont mises à porter (…)

Un autre facteur bien connu est l'augmentation [des ventes] de pétrole, qui a permis à l'Arabie Saoudite et à de riches Saoudiens de soutenir financièrement la propagande wahhabite et de mettre en place un gigantesque réseau médiatique chargé de rappeler chaque jour l'obligation du port du voile. Cette propagande islamiste s'est fondue avec la [ligne de pensée] des Frères musulmans et des partis arabes et islamiques qui en découlent. En conséquence, une nouvelle et bien étrange façon de penser s'est répandue dans la société musulmane, modifiant grand nombre de perceptions et de comportements.

Le voile est un outil politique

Le voile est donc un problème politique. Dans deux pays [l'Iran et l'Arabie Saoudite], l'élite religieuse gouverne au nom de la religion, s'efforçant de propager son propre modèle [islamique] – tout en [se servant de la religion] pour garantir la légitimité [de son règne]. Ces deux pays ont contraint les femmes au port du voile, le présentant comme un signe de piété, qu'elles aient, ou non, envie de le revêtir.

Le seul objectif des Frères musulmans est de s'emparer du pouvoir politique. Toutefois, puisque [ce mouvement] se sert de la religion comme justification, il doit aussi fournir un exemple de [véritable] 'comportement islamique' (…) et l'habit [islamique] en est l'une des principales composantes.

Le voile est donc un problème politique (…), et pourtant les arguments et les méthodes employés pour convaincre les femmes de l'obligation [de le porter] ont pris trois formes (…) Le premier argument est qu'en portant le voile, la femme cache ses formes féminines et protège les hommes de la licence. Le deuxième argument prétend qu'en portant le voile, elle contribue à l'établissement d'une bonne société. Le troisième argument est qu'il s'agit, par essence, d'un [devoir] religieux.

Le premier argument se base sur l'idée que l'Arabe est un animal libidineux qui ne peut pas contrôler ses instincts, et qu'il faut donc se méfier de lui. Les pensées [de l'Arabe] seraient contrôlées par le sexe, et on ne pourrait donc pas lui faire confiance ; c'est pourquoi les parties [attirantes] de la femme doivent être recouvertes - afin de le protéger du diable qui se trouve en lui. Ce principe est injuste pour l'homme arabe, que nous connaissons en tant que frère, que père et qu'être humain. Il est capable de traiter une femme comme un être humain, et non comme un objet de plaisir. Il est capable de contrôler ses instincts, bien qu'ils existent et qu'il soit conscient de leur existence. Exactement comme les femmes (…)

Une femme peut susciter le respect de l'Homme par son comportement, non en se voilant

Ce premier argument se base sur une vision humiliante de la femme, celle-ci étant perçue comme un simple objet sexuel – non comme un être humain mais comme un ensemble de parties sexuelles. Elle n'est pas considérée comme un être noble doué de raison, mais comme un être dont toutes les parties suscitent le désir – la voix, les cheveux, le corps… Ces arguments ignorent le fait qu'une femme peut pousser un homme, ou n'importe qui, à la respecter par son comportement et son attitude à l'égard des autres, et non en se couvrant la tête et le corps (…)

L'argument religieux est le plus bancal de tous

Le deuxième argument se base sur l'idée qu'il existe un lien entre le port du voile et l'établissement d'une bonne société. Une bonne société ne connaîtrait pas de rapports intimes hors mariage. Cette vision est au mieux erronée, puisque les sociétés qui ordonnent le port du voile et insistent sur la séparation des sexes ne sont pas celles où le sexe hors mariage est le plus rare. La ségrégation forcée [entre les sexes] a même encouragé les relations homosexuelles, comme l'indiquent des études qui montrent [en outre] que le port du voile dans les sociétés arabes et islamiques n'a pas empêché certaines filles d'avoir des rapports sexuels hors mariage. Et après cela, elles font généralement appel à la chirurgie pour reconstruire leur hymen.

Le troisième argument repose sur l'idée que l'islam est strict sur la question du voile, alors qu'il existe des textes religieux [divers] sur le sujet. Cette abondance [de textes religieux] ne date pas d'hier. Toi [la femme musulmane], tu peux les lire toute seule, sans intermédiaire. Tu constateras qu'il existe non seulement une abondance de textes, mais qu'ils peuvent en outre être interprétés de diverses manières...

En fait, ce troisième argument, selon lequel c'est la religion qui ordonne le port du voile aux femmes, est le plus bancal de tous, vu que nous n'avons commencé à l'entendre qu'à la fin des années 1970 et que les femmes n'ont commencé à porter le voile qu'une fois l'islam orthodoxe dominant dans le monde arabe et musulman.

Tel est le raisonnement sur lequel je base l'appel que je te lance. Je t'implore de prendre en considération mes paroles et ma demande. Je ne te demande pas de cesser de prier, de jeûner ou de croire en Allah. Je te demande de retirer le voile… Je respecterai ta décision, quelle qu'elle soit. Mais en définitive, sois ce que tu es : une femme, et non [un ensemble de] parties intimes.


(1) www.metransparent.com, le 4 avril 2006