par Daniel Pipes
5 février 2008, version provisoire
«Écoutez-moi attentivement», disait le président égyptien Hosni Moubarak à un interviewer le 30 janvier dernier. «Gaza ne fait pas partie de l’Égypte et n’en fera jamais partie (…). J’entends parler d’un projet qui consisterait à transformer la Bande en une extension de la péninsule du Sinaï, à se décharger de sa responsabilité sur l’Égypte» mais Moubarak ne veut voir là qu’un «simple rêve».
Cela n’a rien d’un rêve. C’est en fait la réalité qui a émergé depuis le 23 janvier, lorsque les agents du Hamas ont détruit de larges segments du mur séparant Gaza de l’Égypte. Ce geste inattendu a signalé au monde que les Palestiniens étaient empêchés de quitter leur territoire et de commercer avec l’extérieur par un embargo égyptien tout autant que par celui d’Israël.
Vu que les Gazaouis se sont montrés incapables d’assumer leur autonomie politique et que Le Caire a tacitement autorisé la contrebande d’armes depuis 2000, Moubarak doit être rendu responsable de la Bande de Gaza. Comme je l’indiquais dans mon article de la semaine passée, «Washington et d’autres capitales devraient déclarer que l’autonomie expérimentale de Gaza s’est soldée par un échec et pousser le président égyptien Hosni Moubarak à faciliter les choses».
Le Hamas est en partie d’accord: l’un de ses leaders, Ismail Haniyeh, espère que Gaza pourra «évoluer dans le sens d’un désengagement économique d’avec l’occupation israélienne», et un autre, Ahmad Youssef, souhaite que la frontière entre Gaza et l’Égypte soit ouverte aux échanges commerciaux et que l’Égypte serve à Gaza de «passerelle» vers le monde extérieur. D’autre part, le Hamas promet que la fermeture de la frontière par Le Caire le 3 février ne fera pas revenir les choses en arrière et les Frères musulmans d’Égypte, un mouvement allié au Hamas, exige que cette frontière soit ouverte. Moubarak peut-il ignorer ces revendications, qui sont populaires parmi les Égyptiens? En fait, Gaza a déjà commencé à s’imposer à une Égypte récalcitrante.
Certains Israéliens souhaitent favoriser cette issue. Matan Vilnai, ministre adjoint de la défense israélien, par exemple, soutient que Le Caire devrait reprendre les rênes au plan économique. «Si Gaza est ouverte de l’autre côté, nous n’en sommes plus responsables. Or nous voulons cesser de leur fournir de l’électricité, de l’eau et des soins médicaux.» La Cour suprême israélienne ayant décidé le 30 janvier que le gouvernement est en droit de réduire les fournitures en fuel et en électricité à Gaza, la séparation est possible.
Comment accomplir le transfert de Gaza? Robert Satloff, du Washington Institute for Near East Policy, me suggère que Jérusalem annonce trois choses: «une date fixe pour l’interruption de l’approvisionnement par Israël en eau et en électricité et la suppression des accès commerciaux; le libre passage pour des services de remplacement via l’Égypte; et un appel au soutien international afin de relier Gaza au réseau électrique égyptien.» Giora Eiland, un ex-conseiller israélien à la sécurité nationale, préconise aussi de détacher Gaza de son union douanière avec Israël et la Cisjordanie.
Ces initiatives israéliennes permettraient de forcer la main des Égyptiens. Bien sûr, ceux-ci tenteront de restaurer la frontière, avec l’aide du Fatah, et même du Hamas, et de replacer la responsabilité sur Israël. Mais en fin de compte, la solidarité arabe exige que les «frères» égyptiens assument ces charges, à la place de l’ennemi israélien. Une fois que Jérusalem aura coupé l’approvisionnement, Le Caire n’aura pas d’autre choix que de prendre le relai. Ensuite, la dépendance économique intensifierait l’implication de l’Égypte, ce qui aurait d’autres conséquences.
* Cela ranimerait l’ancienne idée qui consistait à résoudre le conflit israélo-arabe via une solution sur trois axes, avec l’Égypte, Israël et la Jordanie.
* Le Hamas pourrait être mis en liaison avec son organisation parente, les Frères musulmans. En fait, les forces de sécurité égyptiennes ont déjà arrêté au moins 12 membres armés du Hamas en Égypte ainsi que d’autres Gazaouis en possession de ceintures d’explosifs. Ainsi, le contrôle et l’expulsion de la violence islamiste dans Gaza deviendra une priorité égyptienne – mais Moubarak a déjà géré les problèmes posés par les islamistes pendant les 27 années de sa présidence et il peut affronter ce nouveau défi avec des moyens dont Israël ne dispose pas.
* Le Hamas et le Djihad islamique seront moins libres d’attaquer Israël. Oui, les Égyptiens veulent que des roquettes s’abattent sur Sdérot, mais Le Caire sait que la poursuite de ces actions déclencherait des ripostes israéliennes et peut-être une guerre totale.
Empêcher les Gazaouis de créer des troubles en Égypte ou d’attaquer Israël implique d’installer de lourdes infrastructures policières sur leur territoire. Cela exigerait probablement un assouplissement des restrictions draconiennes imposées au déploiement des forces égyptiennes à proximité de la frontière avec Israël prévues par l’annexe I du traité de paix israélo-égyptien de 1979. Fort heureusement, les services de sécurité égyptiens à Gaza n’auraient besoin que d’armes légères et la Force multinationale et observateurs de la péninsule du Sinaï pourrait ajouter des contrôles correspondants à ses fonctions actuelles.
Bref, Gaza peut être transférée à l’Égypte avec l’assurance que les Égyptiens devront l’accepter et devront entraver les attaques des Gazaouis contre Israël. Mais le démarrage de ce «processus de paix» exigera d’Israël et des États occidentaux une imagination et une énergie dont ils ne sont pas coutumiers.