25.5.06

ISRAEL ET L'OTAN

Israël dans l’OTAN, une union irrésistible ?

03/05/2006




Depuis les années 90, Israël et l’OTAN, chacun de leur côté, ont reformulé de manière significative leurs doctrines stratégiques. Israël, dépassant la question palestinienne, tente de développer une politique étrangère débarrassée des pressions sécuritaires immédiates. L’Alliance Atlantique, surmontant d’abord un « vide stratégique » s’impose finalement comme un acteur de premier plan dans la lutte contre le terrorisme. A l’heure où des voix s’élèvent en faveur de l’entrée d’Israël dans l’OTAN, il faut prendre la mesure du caractère naturel d’un tel rapprochement. En effet, on assiste, depuis une quinzaine d’années, à des évolutions stratégiques tout à fait similaires. Le moment n’est-il pas venu pour ces destins parallèles de se croiser enfin ?




Ces derniers temps, on entend des voix sourdre des milieux diplomatiques et militaires américains et européens, comme celle d’Antonio Martino, ministre de la défense italien, en faveur de l’intégration d’Israël à l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord). L’enjeu est d’importance car une intégration pleine et entière d’Israël à l’Alliance Atlantique impliquerait, de la part des autres membres, une réponse collective à toute agression contre l’Etat juif, considérée comme une attaque dirigée contre l’Organisation même.


L’idée d’élargir l’OTAN à Israël n’est pas nouvelle. Déjà soulevée par le passé, quoique de manière moins formelle, par l’éditorialiste Thomas Friedman (1) dans le New York Times, cette option a, plus récemment, été défendue, à la suite de la première visite du Secrétaire Général de l’OTAN en Israël, Jaap de Hoop Scheffer, par une plaidoirie de choix, celle de José Maria Aznar. Depuis que ce dernier a quitté la Moncloa, l’ancien Premier Ministre espagnol fait la promotion des travaux du think tank qu’il a fondé, le FAES (Foundation for Analysis and Social Studies). C’est dans ce cadre qu’il a présenté un rapport sur la rénovation de l’Alliance Atlantique, en novembre 2005, devant l’American Entreprise Institute, think tank américain d’influence, puis publié un article dans le Wall Street Journal (2). Dans ce rapport intitulé NATO : An Alliance for Freedom (3), le FAES préconise de refonder l’OTAN sur un nouveau partenariat stratégique dédié à la lutte contre le terrorisme, avec pour nouveaux membres des démocraties telles que le Japon, l’Australie et Israël. Concernant ce dernier, on comprend aisément que cette idée puisse provoquer certaines réticences : la rupture qu’elle suppose d’avec la pierre philosophale de la doctrine stratégique israélienne (4), celle de ne reposer que sur soi-même pour sa défense, ou encore la possibilité pour des pays hostiles à Israël de s’en prendre à ce dernier en représailles à des actions conduites conjointement par la coalition, l’occasion à saisir pour certains voisins d’Israël de mettre leurs menaces à exécution (5).

Ces dernières années, la coopération entre Israël et l’OTAN a évolué, tissant des liens de plus en plus étroits, qu’il s’agisse du niveau multilatéral dans le cadre du dialogue méditerranéen ou du niveau bilatéral. En décembre 2004, à l’occasion de la 5e conférence d’Herzliya, des représentants de l’OTAN avaient même appelé Israël à renforcer ses relations avec l’Alliance. A la question de savoir si Israël serait capable de « porter le fardeau », la réponse est positive. En effet, Israël, qui entretient déjà des liens militaires avec un des membres de l’OTAN, la Turquie, depuis 1996, a, par exemple, annoncé sa détermination à participer à l’opération « Active Endeavor », une série d’exercices dans la mer Méditerranée destinés à contrer toute attaque terroriste. Les sceptiques diront qu’Israël, déjà partenaire de l’OTAN, aurait trop peu à gagner d’une officialisation de son statut en une adhésion pleine et entière, si ce n’est des contraintes et des restrictions à sa liberté d’action. D’autres considèrent que sa relation privilégiée avec les Etats-Unis, suffisamment forte, devrait lui épargner de chercher d’autres alliés à l’Ouest. (6)


Pourtant, pour surprenante qu’elle puisse paraître, l’idée de faire adhérer Israël à l’OTAN s’inscrit de manière naturelle à la fois dans la formation du concept stratégique de l’Alliance et de celle de la politique étrangère israélienne, deux évolutions qui se sont jouées en parallèle depuis les années 90. En effet, l’OTAN, du fait de l’effacement de la menace soviétique, a intégralement remis en cause son socle stratégique. Révisant ce dernier à deux reprises depuis la chute du communisme, l’Organisation semblait à la recherche d’une nouvelle mission. Elle s’est finalement réorientée depuis le 11 septembre dans la lutte contre le terrorisme et vers des partenariats avec le Moyen-Orient. De même, dans le cas d’Israël, une nouvelle donne stratégique a vu le jour, avec pour objectif de débarrasser la politique étrangère de ses contingences sécuritaires, les accords d’Oslo de 1993 étant l’occasion d’envisager un dépassement de la question palestinienne et la chute de l’URSS offrant des opportunités nouvelles d’alliances, notamment dans les domaines économiques et technologiques. Les revirements stratégiques de l’Alliance et d’Israël, quoique bien distincts, expliquent en partie pourquoi ces deux entités se sont rapprochées ces dernières années.


Alors que l’Alliance se réforme, le débat qui agite aujourd’hui les milieux diplomatiques quant à l’accession de l’Etat juif au statut de membre est, certes, l’occasion de revenir sur les origines du rapprochement entre Israël et l’OTAN et de poser la question du bien-fondé d’une éventuelle adhésion, mais aussi, et avant tout, l’opportunité de mettre en parallèle quinze ans de réflexions stratégiques respectives.


Un rapprochement progressif

Israël vient d’obtenir le statut d’observateur permanent à l’OTAN, lui conférant un droit de veto sur les décisions de l’Alliance qui concernent directement les affaires du pays. Néanmoins, sans en être membre à part entière, Israël a toujours eu avec l’OTAN des échanges très importants, notamment en matière de renseignement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. (7)


Au niveau multilatéral, cette coopération se place dans le cadre du dialogue méditerranéen et comporte, entre autres, des activités de lutte contre le terrorisme, contre les armes de destruction massive, visant à sécuriser les frontières, à se préparer aux désastres massifs et aux états d’urgence. Elle implique, côté moyen-oriental, de faire participer l’OTAN à des manoeuvres, consulter l’Organisation pour effectuer des réformes dans le domaine de la défense, établir des relations politiques et militaires, et enfin, prévenir la contrebande d’armes et de drogues.


Le dialogue méditerranéen comprend huit participants : l’Algérie, l’Egypte, Israël, la Jordanie, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie. Il était depuis sa création en 1994 dans un état de léthargie lui permettant à peine de soutenir un status quo. En 2002, l’Alliance a donc décidé de le faire revivre en réaffirmant son engagement envers le dialogue, ce qu’elle a appelé le PAP (Partnership Action Plan), insistant sur les questions de libéralisation et démocratisation, les lignes directrices (règles d’adhésion) étant les droits de l’homme, l’égalité des droits des femmes, la conduite d’élections libres. (8)


L’OTAN manifeste un intérêt croissant envers le Moyen-Orient et a également renforcé sa coopération stratégique avec Israël. En avril 2001, Israël signait un accord de sécurité avec l’OTAN dans le cadre du dialogue méditerranéen. Israël et l’OTAN ont effectué leur premier exercice naval conjoint en mars 2005 dans la mer rouge. Un mois auparavant, le 24 février, le Secrétaire Général de l’OTAN, pour la première fois, était en visite officielle en Israël. Ce déplacement s’inscrit dans l’Initiative de Coopération d’Istanbul (ICI) consacrée à l’occasion du Sommet d’Istanbul des 28 et 29 juin 2004, marquant un nouvel élargissement de l’OTAN, qui a étendu ses frontières au Caucase et au Moyen-Orient. En mai 2005, Israël est admis à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Enfin, une délégation du « Nuclear Suppliers Group » dirigée par l’Ambassadeur Roald Naess de Norvège, a visité Israël en mars puis en avril 2006 pour établir les bases d’une collaboration permanente en ce qui concerne les exportations de matériaux et de technologies nucléaires. (9)


Certains, à l’instar de Zaki Shalom, chercheur à l’université Tufts, pensent que ce contexte incombe à la faveur de la situation actuelle en Israël: reconnaissance du leadership palestinien et du besoin de prévenir le terrorisme envers Israël, renforcement des relations entre Israël et l’Egypte… (10) et plus récemment retrait de Gaza. En réalité, les relations entre l’OTAN et Israël semblent tout autant favorisées par l’Alliance elle-même, dont l’attitude vis-à-vis d’Israël aurait changé, du fait de sa prise en compte des menaces nouvelles et de son rôle de protecteur des valeurs démocratiques contre le totalitarisme fondamentaliste.


Quoique significatif, le rapprochement auquel on assiste entre l’OTAN et Israël n’a toutefois pas abouti à un engagement formel sur le long terme. Pourtant, beaucoup d’observateurs, voire d’acteurs (diplomates, militaires), pensent qu’une adhésion d’Israël ne pourrait qu’être bénéfique, tant à l’Etat juif qu’à l’Alliance Atlantique.


Les termes du débat


D’un point de vue formel, Israël pourrait tout à fait revendiquer sa place parmi les membres de l’OTAN, dans la mesure où il satisfait aux exigences de l’Organisation : être une démocratie, fonctionner en économie de marché et être capable de contribuer à la défense commune. Concernant ce dernier point, l’Etat juif consacre près de 10% de son PIB à son budget de défense et dispose d’une armée d’active de 167 000 hommes et femmes et 358 000 en réserve. Il possèderait 200 têtes nucléaires plus une armée de l’air et une armée maritime. (11) En outre, Israël partage deux des principaux objectifs de l’OTAN, à savoir la lutte contre le terrorisme et la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. (12)


La visite de Jaap de Hoop Scheffer de février 2005, dont le but était d’accroître la coopération stratégique entre Israël et l’OTAN, a commencé à faire réfléchir les Israéliens sur les avantages qu’ils tireraient à trahir quelque peu leur impératif stratégique pour rejoindre l’Alliance. Pour Israël, le préalable à toute intégration dans une coalition formelle comme l’OTAN serait en effet de dépasser ce qu’on appelle le principe d’auto-protection ou self-help. Les Israéliens ont toujours hésité à confier leur sécurité à un tiers. L’ambiguïté de la protection tient au fait que, si Israël est conscient que sa sécurité permanente, pour être assurée aussi bien contre ses ennemis de l’intérieur que contre ceux de l’extérieur, doit correspondre au maintien d’une supériorité militaire qualitative sur l’ensemble des forces armées de ses ennemis potentiels, dans l’intérêt de la paix dans la région, il ne doit compter sur personne d’autre que sur lui-même pour assurer sa survie.

Les sceptiques font valoir qu’une adhésion rendrait Israël trop dépendant de l’Alliance et sujet à certaines obligations (13). Selon eux, l’adhésion restreindrait la liberté d’action d’Israël : dans le traité actuel, les attaques unilatérales prises par les pays membres pour défendre leurs intérêts vitaux ne sont pas formellement rejetées. Cependant, il est possible que certains des membres influents de l’Alliance exigent d’Israël qu’il les consulte au préalable. Aussi, certains craignent que les Alliés n’enjoignent Israël d’abandonner l’option nucléaire, qui ne leur paraîtrait plus pertinente et « en dehors des clous ». D’autres, encore, doutent que l’entrée dans l’OTAN permette réellement à Israël d’augmenter ses capacités de dissuasion, ce dernier disposant déjà de l’arme atomique, d’une armée très efficace dans le cadre d’une confrontation militaire, d’une relation privilégiée avec les Etats-Unis et enfin d’une coopération déjà effective avec les membres de l’Alliance.


Pour compléter le scénario des dubitatifs, au premier rang desquels Zaki Shalom, si l’on considère que les menaces qu’Israël a à affronter – et ce jusqu’à un futur proche - sont non conventionnelles, on conçoit mal comment le surplus de capacités militaires offertes par l’OTAN serait de la moindre aide. Israël possède déjà, a priori tout ce qu’il faut pour répondre à un confit de basse intensité, que ce soit en terme de moyens dissuasifs ou en terme de moyens militaires. Enfin, dans le cadre de l’article 5, Israël pourrait être amené à mener des actions militaires à l’étranger, ce qu’il n’a jamais fait et chose pour laquelle Tsahal, l’armée israélienne, n’est pas préparée. (14) Toutefois, on pourrait répondre, avec Frédéric Encel, que « Depuis au moins 1967, Tsahal entretient un corps de doctrine privilégiant la manœuvre (…). La combinaison guerre-éclair aéroblindée demeure (…) l’un des axiomes stratégiques de base : elle offre à Israël (…) de porter la guerre à l’extérieur des limites exiguës du pays (et de s’épargner ainsi les dommages sur les villes, le tissu agricole et industriel, les infrastructures, les axes de communication) ». (15)


En réalité, il s’avère que les avantages potentiels qu’Israël aurait à rentrer dans l’OTAN, à la fois d’ordre diplomatique, stratégique et militaire, voire économique, nécessitent de dépasser la méfiance initiale de ceux qui redoutent un tel projet. S’intéressant d’abord au point de vue diplomatique, on pourrait penser qu’en plus d’offrir à Israël une reconnaissance croissante de sa place dans la communauté atlantique, son « habitat naturel » (16), une adhésion à l’OTAN renforcerait le statut politique d’Israël. En permettant à ses voisins arabes, notamment l’Egypte, ainsi qu’aux Palestiniens de comprendre que la communauté internationale ne coopère pas nécessairement avec Israël sur des grandes questions politiques, cela pouvant être une coopération ne concernant qu’un domaine précis. La plupart des membres de l’OTAN n’adhèrent pas aux positions israéliennes, notamment sa politique de défense, cependant, cela ne doit pas les empêcher des conclure des coopérations avec Israël dans les domaines militaires, économiques, voire politiques. Cela permettra également à Israël d’avoir une plus grande marge de manoeuvre vis-à-vis du gouvernement américain. Israël n’aura plus cette image de pays isolé, mis au banc de la communauté internationale avec pour seul allié les Etats-Unis, garant de sa sécurité.


Si l’on s’intéresse aux aspects stratégiques et militaires, être membre de l’OTAN permettrait à Israël de renforcer ses moyens de dissuasion, envers les pays qui le menacent, notamment l’Iran et la Syrie. Israël, pour être dissuasif doit avant tout projeter une image de force, quelle que soit l’effectivité de sa puissance. C’est d’ailleurs sur ce principe, voulant que la puissance fantasmée soit plus dissuasive que la puissance connue, qu’Israël a fondé sa doctrine de l’ambiguïté nucléaire. La Syrie et l’Iran auraient des raisons de penser qu’Israël est plus fort, et même que l’alliance israélo-turque se verrait renforcée par l’accession d’Israël au statut de membre (la Turquie est membre de l’OTAN depuis 1952), prenant en compte l’arsenal militaire turc (2ème plus grande armée de l’OTAN) et sa proximité géographique avec l’Iran et la Syrie. Israël renforcerait aussi ses capacités militaires grâce à des échanges techniques, des manoeuvres conjointes, permettant à Tsahal d’accroître sa connaissance et son expérience dans les opérations de grande envergure tant terrestres que maritimes ou aériennes. Et cela renforcerait également les sources d’information dont Israël dispose pour combattre le terrorisme. D’autant que Tsahal, armée de pointe luttant contre un terrorisme de guérilla, décline, si l’on s’en réfère à Martin Van Creveld, polémologue israélien, partant du principe que « (…) lorsqu’on combat un adversaire faible, on s’affaiblit soi-même ». (17)


Enfin, du point de vue économique, tout un marché pourrait s’ouvrir dans le domaine de l’armement. Israël est déjà le meilleur allié non membre de l’OTAN des Etats-Unis, mais sa coopération avec d’autres pays gagnerait à s’accroître.


Ainsi, continuer et même accroître dans le cadre d’une adhésion la coopération entre Israël et l’OTAN permettrait de servir les intérêts politiques, diplomatiques, stratégiques et économiques d’Israël, comme ceux de l’OTAN. Il s’agirait d’un gain considérable pour l’Etat juif, qui disposerait d’un véritable éventail d’options sur la scène internationale, aux désavantages minimes. Il est clair que l’OTAN a jusqu'à présent fait preuve d’une certaine retenue envers Israël, très probablement issue d’une volonté d’attendre un apaisement sur le front palestinien. Cependant, la mort d’Arafat et la stratégie de retraits unilatéraux initiée sous le gouvernement Sharon laissent à penser que l’Alliance ne devrait plus se montrer si prudente.


Des évolutions stratégiques analogues


A l’aune des progrès qu’a connu leur rapprochement, il semblerait que ce dernier soit né, non seulement d’une volonté politique de part et d’autre mais, aussi, du fait que les doctrines stratégiques de l’Alliance et de l’Etat juif aient connu, ces quinze dernières années, des évolutions tout à fait comparables.


L’histoire de l’OTAN, crée en 1949 avec pour mission première d’instaurer un front uni face à la menace soviétique, a connu jusqu’à nos jours trois grandes phases. D’abord, pendant la guerre froide et jusqu’en 1989, il lui fallait résister à la menace soviétique. Ensuite, les années 90 et la perte de l’ennemi commun ont provoqué pour l’Alliance une véritable crise stratégique, malgré l’urgence de devoir s’adapter au nouvel ordre mondial, qui se solde en 1991 par l’élaboration d’un nouveau concept stratégique. Enfin, en 1999, l’OTAN décide de s’élargir aux pays de l’Est (Pologne, Hongrie, République Tchèque). Un nouveau concept stratégique est alors crée. Pour reprendre les mots du Secrétaire Général de l’époque, Javier Solana, l’objectif est alors de garantir la sécurité en Europe et d’assurer la défense des valeurs démocratiques à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières, d’où un accroissement des activités dites « hors zone », c'est-à-dire hors du théâtre traditionnel des pays membres, dont la gestion de la crise du Kosovo est l’illustration pratique.


Ainsi, l’Alliance a d’abord vu sa nouvelle vocation passer par l’élargissement vers l’est et par une modification de son champ fonctionnel. Aujourd’hui, l’Organisation a bel et bien fait le deuil de ce qu’elle était jadis, cessant d’être une organisation essentiellement axée sur la défense collective de ses membres dans l’éventualité d’une attaque militaire mais faisant de la lutte contre le terrorisme l’une de ses priorités.


Déjà, dans le concept stratégique de 1999, le terrorisme était reconnu comme une menace de l’après-guerre froide, quoique les Alliés n’y accordaient à l’époque pas d’attention. Le 11 septembre a, bien entendu, été l’événement déclencheur d’une réelle prise de conscience de la part de l’OTAN. D’ailleurs, dans les 24 heures qui ont suivi l’attaque, l’article 5, ou clause de défense collective du Traité de Washington (18), est invoqué, pour la première fois dans toute l’histoire de l’OTAN et est même envisagée la possibilité de faire entrer la Russie dans l’Alliance. Dès lors, cette dernière prend toute une série de mesures de soutien envers les Etats-Unis. (19)


Presque tous les concepts et doctrines de l’Alliance ont été révisés face aux défis posés par le terrorisme. Le principal nouveau document à cet égard est le « Concept militaire de l’OTAN relatif à la défense contre le terrorisme », entériné au sommet de Prague en 2002, et suivant lequel la défense contre le terrorisme fait désormais partie intégrante des missions des forces de l’Alliance. Le Concept militaire envisage en outre un déploiement des forces en dehors de la zone euro-atlantique, n’importe où et n’importe quand en cas de nécessité, sur la base d’une décision du Conseil de l’Atlantique Nord.


En outre, les capacités militaires ont été renforcées grâce à la création d’un laboratoire d’analyse nucléaire, chimique et biologique ployable, d’une équipe de réaction aux incidents NBC (Nucléaire, Biologique et Chimique), d’un centre d’excellence virtuel pour la défense contre les armes NBC, notamment, et même un Bataillon OTAN de défense CBRN (Chimique, Biologique, Radiologique et Nucléaire). Aussi, des opérations sont menées: Active Endeavour, assure la surveillance du trafic maritime en Méditerranée. L’opération Eagle Assist, mise en oeuvre au lendemain du 11 septembre, consiste pour l’OTAN à affecter des avions de son système aéroporté de détection lointaine aux Etats-Unis entre octobre 2001 et mai 2002. On peut enfin citer des opérations menées en Afghanistan et dans l’ouest des Balkans pour empêcher des groupes terroristes de saper les efforts visant à établir la paix et la stabilité dans ces régions. Aussi, la FIAS (force internationale d’assistance à la sécurité) dirigée par l’OTAN en Afghanistan a, entre autres, apporté son soutien aux processus des élections présidentielles et parlementaires. Enfin, des coopérations en matière de lutte contre le terrorisme ont été mises en place, d’abord avec la Russie, puis avec tous les partenaires de l’OTAN (20), particulièrement ceux du Moyen-Orient, y compris bien entendu Israël.


Israël, a, comme l’Alliance Atlantique connu un revirement stratégique à partir du début de la décennie 90. En effet, du fait de la chute de l’URSS et de la signature des accords d’Oslo en 1993, Israël a connu une période nouvelle pour sa politique étrangère, quelque peu débarrassée des impératifs sécuritaires et a, lui aussi, évolué pour devenir un des avant-postes de la lutte anti-terroriste.


Une tension existe en Israël entre politique étrangère et sécurité. Elle est liée à la délimitation flottante que l’on peut établir entre ces deux domaines. Depuis son indépendance, et même lors des prémices du Yishouv (Israël avant la création de l’Etat), les Israéliens ont toujours été confrontés à des menaces existentielles de diverses formes, passant du conflit avec leurs voisins arabes à des attaques de terrorisme et de guérilla sur leur territoire. Cela a contribué à faire se rejoindre la dimension sécuritaire de la politique nationale et les objectifs de la politique étrangère.


Toutefois, il semble que l’Etat juif jouisse, depuis les années 90, de nouvelles opportunités sur les plans politiques et diplomatiques susceptibles de lui permettre de dépasser son tropisme sécuritaire. Ainsi, Israël a pu bénéficier d’un regain d’intérêt de la part de ces anciens partenaires, avec lesquels les liens se sont renforcés, mais accéder également à des coopérations nouvelles, surtout en matière de lutte contre le terrorisme. Cette ouverture de la scène internationale a été favorisée par la combinaison de deux évènements : l’effondrement de l’Union Soviétique et du modèle international bipolaire, d’abord, et les accords d’Oslo, ensuite, marquant la reconnaissance mutuelle d’Israël et l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) mais également le début d’une tentative, côté israélien, de dépassement de la question palestinienne.


La fin de la guerre froide a permis de débarrasser la diplomatie mondiale de sa chape de plomb grâce au dégel du carcan bipolaire. De même, les accords d’Oslo de 1993, ont permis à Israël de développer de nouvelles alliances - autant d’ouvertures diplomatiques et commerciales qui lui permettent aujourd’hui de se délester de sa problématique sécuritaire pour exercer une politique étrangère plus classique et diversifiée. Comme le rappelle May Chartouni-Dubarry, « La paix avec l’Egypte et la Jordanie, l’effondrement de l’URSS et le processus de paix ont écarté la menace de type « existentiel » qui pesait jusque là sur Israël, légitimant l’état d’alerte et de mobilisation permanent au sein de la population ».(21)


Cependant, avant les années 1990, Israël avait déjà développé des partenariats avec la Turquie et l’Iran du Shah et certains pays d’Afrique, notamment le Kenya, l’Ethiopie et l’Ouganda, dans le but de dépasser l’hostilité arabe. Des échanges commerciaux avec des pays développés, notamment ceux de l’OCDE (Europe, Japon, Canada), ainsi que son engagement envers les pays en développement lui avait également permis d’acquérir quelques soutiens. Depuis, les échanges diplomatiques, commerciaux et militaires se sont étendus à des pays comme l’Inde, et ce notamment dans le domaine de la coopération anti-terroriste, préoccupation accentuée depuis le 11 septembre 2001. Israël peut d’ailleurs désormais, semble-t-il, en luttant contre le terrorisme, non seulement se rapprocher des Etats-Unis en participant à l’action de l’Administration Bush en la matière, mais également avoir un rôle à jouer dans la promotion de la démocratie au Moyen-Orient.


En 1993, les accords d’Oslo marquent une ouverture diplomatique pour Israël (qui développe par exemple ses relations avec l’Inde) puisque c’est à cette occasion qu’est manifestée une reconnaissance mutuelle entre Israéliens et Palestiniens. De plus, le traité de paix avec la Jordanie signé en 1994 permet à Israël de n’avoir, avec ce pays, aucun problème de sécurité aujourd’hui. Et cela pour trois raisons : la première est qu’il existe une frontière bien définie et sûre ; la deuxième est que la Jordanie possède un gouvernement solide ; la troisième c’est qu’aucune implantation juive n’est installée du côté jordanien (22). Israël n’a en effet de frontières définies qu’avec les pays avec lesquels il a signé des accords de paix, à savoir l’Egypte et la Jordanie ; tandis que les frontières avec le Liban, la Syrie et le futur Etat palestinien sont des lignes d’armistice qui doivent faire l’objet d’aménagement dans le cadre de négociations futures (23). En outre, depuis la fin des années 90, des alliances, jusqu’alors non officielles ou d’ordre privé, via des relations commerciales, trouvent leur aboutissement grâce à la reconnaissance d’Israël et l’instauration de liens diplomatiques. C’est notamment le cas du Qatar ou du Koweït. Aussi, la fin de la guerre froide et le 11 septembre sont deux évènements majeurs qui ont reconfiguré la carte des relations établies par Israël avec d’autres pays. En matière de lutte contre le terrorisme, il est clair que depuis les années 1990 Israël noue des relations dans le cadre du contre-terrorisme avec de nouveaux pays débarrassés du joug soviétique.


Les années 1990 ont donc été l’occasion pour Israël de se rapprocher de ses anciens alliés réticents mais également de créer de nouvelles alliances, dont le socle, outre une identification réciproque, est la coopération anti-terroriste. Par ailleurs, Israël est un biais idéal, pour certains pays, pour tisser des liens avec les Etats-Unis. A titre d’exemple, « Le régime nassérien en Egypte est devenu l’Egypte de Sadate et de Moubarak, qui vit de la manne américaine et qui est obligée, de ce fait, de maintenir des relations diplomatiques avec Israël, contre le sentiment profond du peuple égyptien ». (24) Aussi, la Turquie, grâce à son alliance avec Israël depuis les années 1950, peut affirmer son ancrage dans le camp occidental d’autant plus que les responsables turcs mesurent à quel point le développement des relations avec Israël est corrélé à leurs propres rapports avec les Etats-Unis. Non seulement la remise en cause des relations avec Jérusalem peut constituer un efficace moyen de pression sur les Etats-Unis de la part de la Turquie, mais surtout, à l’inverse, il lui paraît indispensable de maintenir de fructueuses relations avec Israël pour les bénéfices potentiels à obtenir de la part de Washington. « Cette relation triangulaire est d’autant plus nécessaire pour Ankara que, sur le marché du lobbying, les Turcs sont défavorisés par rapport à leurs rivaux : les Grecs et les Arméniens. Dans une certaine mesure, le « lobby juif » agit « pour le compte » de la Turquie (…) ». (25)


Enfin, bien qu’Israël ait relevé son défi sécuritaire et soit réellement entré dans la phase « post-héroïque » de son histoire, il lui reste à consolider son insertion sur la scène régionale en menant à leur terme les négociations de paix et parachever ainsi la conclusion de la question palestinienne, qui passe nécessairement par la création d’un Etat palestinien démocratique.


Conclusion


Le changement d’attitude de l’OTAN vis-à-vis d’Israël témoigne du changement de nature même de l’Organisation qui tend à faire de la lutte contre le terrorisme et de la protection des démocraties sa mission centrale. En effet, depuis le 11 septembre, l’OTAN a pris la mesure de la menace mondiale à combattre, l’islam radical, dont l’une des sources est le Moyen-Orient. Les activités nucléaires de l’Iran ont d’ailleurs contribué à renforcer le sentiment de menaces qui pèse sur l’OTAN.


Considérant l’idée de l’adhésion d’Israël à l’OTAN, on avancera avant tout les valeurs démocratiques incarnées par Israël, représentant, comme le rappelle Kenneth Weinstein, Directeur exécutif de l’Hudson Institute, une nation occidentale en terre orientale, véritable avant-poste de la démocratie (le « canari dans la mine de charbon » du terrorisme islamique). (26) Une telle décision marquerait la reconnaissance de la place d’Israël dans la communauté euro-atlantique.


Si l’option de l’adhésion promet de nombreux avantages sur les plans diplomatique, stratégique, militaire et économique pour Israël, elle revêtirait avant tout un caractère naturel vu les évolutions respectives depuis une quinzaine d’années, respectivement, d’Israël et de l’OTAN. Faire rentrer Israël dans l’OTAN reste, pour le moment, au stade des possibilités. Ce n’est pas une perspective assurée, mais c’est très certainement la solution vers quoi le rapprochement de ces deux entités les pousse. Si jamais Israël et l’OTAN choisissent d’unir leurs destins, force sera de constater que cette union sera le fruit d’un irrésistible élan.


Dans le contexte de crise avec l’Iran, l’OTAN a tout son rôle à jouer. Des appels sont lancés pour que l’Alliance, trop prudente ces dernières années, voulant attendre le règlement du processus de paix israélo-palestinien, s’engage enfin franchement aux côtés d’Israël. La menace iranienne, telle que formulée actuellement, est dirigée d’abord contre Israël et fera très certainement regretter à l’Alliance son politiquement correcte et son ménagement des susceptibilités, faisant dépendre les liens entre Israël et l’OTAN des velléités du Hamas et des pays du dialogue méditerranéen. (27)


Si l’OTAN veut s’engager à défendre la sécurité d’Israël, le moment est propice pour se lancer dans un tel engagement, tout du moins poursuivre sur la voix de la lutte contre le terrorisme. Rappelons avec Bill Kristol (28) la leçon d’Aron : « une démocratie libérale est vigoureuse et en bonne santé quand elle ose tenter d’affaiblir les tyrannies. »


Julie Decroix



(1) Thomas L. Friedman, dans « Expanding Club NATO », New York Times, October 26, 2003, se fait le défenseur de l’adhésion d’Israël à l’OTAN pour la simple raison que, pris d’un sentiment plus grand de sécurité, les Israéliens seraient moins réticents à faire la paix, et les deux parties pourraient être surveillées par l’OTAN, force crédible conduite par les Etats-Unis, une fois la paix signée.

(2) « NATO vs. Islamist Terror », The Wall Street Journal, November 28, 2005

(3) Presenté devant l’American Enterprise Institute, le 16 novembre 2005: “I do believe we are facing a mortal enemy. I believe NATO is the best collective organization we have, the western democracies, to face this historical challenge. But nor the NATO we have today, but a new NATO. I already mentioned the need of a homeland security dimension. In order to win this battle against terrorist evil, NATO must expand its geographical scope. In that regard, we propose in our report that the next enlargement process would be opening NATO’s doors to countries like Japan, Australia, Israel, as well as to build a strategic partnership with other nations like Colombia, all of them in the fore front of fighting terrorism”.

(4) Frédéric Encel, « France, Israël : deux démocraties, deux visions géopolitiques », conférence à Sciences Po Paris, organisée par l’UEJF, le 2 juin 2005.

(5) Rappelons que Téhéran multiplie les discours sur sa volonté de détruire Israël. Voir à ce sujet Daniel Pipes, « Iran’s Final Solution Plan », New York Sun, November 1, 2005 et www.afidora.com, « Rayer Israël de la carte ».

(6) Uzi Arad, « Is Israel headed for NATO ? », Ynet Opinion,1er février 2006

(7) Frédéric Encel, ibid.

(8) Soner Capaptay, “NATO’s Transformative Power”, National Review Online, The Washington Institute for Near East Policy, April 2, 2004.

(9) Communication du Ministère des affaires étrangères israélien du 27 avril 2006

(10) Zaki Shalom, “Israel and NATO: Opportunities and Risks”, Strategic Assessment, Volume 7, #4, March 2005.

(11) The Military Balance, International Institute for Strategic Studies, 2003-2004.

(12) Ron Prosor, « La dimension atlantique d’Israël », Jerusalem Post, 24 février 2005.

(13) Zeev Boim, « A Partnership with NATO ? », Haaretz, 25 février 2005.

(14) Zaki Shalom, ibid.

(15) Frédéric Encel, « L’armée israélienne et ses spécificités géopolitiques », Hérodote, n°116, La Découverte, 1er trimestre 2005, p.144-145.

(16) Uzi Arad, « Knock, Knock: Israel Belongs to the Euro-Atlantic Community », Daily Star, 24 février 2005.

(17) Martin Van Creveld, Le Monde, 29 juin 2005, propos recueillis par Stéphanie Le Bars.

(18) Le traité de l’Atlantique Nord, 4 avril 1949, Article 5 : Les partis conviennent qu’une attaque armée contre l’une d’elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence, elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle et collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique nord.

(19) Voir « Aider l’Amérique », Revue de l’OTAN, Hiver 2001.

(20) Dagmar de Mora-Figueroa, « La réponse de l’OTAN au terrorisme », Revue de l’OTAN, Automne 2005.

(21) May Chartouni-Dubarry, Armée et nation en Israël : pouvoir civil, pouvoir militaire, Paris, Notes de l’IFRI, n°10, 1999, p.9.

(22) Shimon Peres, Un temps pour la guerre, un temps pour la paix, Paris, Robert Laffont, 2003, p.135.

(23) Ibid., p.149

(24) Alexandre Adler, J’ai vu finir le monde ancien, Paris, Hachette Littératures, coll. Pluriel, 2002, p. 141-142.

(25) Alain Dieckhoff, « Israël et la Turquie : contrastes et perspectives », in Elizabeth Picard (sous la direction de), La nouvelle dynamique au Moyen-Orient. Les relations entre l’Orient arabe et la Turquie, Paris, L’harmattan, 1993, p.152-153.

(26) Kenneth R.Weinstein, “US Strategy in the Middle East and the 2004 Presidential Election. 9/11: Towards a Redefinition of America’s role in the World”, Asia-Pacific Review, vol.11, n°2, 2004.

(27) Ronald D. Asmus, “Contain Iran: Admit Israel to NATO”, Washington Post, February 21, 2006.

(28) Le Figaro, 25 avril 2005.


Texte repris du site www.afidora.com