5.2.09
Israël-Turquie : ‘Je t’aime, moi non plus’
Par Thomas Zylberstein
pour Guysen International News
Un rapprochement semble s’être opéré entre la Turquie et Israël mardi 3 février après le mois d’amertume qui a suivi l’opération ‘Plomb durci’ à Gaza. « Nous regardons désormais vers l’avenir » a fait savoir le Vice-premier ministre Cemill Cicek, avant d’ajouter que la Turquie « ne prend pas pour cible Israël ni le peuple israélien ».
De son côté, Yigal Palmor, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien a déclaré en réponse que « les relations entre les deux pays sont importantes pour Israël et nous voulons les protéger ».
Les relations bilatérales entre la Turquie et Israël semblaient pourtant fortement endommagées depuis les accusations du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. Celui-ci avait notamment affirmé qu’Israël avait commis « des actes inhumains qui le mènerait à la destruction » pendant l’offensive de 22 jours dans la bande de Gaza.
« Allah punira tôt ou tard ceux qui transgressent les droits des innocents » avait-il in
vectivé. Le 13 janvier il avait déclaré devant le Parlement turc que les « médias à la solde des Juifs » ne montraient pas qu’Israël prenait intentionnellement pour cible des écoles, des mosquées et des hôpitaux à Gaza.
La semaine dernière encore, des hauts responsables israéliens reconsidéraient le rôle de la Turquie comme médiateur dans la région et les relations entre Israël et la Turquie en matière de défense. Or aujourd’hui, les responsables des deux pays semblent s’être mis au travail pour recoller les morceaux. « Nous donnons une importance particulière à nos relations bilatérales avec Israël et nous voulons préserver des liens avec ce pays » a déclaré M. Cicek.
De son côté, un haut responsable de la diplomatie israélienne a indiqué : « Nous continuerons d’avoir de proches relations avec la Turquie, même avec le parti AKP (islamiste) de M. Erdogan », avant de préciser cependant : qu’il n’y aura « aucune communication avec Erdogan lui-même. Il est allé trop loin, et nous ne pouvons tout simplement pas lui faire confiance à nouveau. Il ne s’est même pas donné la peine de s’excuser ».
La rhétorique du Premier ministre turc dirigée contre Israël s’était accompagnée de manifestations de masse contre Israël, suivies d’une avalanche d’incidents antisémites contre des propriétés juives dans le pays qui ont posé de sérieux problèmes de sécurité pour la communauté juive de Turquie vieille de 5 siècles. Il y a actuellement 23 000 Juifs dans ce pays majoritairement musulman et peuplé de 70 millions d’habitants.
Une ambiance particulièrement lourde qui a d’ailleurs conduit, lundi 2 février, un groupe juif-américain de premier plan à suggérer qu’il pourrait envisager de soutenir les efforts des Arméniens visant à ce que le génocide arménien perpétré par les turcs en 1915 soit reconnu.
Un dossier délicat que la Turquie ne tient pas spécialement à voir ressortir des tiroirs.
La veille, dans ce qui a semblé après coup être une réponse à cette menace, M. Erdogan avait déclaré que la Turquie n’avait pas de tradition d’antisémitisme et que la haine du Juif était un « crime contre l’humanité ».
Mardi 3 février, après l’incident entre le président israélien Shimon Peres et M. Erdogan à Davos la semaine passée, le Premier ministre turc a insisté sur le fait que la critique de l’offensive israélienne à Gaza n’était pas de l’antisémitisme et que les résidents juifs de Turquie étaient en sécurité. « Il n’y a pas la moindre trace d’antisémitisme dans toute l’histoire de ce pays » a affirmé M. Erdogan, ajoutant que les Juifs, « en tant que minorité, ils sont nos citoyens. Nous garantissons leur sécurité comme leur liberté de culte ».
La communauté juive a salué les déclarations du Premier ministre turc et celles d’autres hauts responsables expliquant que l’antisémitisme ne serait pas toléré. Elle a d’ailleurs noté une baisse, depuis le cessez-le-feu entré en vigueur le 18 janvier, de ce qu’elle a qualifié de « manifestations antisémites » lors des rassemblements populaires contre Israël au moment de l’offensive.
Musevi Cemaati, à la tête de la communauté juive de Turquie, a déclaré néanmoins qu’un « certain nombre de journalistes et d’intellectuels avisés et impartiaux ont souligné qu’il ne s’agit en rien d’une guerre de religions ».
La Turquie est un pays qui a du mal à assumer ses contradictions entre ses institutions laïques et sa gouvernance islamiste. Des contradictions qui se retrouvent dans sa gestion de l’antisémitisme, galvanisé par une base populaire musulmane et condamnée par son élite éclairée et cosmopolite.
Israël n’en est pas moins déboussolé. Il y a d’un côté le génocide arménien, qui au regard de l’Holocauste ne peut être passé sous silence par l’Etat juif, et le soutien affiché de la Turquie aux musulmans de la région. Puis il y a les relations bilatérales économiques approfondies avec la Turquie qui comprennent de nombreux accords portant sur l’armement et la défense.
Dans de telles situations la raison, symbolisée par les intérêts à long terme, l’emporte toujours. C’est pour cela que, malgré les disputes, la rupture n’est pas encore consommée entre Israël et la Turquie.