Le 6 octobre 1973, l’armée égyptienne franchit le canal de Suez à la faveur de la fête juive du Yom Kippour, le Grand Pardon, pendant laquelle se recueillent beaucoup d’Israéliens.
Son armée ne compte pas moins de 1500 chars, 222 bombardiers et près de 300.000 hommes. Elle prend à revers les troupes israéliennes qui stationnent dans le Sinaï depuis leur victoire triomphale de juin 1967.
Les alliés syriens de l’Égypte (100.000 hommes) lancent au même moment 3 divisions blindées et 1000 chars sur le plateau du Golan, également occupé par les Israéliens depuis 1967. En quatre jours, ils s’emparent du mont Hermon et de la ville de Qunaytra.
Le pari osé de Sadate
Ayant succédé à la tête de l’Égypte au prestigieux Nasser, le président Anouar el-Sadate a pris l’initiative de cette guerre pour venger les Arabes de leurs humiliations passées et consolider sa légitimité auprès de ses concitoyens.
C’est la quatrième fois que se heurtent les armées arabes et israéliennes après la guerre de 1948, consécutive à la proclamation de l’indépendance de l’État d’Israël par l’ONU, l’opération israélo-franco-britannique de Suez en 1956 et la guerre des Six Jours en 1967.
Les Israéliens éprouvent cette fois la plus grande peur de leur Histoire mais ils reprennent rapidement leurs esprits et jettent toutes leurs forces dans la bataille (275.000 soldats). Ils ripostent aux Syriens avec leurs chars, anéantissent l’aviation ennemie et s’engagent sur la route de Damas, la capitale syrienne.
Sur le front sud, le 15 et le 16 octobre, les troupes blindées du général Ariel Sharon repassent le canal de Suez dans l’autre sens et établissent une tête de pont qui menace la vallée du Nil et Le Caire. Plus sérieusement, ils encerclent la troisième armée égyptienne qui s’était trop vite aventurée de l’autre côté du canal, dans la péninsule du Sinaï. 2.000 chars égyptiens sont détruits. Les pertes humaines du côté arabe ne sont pas chiffrées. Quant aux Israéliens, ils ont à déplorer 3.000 morts, un chiffre important au regard de leur population.
Le 23 octobre, l’Égypte accepte le cessez-le-feu après que l’ONU, à New York, eût appelé les belligérants à négocier (résolution 338 du Conseil de sécurité).
La Syrie l’accepte à son tour le lendemain... Seul l’Irak refuse toute négociation. A vrai dire, il n’a pas grand chose à craindre des Israéliens vu l’éloignement du front.
Le 11 novembre, Israéliens et Égyptiens signent un accord au kilomètre 101 suite auquel ils reviennent sur leurs positions d’avant le conflit.
Malgré la défaite des armées égyptienne et syrienne sur le terrain, Sadate peut se flatter d’avoir gagné son pari. Il a fait peur aux Israéliens et mobilisé les peuples arabes en sa faveur. Il va tirer parti de son relatif triomphe pour engager la tête haute des négociations de paix avec l’ennemi juré (Camp David, 1978)... Elles lui coûteront la vie !...
Les aspects inédits de la guerre du Kippour
La guerre du Kippour a vu pour la première fois l’utilisation de l’arme du pétrole. Onze pays arabes producteurs de pétrole n’ont pas hésité à interrompre leurs livraisons aux pays alliés d’Israël, parmi lesquels les États-Unis, le Portugal, l’Afrique du Sud... et les Pays-Bas, membre de la Communauté européenne, pour faire pression sur eux.
Les gouvernements de la Communauté (aujourd’hui, l’Union européenne) se sont bien gardés d’afficher leur solidarité avec celui des Pays-Bas... témoignant ainsi de la fragilité de la diplomatie occidentale face aux enjeux économiques et de politique intérieure (le sacro-saint « prix de l’essence à la pompe » !). Il n’empêche que la guerre et le blocus du pétrole ont débouché sur le premier « choc pétrolier » de l’Histoire, avec une hausse brutale du prix du baril.
D’un point de vue militaire, la guerre du Kippour apparaît comme un « conflit charnière » entre un mode de combat qui est le fruit de la seconde guerre mondiale et celui né de l’application systématique des nouvelles technologies à l’outil militaire. Pour la première fois depuis 1945, un théâtre d’opérations mécanisé de haute intensité donne un aperçu de ce qu’aurait pu être un affrontement majeur entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie.
Les trois semaines de cette guerre ont véritablement bouleversé la perception du combat dit « technologique » et les enseignements que l’on peut en tirer sont transposables sur de nombreuses autres batailles. Il va de soi que nous n’avons pu traiter de tous les concepts ; seuls les plus importants ont fait l’objet d’une courte analyse.
- Les missiles : ces armes devenues banales
La guerre du Kippour a vu se généraliser l’emploi des missiles. L’efficacité de ceux-ci est en outre loin d’avoir atteint les résultats fabuleux affichés par les belligérants. Pourtant, la banalisation des missiles a changé la perception du combat aéroblindé (synergie entre le combat aérien et blindé pour optimiser les résultats finaux).
La guerre électronique plus présente que jamais
Sans la maîtrise des technologies permettant de développer le renseignement de types électronique et électromagnétique que sont la détection, le brouillage des missiles, l’identification des engins ennemis par infrarouge et les radiotélécommunications, il n’eut pas été possible de gagner cette guerre pour les Israéliens. Eux qui n’avaient pas toujours utilisé ces techniques à bon escient, surtout au début de la guerre du Kippour, en ont tiré les leçons au Liban, en juin 1982.
- L’apparition des drones
Les drones de type Teledyne Ryan-124 Firebee (BQM-34-A), véhicules aériens sans pilote, jouèrent un rôle efficace dans la guerre du Kippour. Ils servirent principalement aux opérations de reconnaissance et de surveillance, ainsi qu’aux opérations à haut risque. Technologie nouvelle au début des années 1970, les Israéliens étaient les seuls à avoir utilisé ces engins. Leur nombre n’était pas impressionnant et beaucoup furent détruits par les Égyptiens et les Syriens. Mais ils étaient en amont d’un processus d’information par l’image.
- L’omniprésence des avions de reconnaissance
Contrairement aux aviateurs arabes, les Israéliens menèrent de nombreuses missions de reconnaissance aérienne dans les quartiers généraux et sensibles égyptiens et syriens. L’aviation israélienne utilisa des 6 RF-4 Phantom. Ces bijoux technologiques, pour l’époque, réalisaient chacun deux missions de reconnaissance chaque jour. Aucun d’entre eux ne semblait avoir été perdu. Ce qui prouva leur efficacité de discrétion.
Néanmoins, les laps de temps entre les survols des objectifs mobiles et les analyses des photographies prises à la suite de ceux-ci s’étaient révélés beaucoup trop longs, car les cibles avaient pu se mouvoir en quelques heures. C’est là une première erreur. Enfin, et plus grave encore, les Israéliens confiaient généralement l’analyse des résultats des missions de bombardements aux mêmes pilotes, plutôt qu’à des spécialistes de l’infanterie ou à des appareils de reconnaissance. Voilà ce qui peut expliquer que l’aviation de reconnaissance israélienne ne disposait pas toujours d’informations de premier ordre.
- Les satellites de reconnaissance
En 1973, les Américains avaient placé sur orbite deux satellites de reconnaissance. Le premier, un Big-Bird, était en vol orbital depuis le 13 juillet 1973 ; le second, un KH-8, avait été lancé le 27 septembre 1973, à la suite des rapports rédigés par la CIA qui voyait d’un mauvais oeil les actions arabes menées contre Israël. Selon toute vraisemblance, les Américains n’auraient pas lancé d’autres satellites. Le rôle de ces engins fut donc minime dans le camp américain. Cependant, les photographies d’une qualité inconnue auparavant prises par ceux-ci permirent d’éviter certains conflits, principalement près du canal de Suez.
Contrairement aux États-Unis, l’URSS voulut innover dans le secteur des satellites espions pour déjouer les plans de l’ennemi. Les satellites russes avaient donc surtout servi à prolonger un peu plus le combat, le temps que les deux grandes puissances puissent s’accorder sur les termes d’un cessez-le-feu acceptable par l’ensemble des parties au conflit. -
Bibliographie :
Principal ouvrage de référence : P. Razoux, La guerre israélo-arabe d’octobre 1973. Une nouvelle donne militaire au Proche-Orient, Paris, 1999.
Christophe Burgeon, doctorant et agrégé en histoire
Source : Herodote.net