25.4.08

" LA GUERRE DE 60 ANS POUR L'HISTOIRE D'ISRAEL "

Ou les méfaits des 'nouveaux historiens
E. Karsh

Article paru en anglais dans inFocus Vol. II/1 Printemps 2008,
Jewish Policy Center
http://www.jewishpolicycenter.org/


Titre original : "The 60-Year War For Israel's History".





Traduction française : Menahem Macina, pour upjf.org.





Depuis la Fondation de l'Etat d'Israël en 1948, on a assisté à deux conflits simultanés entre ce pays et les Arabes. Le premier de nature militaire, s’est déroulé sur les champs de bataille, avec ses héros, ses martyrs, ses traîtres et ses victimes. Le second conflit est moins sanglant, mais non moins incendiaire, c'est celui de "la culpabilité historique" concernant la guerre de 1948 et le déplacement de nombreux Arabes palestiniens.

La version israélienne considère que les Palestiniens se sont eux-mêmes infligé la tragédie qui a résulté de leur rejet véhément de la Résolution de l'ONU de 1947, appelant à créer deux Etats en Palestine, et de la tentative violente des Etats arabes d'étouffer l’Etat d’Israël naissant. A l'opposé, les Palestiniens considèrent l’épisode comme résultant de la stratégie sioniste pour les déposséder de leur terre.



Les "nouveaux historiens"

Vers la fin des années 80, la version palestinienne [de l'histoire du conflit palestino-israélien] a été renforcée par l'intervention d'un groupe d'Israéliens, qui s'intitulent "nouveaux historiens", et prétendent réécrire l'histoire du sionisme de façon systématique, déformant l'histoire de la lutte de l'Etat israélien pour sa survie. Les agresseurs [arabes] sont présentés comme de malheureuses victimes, tandis que les victimes deviennent les agresseurs. Dans cette rétrospective révisionniste, on parle rarement du fait que les Arabes n’ont pas fait mystère de leur détermination à détruire la nation juive, dès les années 1920, ni des efforts obstinés des Juifs qui cherchaient à parvenir à une coexistence pacifique. Le sionisme est dépeint, au contraire, comme un mouvement agressif et expansionniste, une conséquence de l'impérialisme rapace de l'Europe. Selon Avi Shlaim, un de ces "nouveaux historiens", Israël est "une superpuissance agressive et dominatrice", alors que les Arabes palestiniens ne sont que des "victimes".

Conscients de ce que leurs principaux arguments et "révélations" étaient déjà contredits par les travaux d’ « auteurs israéliens, sans parler d’auteurs palestiniens, arabes et occidentaux », comme le note Shlaim, les "nouveaux historiens" ont fondé leur légitimité sur leur prétendue utilisation de documents récemment déclassifiés, provenant des archives de l'époque du Mandat Britannique et des débuts de l'Etat d'Israël. Cette prétention a été démystifiée, entre autres, par l’aveu surprenant de Benny Morris, de l'Université Ben Gourion de Béer-Shéva.

Dans sa recherche pour la rédaction de "Naissance du problème des Réfugiés Palestiniens - 1947/49" [ci-après, "Naissance…", l'ouvrage des "nouveaux historiens", qui a exercé le plus d’influence, Morris n'a pas pu avoir accès aux Archives de l’Armée de Défense d’Israël (IDFA), ni à celles de la Haganah, ni à d’autres documents militaires, de moindre ou de première importance, entreposés ailleurs. Ce qui ne l’empêche pas d’insister, en ces termes :

« Les nouveaux matériaux auxquels j'ai eu accès au cours de ces dernières années tendent à confirmer et à corroborer les grandes lignes des descriptions, analyses et conclusions de l'ouvrage. »

Cette affirmation est très accablante. En effet, ce qui faisait la valeur des travaux de Morris et de ses collègues c’était leur affirmation d'avoir fait des recherches sur des preuves documentaires désormais accessibles. C’étaient ces preuves, affirmaient les "nouveaux historiens", qui avaient nécessité une réévaluation de l’histoire israélienne. Mais voici que Morris admettait qu'il « n'avait pas eu accès" aux volumineuses archives des Institutions d'Israël, dont les actions de 1948 formaient la base de son acte d’accusation, ou qu’il n’était "pas au courant » de l’existence de ces documents.

Morris et d'autres "nouveaux historiens" ne sont pas parvenus à étayer et à corroborer leurs conclusions fondées sur les sources antérieurement disponibles. Ce qu’ils ont confirmé était ce qui était déjà connu, à savoir, que la responsabilité de l'effondrement et de la dispersion de la société palestinienne incombait en grande partie aux dirigeants palestiniens et arabes, et non aux sionistes.



Les contrefaçons de Morris

Un examen minutieux révèle que Morris et d’autres "nouveaux historiens" se sont livrés à une falsification systématique de preuves. Il apparaît qu’ils ont inventé une histoire arabo-israélienne qui correspond aux vues politiques dont ils font la promotion. Les méthodes vont de l'acte "innocent" qui consiste à tirer des conclusions erronées à partir de documents, jusqu'à tronquer de façon tendancieuse des matériaux originaux de manière à en fausser le sens initial, et même à réécrire intégralement les textes originaux pour leur faire dire des choses qui ne correspondaient pas à leur intention. Deux exemples brefs méritent d’être mentionnés.

Dans une lettre de 1937, adressée à son fils, Ben Gourion, le Premier ministre d'Israël, écrivait:

« Nous n’avons ni l’intention ni le besoin d'expulser les Arabes et de prendre leur place. Toutes nos aspirations sont fondées sur l'hypothèse – que prouvent tous nos actes – qu'il y a assez de place pour nous et pour les Arabes en Palestine. »

Pourtant, dans "Naissance…", Morris prétend que Ben Gourion a écrit l'inverse, à savoir Nous devons chasser les Arabes et prendre leur place. Curieusement, dans ses écrits en hébreu, Morris reproduit à la lettre les termes de Ben Gourion, peut-être parce qu’il sait que les lecteurs hébréophones pourront vérifier sur l’original.

Dans un autre article, Morris déforme les propos prononcés par Ben Gourion lors d'une réunion de cabinet, le 16 juin 1948:

« Nous n'avons pas commencé la guerre. C’est eux qui ont fait la guerre. Jaffa est parti en guerre contre nous. Haïfa de même. Et je ne veux pas que ceux qui ont fui reviennent. Je ne veux pas qu'ils fassent encore la guerre. »

La phrase-clé : « Je ne veux que ceux qui ont fui reviennent », ne figure tout simplement pas dans la transcription du compte-rendu de la réunion, dans lequel on lit ce qui suit :

« Nous n'avons pas commencé la guerre. C’est eux qui ont fait la guerre. Jaffa nous a fait la guerre. Haïfa nous a fait la guerre. Beit Shéan nous a fait la guerre. Et je ne veux pas qu'ils fassent encore la guerre. »

A nouveau, dans la version hébraïque de son article, hébreu Morris n'a pas déformé les propos de Ben Gourion.



Quel est le risque ?

La discipline historique et la rigoureuse recherche des vérités de notre passé, ont pour caractéristique de s’abstenir de déformer les faits. Mais, dans le domaine extrêmement politisé des Etudes sur le Moyen-Orient, les "nouveaux historiens" dans les études concernant le Moyen Orient, qui sont extrêmement "politisées", les nouveaux historiens sont célébrés comme des pionniers. Ils sont considérés par leurs collègues et épigones comme des gens courageux qui 'déboulonnent' la "mythologie" sioniste, en prenant des risques professionnels considérables.

Pourtant, les "nouveaux historiens" n’ont pas eu à faire face au moindre risque pour leur carrière. Les facultés de Lettres et de Sciences sociales de la plupart des universités israéliennes, européennes et même israéliennes sont dominées par des universitaires qui ont les mêmes conceptions. En fait, les "nouveaux historiens" sont devenus des personnalités célèbres et ont tiré profit de leur prestige. Ils ont des accords littéraires pour leurs livres et des occasions de voyages qui leur permettent de faire part de leurs "trouvailles" au monde entier. D’où la plaisanterie du journaliste et "nouvel historien", Tom Segev : « Nous nous produisons dans les mariages et les bar-mitzva ».

Même une personnalité mineure lemme que Teddy Katz, étudiant à l'Université de Haïfa, qui a publié de fausses allégations sur un massacre israélien de Palestiniens, en 1948, dans le village de Tantour, a été invité dans des campus américains pour promouvoir ses élucubrations.



Potes des Palestiniens

Il n'est pas étonnant que la machine de propagande palestinienne ait adopté avec empressement les "nouveaux historiens". Qui mieux que des savants israéliens qui affirment avoir a accès à des documents israéliens déclassifiés, peut fournir une meilleure preuve de la validité de la version palestinienne des faits ?

D'éminents politiciens, dont le Président de l'Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, et l’avocate de l'OLP, Hanan Ashrawi, des universitaires palestiniens, y compris le défunt Edward Saïd et Rashid Khalidi, de l'Université de Columbia, ont régulièrement invoqué les thèses des "nouveaux historiens", à l’appui leurs revendications territoriales et politiques. La revue partisane, Journal of Palestine Studies, a fait des "nouveaux historiens" ses contributeurs favoris. Les sites palestiniens de propagande contiennent d’innombrables "faits" tirés de leurs écrits. On rapporte que les négociateurs palestiniens des défunts sommets de paix de Camp David (juillet 2000) et Taba (janvier 2001), ont invoqué les travaux de ces "nouveaux historiens", notamment "Naissance…", de Morris, pour tenter d’établir la la culpabilité israélienne dans la naqba (catastrophe) de 1948.



Influence sur Israël

Les Nouveaux Historiens ont également eu un profond impact sur l'opinion publique israélienne durant les années d’Oslo. Fatigués par des décennies de terreur, aspirant désespérément à la normalité, et désespérant d’une réconciliation avec les Arabes, beaucoup d'Israéliens cultivés se sont sentis attirés par la conception, factuellement erronée, selon laquelle la responsabilité du conflit incombe à leur pays. Si la réconciliation avec les Arabes n’a pu se réaliser par la dissuasion militaire, raisonnent-ils, ne peut-on envisager un nouveau départ en s’accommodant des exigences arabes, en reconnaissant la culpabilité d'Israël pour les souffrances palestiniennes, et en acceptant des concessions politiques et territoriales, du fait du "péché originel" de l'Etat juif ?

Cet état d'esprit aide à expliquer, en partie, le fait que tant d’Israéliens cultivés se sont lancés, tête baissée, dans le processus d'Oslo, et leur obstination à croire qu’il résoudrait le problème de l'intransigeance arabe. Pour eux, l’amertume et la violence palestiniennes ont rendu plus nécessaire que jamais d’accepter l’idée de la culpabilité israélienne. Convaincus de ce que les griefs arabes avaient pour origine l'agression israélienne, beaucoup d’Israéliens ont cru que cette violence pouvait être circonscrite par la conciliation et des concessions.

Tout au long des années 90, l'interprétation du conflit par les "nouveaux historien" a pris de plus en plus de place dans l’esprit des Israéliens, dans les principaux médias et même dans le contenu de l’enseignement israélien. « Il y a seulement dix ans, presque tout cela était tabou, disait fièrement au New York Times l'auteur d'un nouveau manule scolaire de terminale. « Maintenant nous pouvons en traiter comme les Américains l'ont fait pour les Indiens et l’esclavage des Noirs. »



Adopter la "Nouvelle Histoire" sous la menace des armes


Même la guerre terroriste de septembre 2000 (dénommée également Intifada d'al-Aqsa), que nous ont imposée les Palestiniens, n'a pas réussi à éveiller l’attention de nombreux Israéliens aux dangers des "nouveaux historiens". En fait Israël a continué ses négociations de paix, alors même qu’Arafat disait clairement qu'il avait déclenché une guerre pour "libérer" Jérusalem.

Shlomo Ben Ami, l’un des négociateurs israéliens, louait la contribution des "nouveaux historiens" au processus politique, en ces termes :

« Les négociations sont une lutte entre versions des faits, et les "nouveaux historiens" ont sans aucun doute contribué à renforcer la conviction palestinienne de la validité de leur version [...] les négociateurs israéliens sont arrivés à la table de négociation avec des perspectives façonnées par la recherche récente. »

Ben Ami était tellement impressionné par cette " recherche récente", qu'il confia au "nouvel historien" de l'Université d'Oxford, Avi Shlaim, la tâche de lire le manuscrit de son livre de 2006 sur le conflit arabo-israélien.



Le refrain est toujours le même


Des années après la mort du processus d'Oslo, les effets délétères de cette "nouvelle histoire" se font encore sentir. Le climat intensément antisémite et hostile à Israël, qui s’est fait jour après le déclenchement de l'Intifada, ne s'est pas dissipé. L’abominable équivalence entre le sionisme et le nazisme est devenue un lieu commun, parallèlement à des théories conspirationnistes incongrues concernant la mainmise juive et israélienne sur les affaires du monde. Il y a eu, dans toute l'Europe, une montée en puissance d'attaques contre des cibles juives, comme on n’en avait pas vues depuis les années ’30.

Là aussi les "nouveaux historiens" ont joué un rôle. Prenons, par exemple, le rapport, dont on a fait un livre, de Stephen Walt et John Mearsheimer sur la prétendue prise en otage de la politique étrangère américaine par une impitoyable cabale juive toute acquise à Israël ! Walt et Mearsheimer citent la "nouvelle histoire" pour tenter prouver de prétendus mauvais traitements infligés aux Palestiniens par Israël. D’ailleurs, ces deux théoriciens ont tellement cité les "nouveaux historiens" que leur livre s’est attiré une riposte courroucée de Morris qui prétend avoir été cité de manière erronée et hors contexte.

Morris a-t-il eu un léger frisson de conscience pour les dégâts indicibles qu'il a causés à Israël et à la science historique ? Non content de fustiger Walt et Mearsheimer, il s'est mis à critiquer Yasser Arafat et la campagne de terreur de l’Autorité palestinienne, après l'échec des pourparlers de Taba. Mais même après qu’il se soit efforcé de réparer une partie des dommages causés, Morris a publié une nouvelle version de "La naissance…", qui ressasse quelques-unes de ses pires tromperies anti-israéliennes et réécritures de l'histoire.

D'autres "nouveaux historiens", dont Avi Shlaim et Ilan Pappe, n'ont apparemment pas eu d’inquiétudes. Pappe a prétendu faussement avoir été persécuté par son université, offrant ainsi un prétexte au boycott de l'Université de Haifa, en 2005, par l'Association des professeurs d'université de Grande Bretagne (AUT), forte de 48 000 membres. Lors de ses innombrables tournées et prestations médiatiques, Ilan Pappe se moque de l'Etat Juif, qu’il présente comme un implant raciste, artificiel et colonialiste, au Moyen Orient, qui mérite d’être extirpé comme l’ancien régime ségrégationniste d'Afrique du Sud. Il est rejoint pas Shlaim qui, ces dernières années, est devenu un partisan de la "solution à un Etat" [en Palestine], euphémisme pour le remplacement d’Israël par un Etat arabo-musulman, et la réduction des Juifs à l’état de minorité permanente.

Malgré son support ouvert au suicide politique [d'Israël], et ses falsifications malveillantes de l'histoire israélienne, Shlaim a été invité récemment à parler au Centre Dayan de l'Université de Tel Aviv pour les Etudes sur le Moyen-Orient et l'Afrique. Cette invitation offre un triste exemple du malaise intellectuel qui afflige l’institution universitaire israélienne, et plus généralement le public israélien, un malaise auquel les "nouveaux" historiens ont apporté une grande contribution destructrice.



Efraim Karsh *



© InFocus The Jewish Policy Center



* Efraim Karsh, professeur et responsable des Etudes Méditerranéennes au King College de Londres, auteur du livre récent "L'impérialisme islamique: une histoire".



Mis en ligne le 25 avril 2008, par M. Macina, sur le site upjf.org