Kémi Séba, leader de Tribu Ka
«On me traite de nazi noir»
Ce provocateur extrémiste a d'abord dénoncé les «diables blancs». Aujourd'hui, il prétend combattre «l'impérialisme atlanto-sioniste». Itinéraire d'un «black» devenu brun
Debout à la barre, il plaide, déclame, plaisante, alterne effets de manche et effronteries. «Je vous remercie infiniment de poser cette question, Monsieur le Président», répète-t-il à tout bout de champ. Le magistrat finit par s'énerver : «Vous n'êtes pas obligé de me remercier pour toutes les questions qu'on vous pose.» Le leader noir lance un oeil goguenard à ses disciples, puis dénonce les «intérêts sionistes» et leurs défenseurs, «Crif» et «Sarkozy» en tête, les «bavures» policières, les «nègres domestiques, proches des maîtres»... Déjà condamné pour «outrages», «provocation à la haine raciale», «propos antisémites», l'homme a l'habitude de transformer les prétoires en tribunes. Ce 3 octobre 2008, c'est à nouveau le cas devant la 11e chambre de la cour d'appel de Paris. Stellio Capochichi, alias Kémi Séba, est accusé de «reconstitution» de son mouvement, Tribu Ka, dissous en 2006. Il venait alors d'effectuer avec ses troupes une des cente rue des Rosiers, au coeur du quartier juif de Paris. En première instance, il a été condamné à six mois de prison dont quatre avec sursis. «Après 400 ans d'esclavage, proclame-t-il. Je n'ai pas peur de la prison.» Il vit de procès et d'internet, d'outrance et de provocation. Chaque coup d'éclat est consigné dans une vidéo postée sur la toile.
Lors de son apparition bruyante sur la scène publique, Stellio Capochichi dirigeait un groupuscule radical interdit aux «leucodermes», aux Blancs. Une quasi-secte qui se réclamait de l'Egypte pharaonique, présentée comme le berceau noir des civilisations. Il était le «Fara», le chef du parti «kémite», mot tiré de «kem», noir en égyptien ancien. Deux ans plus tard, il se fait toujours appeler «Kémi Séba», l'étoile noire, mais ne voue plus un culte à Aton, Horus ou Osiris. Il s'est converti à l'islam, rasé la tête, laissé pousser une barbiche à la saoudienne et courtise maintenant les dirigeants iraniens. Il entend rassembler tous les «damnés de la terre» contre «l'impérialisme atlanto-sioniste».
Au passage, il a élargi ses soutiens, comme le prouve la petite foule massée ce jour-là au palais de justice de Paris. Aux militants noirs de l'ex-Tribu Ka, vêtus à l'instar de leur chef du complet anthracite de rigueur, s'ajoutent de jeunes beurs, un keffieh autour du cou, et une poignée de militants de l'ultradroite, comme Thomas Werlet, qui se déclare «national et socialiste», mais «pas nazi», précise- t-il. Des convergences qui inquiètent les policiers restés très attentifs aux moindres agissements de la Tribu Ka. «C'est un grand rassemblement de psychopathes, déclare l'un d'eux. Il y a des mecs des deux extrêmes et même un nationaliste breton.»
Une semaine plus tard, Stellio Capochichi prend place dans l'arrière-salle d'un café en compagnie de cinq fidèles, toujours en uniforme noir. Il se lance dans une longue harangue, comme celles qu'il met en ligne sur Dailymotion, pleine d'omissions et de sous- entendus. Il évoque «des communautés fermées», des puissances «occultes» qui «dirigent le pays». Lesquelles ? Mystère. «On me traite de nazi noir, comment voulez-vous que je joue la transparence ?» Il se déclare «africain». Né à Strasbourg en 1981, il rejette sa nationalité française et ironise sur ses parents «en quête d'intégration», «des intellos de gauche» issus du Bénin «qui n'ont pas été traités en accord avec leurs diplômes». Très vite, il abandonne le lycée, part à Los Angeles et rejoint Nation of Islam. Un groupe afro-américain qui prêche une séparation totale avec les «diables blancs» créés par «manipulations génétiques» dans des temps ancestraux. «J'y ai appartenu deux ans, dit Stellio Capochichi. On devait être une dizaine sur Paris.»«Dans le cadre d'une croisière», il découvre ensuite l'Egypte, ses momies, ses pyramides.
De ses différents périples naît la Tribu Ka. Ka pour «Kémite Atonienne». «C'est un salmigondis mal digéré», selon l'historien Pap Ndiaye (1), qui mêle aux théories de (l'anthropologue sénégalais) Cheikh Anta Diop sur l'Afrique, «matrice de l'humanité», les délires antisémites de Louis Farrakhan, chef de Nation of Islam. Pour ce dernier, les juifs auraient dominé le trafic d'esclaves. «C'est un fait, explique Stellio Capochichi, un certain nombre de marchands juifs étaient très impliqués dans la traite.» En 2006, dans une interview, il était bien plus explicite : «Le judaïsme (...) est à l'origine de la colonisation, de l'esclavage et de la situation actuelle que nous vivons.» ?
A la tête aujourd'hui du MDI, le Mouvement des Damnés de l'Impéria lisme, il revendique 400 cotisants et déclare livrer une «guerre totale contre le sionisme, mais politique. On n'a jamais commis de violence». Les drapeaux israéliens brûlés aux cris de «Mort aux chacals» ? Les appels de militants à «prendre les armes» et «à mourir au front» ? «On est dans le cadre du symbole, dit-il. On nous traite comme des Palestiniens avec des checkpoints à l'entrée des banlieues.» D'ordinaire, à ses procès, il assure lui-même sa défense. Cette fois, il a pris les services de Me Isabelle Coutant Peyre, épouse et avocate de l'ex-terroriste Carlos. Une photo dans son bureau la montre avec son mari encadré par deux gendarmes. Son client est, selon elle, «un progressiste» victime «d'une affaire politique décidée au plus haut sommet de l'Etat sous la pression de certains lobbies».
Un progressisme qui ne l'empêche pas de mener des actions communes avec la droite la plus extrême. «Il vient à nos manifs, ça double les effectifs et ça casse les clichés, se félicite Thomas Werlet. Il a le même objectif que moi pour sa propre patrie.» En avril 2005, cet apprenti luthier de 25 ans avait été interpellé par les gendarmes dans une forêt de l'Essonne, déguisé en soldat du IIIe Reich. «C'était un jeu de rôle.
Deux copains portaient une chapka russe. J'avais le casque allemand. Pas de bol pour moi !» Veste tee-shirt noir, chemise grise, il dit lutter contre «la mainmise d'une catégorie infime de personnes sur le monde» et prépare «depuis plusieurs mois» un «manifeste» avec Kémi Séba et Hervé Ryssen, auteur de livres intitulés : «la Mafia juive» ou «le Talmud démasqué».
Après une brouille, Stellio Capochichi s'est de nouveau rapproché de l'humoriste Dieudonné. Il prévoit de se rendre très prochainement en Iran, où il dit avoir «beaucoup d'amis», et affirme recevoir une aide «financière et autre» d'un «proche du Guide» libyen. Vantardise ? «C'est du Barnum raciste, s'écrie Patrick Klugman, l'avocat de l'Union des Etudiants juifs, qui vient de le faire condamner pour diffamation raciale. Ce mec est un narcissique qui recherche de la pub. Mais sa dangerosité ne fait aucun doute. Quand on réunit des gens sur un tel message, il y a forcément un jour un passage à l'acte.»
(1)Auteur de «la Condition noire. Essai sur une minorité française», Calmann-Lévy (2008).
Christophe Boltanski
Le Nouvel Observateur
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