Le Mal radical, Corentin de Salle
Remarquable article. L'auteur nous a déjà gratifiés d'analyses fines et pertinentes. Celle-ci ne le cède en rien aux précédentes, et même, à mon avis, les dépasse, pour notre plus grand bonheur. (Menahem Macina).
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16/05/06
Texte repris du site de l’Atlantis Institute.
Le siècle écoulé ne s'est pas montré avare en monstres en tout genre. Dans l'échelle de l'infamie et de la scélératesse, dans le panthéon de ces héros noirs et implacables, Saddam Hussein, dont le procès est actuellement en cours, occupe assurément l'une des toutes premières places.
Quand l'actuel président américain, réactualisant le fameux "Evil empire" reaganien, a mis en garde le monde contre "l'Axe du mal", enfilade d'Etats s'étalant de l'Irak à la Corée du Nord, cette vision des choses a été accueillie en Europe avec un mélange de commisération et d'agacement. Commisération face à ce pathos de mauvais aloi et à la morale de cour de maternelle qui la sous-tend. Agacement face à l'arrogance d'un Etat qui prétend mener une lutte cosmique du Bien contre le Mal. On a déploré cette navrante indélicatesse envers les dirigeants des dits Etats qui, à défaut d'être recommandables, étaient restés fréquentables. N'était-il pas plus raisonnable, plus "européen", de penser que ces derniers partagent des valeurs "différentes" des nôtres ? Que le manichéisme américain est une insulte à ces civilisations plusieurs fois millénaires ?
Comme si nous avions le choix ! Comme si l'ennemi avait besoin de notre assentiment pour se constituer comme tel. La sinistre épopée communiste s'est soldée par un macabre bilan de cent millions de morts. Compte heureusement clôturé, non en raison de la politique dite de "détente" mais du fait de l'obstination d'un homme - Ronald Reagan (longtemps accusé de jeter de l'huile sur le feu) - et de son peuple (1). Ce n'est qu'au milieu des années 70 qu'un Premier ministre allemand reconnut que son pays avait été "libéré" et non "envahi" par les puissances alliées. L'histoire est en train de rendre justice à Reagan. Gageons qu'elle saluera la clairvoyance de George W. Bush : l'axe maléfique est le brasier aux multiples foyers incandescents du terrorisme planétaire.
Que fut, en réalité, l'Irak de Saddam ?
On déplore, à juste titre, les attentats quotidiens qui meurtrissent ce pays. Mais a-t-on seulement idée des tréfonds de l'horreur atteints par ce régime, à son crépuscule néronien ? Le règne saddamite brilla d'un éclat hideux et cataclysmique. Le baassisme, inventé, théorisé et diffusé dans la plupart des pays arabes par un intellectuel socialiste et francophone, Michel Aflaq, ancien étudiant en Sorbonne, se révéla, sur le terrain, une idéologie de terreur et d'épouvante. Une dévastation collective. Un cauchemar permanent. Quatre millions d'exilés. 500.000 Kurdes annihilés. 200.000 Chiites massacrés. 4.500 villages rasés. Des milliers de cadavres de femmes et d'enfants aux chairs calcinées par les gaz. 260 charniers découverts lors de la libération. 400.000 corps déterrés par des familles folles de désespoir. Des opposants plongés vivants dans des cuves d'acide ou broyés dans des bennes à ordures. Des yeux arrachés, des corps suspendus et mutilés, des enfants de dissidents enfermés dans des sacs remplis de chats affamés. Ces raids infâmes des Feddayine dirigés par l'abominable Oudaï Hussein, digne fils de son père, se saisissant au hasard de villageoises (130 cas recensés) pour les décapiter et clouer leurs têtes aux portes des maisons.
Iran, ou la barbarie ordinaire. 100.000 exécutions. Des délinquants fouettés publiquement. Des femmes lapidées. Des voleurs mutilés. Le spectacle, surréaliste et démoniaque, de ces femmes aux longues djellabas noires pendues à des grues de construction, improbables oiseaux sacrifiés au nom d'un dieu sauvage.
La Corée du Nord ? L'enfer sur terre. Le dernier cercle de Dante. Deux millions de morts d'une famine que rien - ni crise politique ni guerre ni catastrophe naturelle - n'explique, si ce n'est un entêtement absurde à poursuivre les idéaux communistes. Une population paysanne famélique, réduite, certains hivers, à recourir au cannibalisme. Des troupes d'enfants en guenilles prenant d'assaut des trains remplis de pommes de terre, escortés par des soldats. Le mémorial de Kim Il Song, d'un coût de 200 millions de dollars, une armée forte d'un million d'hommes. L'argent de l'aide internationale détourné et consacré prioritairement au renforcement de la puissance nucléaire et à la fabrication de missiles à tête balistique vendus à l'étranger. En définitive : une gigantesque machine à tuer.
L'axe du mal. Excessif, vraiment ?
L'expression est dramatique, d'accord. Le terme "axe" a assurément ceci d'impropre que l'Irak et l'Iran ne sont pas les meilleurs amis du monde. Mais ce slogan, car il s'agit - ni plus ni moins - d'un slogan et non pas de l'expression quintessencielle du néo-conservatisme, s'inscrit dans la vigoureuse tradition des speeches présidentiels américains, à l'instar, par exemple, de vibrant discours tenu par Franklin Delano Roosevelt, au lendemain du 7 décembre 1941, ce "jour marqué à tout jamais du sceau de l'infamie" [Pearl Harbor]. Voilà qui contraste singulièrement avec la lénifiante et soporifique rhétorique de l'Union européenne.
Nul besoin d'adhérer à un culte quelconque ou de cultiver un improbable messianisme pour souscrire pleinement à ce constat : le mal exerce partout son empire mais, à l'évidence, infiniment plus en certains endroits que dans d'autres
Que signifie ce slogan ? Il n'est nulle part affirmé - ce serait ridicule - que ces pays exerceraient le monopole du mal sur terre. Il n'est, évidemment, pas soutenu non plus que les population desdits pays seraient elles-mêmes maléfiques : elles sont, au contraire, présentées comme les victimes immédiates. Par ailleurs, personne ne prétend, le président américain inclus, que les Etats-Unis seraient moralement irréprochables, ou constitueraient l'incarnation du Bien. Nul besoin "d'être" le Bien pour combattre le Mal. Si tel était le cas, on ne voit pas comment la religion chrétienne pourrait enjoindre aux pêcheurs de travailler à leur salut.
Quoi qu'il en soit, c'est une erreur de confiner cette question dans le champ religieux. Le mal qui est ici dénoncé n'est pas une hypostase sacrée, une entité mystérieuse qui aurait, on ne sait pourquoi, trouvé un terrain d'élection dans ces régions. C'est, au contraire, une réalité poignante qui s'impose quotidiennement aux millions de personnes qui y vivent. Un discours présidentiel n'est pas une dissertation philosophique : on ne se penche pas ici sur les causes métaphysiques du mal sur terre.
Tel n'est pas non plus l'objet de cet article : depuis la nuit des temps, d'innombrables doctrines proposent des explications quant à l'origine du mal. Le mal pose question. Il renvoie à l'énigme de notre humanité. Pour autant, les conditions d'émergence du mal ne sont ni incompréhensibles ni imprévisibles. Sporadiquement, la folie criminelle dévaste politiquement de nombreuses régions du monde, mais le mal ne surgit jamais ex nihilo.
S'il peut faire carrière avec une telle intensité, une telle âpreté, s'il peut être porté à un tel degré d'incandescence, c'est que la société qui en est le théâtre est malade. Les pathologies sont multiples et ce n'est pas ici le lieu d'en dresser la taxinomie. Notons que ces sociétés ont pour dénominateur commun une hostilité aux valeurs de liberté, au format de l'Etat de droit et l'idéal de la démocratie. Au cours du XXe siècle, le continent européen, saigné à blanc à deux reprises, en fit l'amère expérience.
Mais l'absence de ces garde-fous ne débouche pas nécessairement sur ces situations méphistophéliques. Après tout, ces derniers n'ont été consacrés que fort récemment, ce qui n'a pas empêché, par le passé, que l'humanité goûte des périodes paisibles. D'autres facteurs entrent en jeu : des engouements religieux, des pratiques culturelles et, surtout, des idées vénéneuses. Plusieurs des idées les plus nocives de l'histoire ont germé initialement dans des cerveaux occidentaux. Du funeste laboratoire européen sont sorties les doctrines fascistes et communistes. La Corée du Nord, actuellement l'un des plus dangereux Etats de la planète, est une abomination politique résultant de la mise en oeuvre des idéaux communistes. Tel fut aussi le cas de l'ex-URSS, acteur majeur de la guerre froide, à la faveur de laquelle des régimes pervers et démoniaques comme l'Iran de Khomeiny et l'Irak de Saddam Hussein ont pu prospérer avec, pour ce dernier, la bénédiction et le soutien des Américains et des Européens, désireux d'ériger un rempart contre la poussée soviétique dans ces régions. Le baassisme est lui-même un condensé criminel des valeurs fascistes, socialistes et totalitaires.
Le mal ne naît pas armé et casqué, comme Athéna s'extrayant du crâne de Jupiter : c'est progressivement que le cauchemar irakien s'est organisé.
Ce ne sont pas des valeurs religieuses que les Etats-Unis tentent d'exporter au Moyen-Orient, mais des valeurs laïques et universelles : les droits de l'homme, la démocratie et l'Etat de droit
Ce n'est un mystère pour personne que le président américain est un chrétien pratiquant. D'où l'idée que Bush mènerait une guerre religieuse. On a coutume d'ironiser sur le choc de deux intégrismes, deux conceptions du Bien antagonistes, mais qui pécheraient par la même radicalité intransigeante et destructrice. Cette sotte objection méconnaît fondamentalement la réalité américaine depuis ses origines (2), elle ignore ce fameux "mur de glace", consacré tant par l'article 6 de la Constitution que par son premier amendement, entre ces deux ordres étanches que sont, depuis Jefferson, l'Etat et la religion (3). Ce ne sont pas des valeurs religieuses que les Etats-Unis tentent d'exporter au Moyen-Orient, mais des valeurs laïques et universelles : les droits de l'homme, la démocratie et l'Etat de droit. Ce sont ces acquis-là qui constituent la substance de ce "Bien", que les alliés entendent mobiliser contre l'axe du mal.
Il est cocasse de constater que les contempteurs de la notion d'axe du mal s'avèrent souvent beaucoup plus manichéens que les théoriciens de la Maison Blanche. Pour eux, le mal a un nom : l'Amérique. Voilà la source de tous les maux qui accablent la planète. Cette obsession de trouver un coupable procède d'une conception rousseauiste du mal. Jean-Jacques Rousseau estimait en effet - et il développe cette idée dans sa célèbre Lettre à Monsieur de Voltaire qui traite de la catastrophe de Lisbonne - que les malheurs qui nous accablent procèdent toujours d'une cause dont nous sommes - quelque part - responsables. Un peu comme si les évènements se vengeaient de nos fautes et négligences. Telle fut le sentiment de beaucoup au lendemain du 11 septembre : après tout, les Américains l'ont bien cherché constatèrent discrètement - ou pas - un certain nombre de belles âmes. Voltaire estimait, pour sa part, que le mal pouvait ne pas avoir de raison même si il avait toujours des causes : tout événement se décompose a posteriori comme résultant d'une succession de moments qu'on peut relier l'un à l'autre mais cela ne signifie pas qu'il ait nécessairement un sens, qu'il ait nécessairement une raison d'être (4).
Les partisans de l'intervention en Irak ne versent pas, contrairement à leurs détracteurs, dans ce manichéisme primaire consistant à penser que la racine de tout le mal se situe dans les agissements d'un acteur, fût-il collectif. Le mal ne se situe pas dans une personne, ni dans un groupe de personnes, mais dans certaines idées et valeurs. Eradiquer ces dernières, cela ne revient pas, bien entendu, à supprimer le mal sur terre et voir advenir le Bien sur un char triomphant, mais c'est, du moins, contribuer à rendre le monde meilleur.
On comprend maintenant que le discours sur l'axe du Bien est infiniment moins simpliste et méprisable qu'on pourrait le croire. Les réactions exaspérées que cette expression suscite sont néanmoins intéressantes. Pourquoi ?
Nous voici au cœur du problème : pourquoi, en Europe, ne croit-on plus ni au mal ni au bien ? Pourquoi tout discours affichant des certitudes sur le mal et le bien est-il d'office considéré comme suspect, réducteur ou manichéen ? Ce qui irrite l'intelligentsia européenne, dans ce discours, c'est une vérité scandaleuse qui, elle, s'étale avec une insolence insupportable : certaines valeurs extra-occidentales sont moralement condamnables.
Alan Bloom estimait que le phénomène civilisationnel le plus important et le plus étonnant de notre époque est le triomphe du relativisme moral
Ce phénomène est d'autant plus étonnant qu'il est resté inaperçu (5). Bloom comparait cette mutation fondamentale au niveau moral et politique, à celle par laquelle le paganisme grec et romain céda sa place au christianisme. Presque tous les étudiants qui entrent à l'université croient - ou affirment croire - que toute vérité est relative. Si vous entreprenez, poursuit Bloom, de leur démontrer que cette proposition n'est pas si évidente, ils vous regardent comme si vous leur disiez que 2+2 ne font pas 4. Ce relativisme moral conduit à un corrélat intolérant : il est interdit de porter des jugements de valeur sur les traditions culturelles.
Nous vivons, en Europe, dans une société où l'on tente de substituer les tabous aux préjugés. L'un des objectifs, louable, de l'éducation est de développer l'ouverture d'esprit. Cela passe par l'éradication systématique de tout préjugé. Le problème, c'est que beaucoup d'éducateurs, plutôt que remplacer ces préjugés par des connaissances, préfèrent souvent installer dans l'esprit des injonctions morales très fortes qui ont en commun le fait d'interdire de porter des jugements de valeur sur les traditions et les civilisations. Ce faisant, on crée des individus destinés à rester à tout jamais moralement immatures. On se soucie assez peu d'initier les personnes au contenu effectif des cultures extra-occidentales. Si c'est le cas, ce sera de manière souvent superficielle et acidulée. Le spectre diversifié des cultures sera appréhendé sous un angle purement folklorique (alimentaire, musical, artisanal, etc.). Pour dire les choses crûment, le reste du monde est appréhendé au travers du filtre de festivals de type "Couleur Café". Il est rare qu'on s'intéresse aux idées, valeurs et principes ayant cours dans ces traditions (lesquels divergent, voire s'opposent, parfois, frontalement aux nôtres) ou alors ce sera sur le registre de l'autodénigrement, comme ces touristes qui se réjouissent de l'anti-matérialisme des pays qu'ils visitent.
On méconnaît, dit Alan Bloom, l'importance du préjugé, parapet indispensable à tout processus d'apprentissage. En déracinant ces derniers sans les remplacer par autre chose que l'idée que tout, en ce bas monde, est égal tant en fait qu'en valeur, on appauvrit singulièrement l'esprit critique. Paradoxalement, le relativisme culturel, qui accompagne souvent ce processus d'éradication, a pour effet d'anesthésier l'ouverture d'esprit et la curiosité intellectuelle, et aboutit dès lors a une "fermeture" de ce dernier. Si tout se vaut, alors plus rien n'a de valeur.
Les préjugés ne sont pas toujours sympathiques, mais, dans la sphère sociale, ils jouent un rôle considérable. Hannah Arendt fait cette remarque profonde : "Plus un homme est libre de tout préjugé, moins il sera adapté à la vie purement sociale". En ce sens, les préjugés constituent un préalable à la constitution de l'espace politique (qui est, lui, le lieu des "jugements"). Nous partageons tous un certain nombre de préjugés. Cette précision nous permet d'infléchir l'analyse de Bloom sur un point fondamental : il est impossible de vider durablement l'âme de tout préjugé. Ils reviennent fatalement, car aucun homme ne peut vivre sans préjugés : personne n'est doté d'un discernement tel qu'il puisse adopter une position personnelle sur la multitude d'informations qui lui parviennent à tout moment. Une telle absence de préjugés exigerait une vigilance surhumaine. Dès lors, les préjugés réapparaissent sous une forme pathologique : xénophobie, antisémitisme et anti-américanisme. Ce qui explique le manichéisme des détracteurs de l'axe du mal.
Il faut dénoncer ce mensonge nocif de l'équivalence morale des cultures. Tous les hommes sont naturellement égaux en droit et en dignité, mais les traditions culturelles sont inégales en fait et en valeur
Pour des esprits "disneylandisés", le mal est incompréhensible. Persuadés que l'ensemble des habitants de la planète pense exactement comme eux, ils restent perplexes face à des explosions de haine frénétique au Rwanda, ou en ex-Yougoslavie. D'abord, elles sont assimilées à des catastrophes naturelles. Mais, cette mince pellicule homogénéisante appliquée sur la diversité par les éducateurs moralistes, se craquelle et laisse suppurer le mal. On convoque alors les commodes théories marxistes : le mal doit avoir une origine économique. Le sous-développement - cause des conflits - doit nécessairement procéder d'une exploitation Nord-Sud qui, dans ce schéma qui exonère totalement le tiers-monde de toute responsabilité, est le fait, d'une part, du passé colonial européen, d'autre part, et surtout, de l'actuel impérialisme américain. On connaît le brillante analyse de Bruckner sur "le sanglot de l'homme blanc".
Il faut dénoncer ce mensonge nocif de l'équivalence morale des cultures. Tous les hommes sont naturellement égaux en droit et en dignité, mais les traditions culturelles sont inégales en fait et en valeur. Ces jugements comparatifs ne peuvent évidemment s'opérer qu'au regard de tel ou tel aspect de cette tradition (la liberté, l'égalité, le statut des femmes, etc.), sans préjuger d'autres dimensions enrichissantes contenues dans les cultures extra occidentales. Mais ces dernières renferment aussi des éléments archaïques, choquants, condamnables, détestables. Par exemple, la barbarie de certaines prescriptions de la charia, l'indéniable misogynie de la culture japonaise, le racisme virulent de telle ou telle ethnie en Afrique, l'incommensurable mépris des castes supérieures vis-à-vis des membres de castes inférieures ou hors castes en Inde, le fondamental égoïsme de l'hindouisme, la cruauté de certaines pratiques chinoises, etc. Tout cela est gommé, tu et tabou.
Interdire radicalement tout jugement de valeur en la matière, en amalgamant malhonnêtement ces derniers à des jugements racistes (portés sur les peuples et non sur les cultures) traduit, en réalité, une indifférence pour le mode de pensée des populations extra occidentales. Dire que tout est équivalemment bon revient, en définitive, à considérer que nous n'avons plus besoin d'autrui pour progresser dans la recherche d'une vie meilleure et que, contrairement à l'attitude d'Hérodote et d'autres grands fondateurs de la tradition occidentale, nous n'avons plus besoin des cultures extérieures pour y confronter nos valeurs et s'inspirer d'éléments extérieurs. La constitution progressive d'une intelligence critique et informée passe par un cheminement qui consiste en l'abandon d'anciennes croyances pour en adopter des nouvelles, plus complexes et plus nuancées. Mais comment ce processus de la connaissance peut-il encore s'accomplir si l'on a appris à discréditer toute croyance avant même de croire en quoi que ce soit ? "L'ouverture d'esprit", prônée dans ce modèle, revient, en réalité, à créer des esprits totalement vides et désarmés. Une authentique ouverture d'esprit consiste, au contraire, à doter ce dernier de la capacité d'énoncer des jugements de valeur, à trancher entre le Bien et le Mal.
Corentin de Salle
Directeur de l'Atlantis Institute.
© Atlantis Institute
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Une version abrégée de ce texte a été publiée, le 5 décembre 2005, dans La Libre Belgique.
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Notes de l'auteur
(1) Quant à la réunification de l'Allemagne, elle fut évidemment l'œuvre du président soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, et du chancelier Helmut Kohl. Mais ce processus n'aurait jamais abouti sans une garantie internationale et un soutien extérieur, dans l'hypothèse - on ne peut plus probable - où une partie des responsables soviétiques, notamment les généraux, auraient, tablant légitimement sur la veulerie coutumière des Européens, décidé d'intervenir militairement pour prolonger, de force, l'existence de la RDA. Cette garantie et ce soutien, ce furent les Etats-Unis qui s'en chargèrent : George Bush père, par des signaux on ne peut plus clairs, fit comprendre qu'un tel baroud d'honneur (de type « Printemps de Prague ») déclencherait, ipso facto, une riposte américaine.
(2) Fidèle en cela à la double doctrine des « deux glaives » du pape Gélase [*].
(3) L'Etat est à ce point laïc, aux Etats-Unis, que les cultes ne sont pas financés par les deniers publics. La Cour Suprême - sa jurisprudence constante en témoigne - veille constamment à éviter toute interférence entre les deux ordres.
(4) Cf., à ce sujet, J.-P. Dupuy, Petite métaphysique des tsunamis, Seuil, 2005.
(5) A. Bloom, The closing of American Mind, Simon and Schuster, 1987, p. 141.
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[*] Excursus de la Rédaction d’upjf.org.
La doctrine du Pape Gélase, évoquée par l’auteur, mérite un bref excursus. Selon cette conception, "le monde est régi par deux glaives, l’un spirituel et sacerdotal, l’autre temporel et royal. Pour les théoriciens pontificaux, le pape tient de Dieu les deux glaives et ne fait que prêter à l’empereur et aux rois le glaive temporel afin d’être servi par eux dans le siècle. L’empereur et les rois doivent donc être guidés par le pape dont il tiennent en essence leur pouvoir et qui peut aller jusqu’à les destituer. Les théologiens impériaux proclament, au contraire, que le pouvoir séculier existait avant le pouvoir pontifical et que le pape tient son pouvoir de l’empereur."
Cette conception prit naissance à l’époque de la christianisation de l’empire romain.
"Une compétition s’instaura progressivement, au sommet de la chrétienté, entre le tenant suprême de l’autorité spirituelle, le pape, et le tenant suprême de l’autorité temporelle, l’empereur, entre, plus largement, le « sacerdoce », c’est-à-dire l’appareil ecclésiastique, et l’ « empire », c’est-à-dire la tête ou le symbole des réseaux du pouvoir laïque. Les Pères de l’Église surent défendre d’abord l’indépendance et l’autorité supérieure des évêques dans les affaires religieuses. Ce fut le cas, notamment, de saint Ambroise (333-397), évêque de Milan, qui, au IVe siècle, face à l’empereur Théodose Ier, parvint à imposer l’idée que, dans le domaine spirituel, la juridiction des ministres de l’Église s’étendait à tous les chrétiens, et par conséquent à l’empereur lui-même.
Contemporain d’Ambroise, saint Jean Chrysostome (344-407) ira plus loin, proclamant plus fermement la division du pouvoir des princes et des prêtres, qui s’exerce, le premier sur les corps, le second sur les âmes, et la supériorité du pouvoir spirituel des seconds sur le pouvoir seulement séculier des premiers : Au roi ont été confiés les corps ; au prêtre les âmes. Le roi remet les dettes pécuniaires, le prêtre remet celles du péché […] C’est pourquoi le roi incline la tête sous la main du prêtre. Et nous voyons que partout dans l’Ancien Testament les prêtres oignaient les rois.
Saint Augustin (354-430), au début du Ve siècle, continue cette première tradition patristique. Mais il ajoute à celle-ci une réflexion plus profonde sur l’État […] dont le rôle devrait alors être d’amener la Cité terrestre, cité temporelle de l’homme et de la chair, à progresser vers la Cité céleste ou Cité de Dieu, spirituelle et éternelle, travaillant ainsi au salut de l’humanité. Augustin rendait ainsi au pouvoir séculier une part de spiritualité, une part « finale ».
À la fin du Ve siècle, l’idée augustinienne, et derrière elle la tradition patristique et biblique, passe dans le discours pontifical. Le pape Gélase Ier (492-496) fonde la théorie des « deux pouvoirs dans le monde », l’un pontifical, l’autre royal, et place le premier au-dessus du second au moins dans les affaires spirituelles, puisque la papauté est responsable devant Dieu du salut des rois :
« Il y a deux pouvoirs principaux par lesquels ce monde est régi : l’autorité sacrée des pontifes et le pouvoir royal. Mais le poids de la responsabilité sacerdotale est d’autant plus lourd que les pontifes auront à répondre des rois eux-mêmes au tribunal du Suprême jugement. »"
(Cours d’Histoire des idées politiques : Licence, premier semestre. « Histoire des idées politiques dans l’Espagne médiévale ».
Mis en ligne le 17 mai 2006, par M. Macina, sur le site upjf.org