5.10.08
QARADAWI ET LE FINANCEMENT DU HAMAS EN EUROPE
Prédicateur, homme de médias, décisionnaire de l’islam contemporain et organisateur de l’islam en Europe : à ces multiples facettes du cheikh Qaradawi s’ajoute celle de président de la « Coalition de la Bienfaisance »
(et parrain du projet de construction de la mosquée de Mulhouse, ndlr Primo lire).
Derrière cette dénomination anodine se cache un réseau d’associations mis en place en octobre 2000, juste après le début de la deuxième Intifada palestinienne, afin de collecter des fonds en Europe pour les infrastructures civiles et militaires du Hamas. La Coalition de la Bienfaisance (« I’talaf al-Khayr ») a été créée sur l’initiative de Qaradawi, initialement sous le nom de « campagne des 101 jours ».
Il s’agissait en effet de mener une collecte pendant trois mois, alors que les Palestiniens venaient de déclencher la deuxième Intifada et qu’ils étaient soumis aux effets des ripostes israéliennes.
De provisoire, cette collecte est ensuite devenue permanente. Officiellement, le but était « d’atténuer les effets du blocus des territoires palestiniens ». Mais les fonds collectés, essentiellement en Europe et dans les pays musulmans, étaient destinés tant à des objectifs civils qu’à soutenir les activités terroristes du Hamas.
Cette imbrication du civil et du militaire, du terrorisme et de l’humanitaire, est caractéristique du Hamas palestinien, mais aussi de toutes les organisations islamistes, qui utilisent depuis longtemps les associations « caritatives » (aujourd’hui dénommées ONG) pour financer indistinctement la construction d’écoles, de dispensaires, et leurs opérations militaires et terroristes.
Toutes ces activités entrent d’ailleurs dans la définition très large du djihad, un des concepts les plus importants et les plus flous du vocabulaire politique de l’islam.
C’est ainsi que les associations caritatives islamistes qui collectent la « zakat » - l’impôt religieux musulman – transfèrent les fonds obtenus tantôt pour financer des activités de bienfaisance, tantôt pour le djihad au sens militaire, c’est-à-dire la « guerre sainte » contre l’Amérique et l’Occident et les attentats terroristes.
Le meilleur exemple de cette imbrication de l’action terroriste et humanitaire est fourni par Abdel-Rahman Ghandour, ancien chef de mission de Médecins sans frontière au Soudan, dans son livre Jihad humanitaire (1) :
Le cas Ben Laden illustre bien les deux extrêmes de la définition qui peut être donnée de celui qui mène le djihad : il peut être vu, même par les musulmans, soit comme un fanatique, soit comme un héros de l’islam. Le milliardaire a aussi bien financé des actions terroristes que des programmes humanitaires et de développement.
Au Soudan, de 1991 à 1996, il a investi dans l’élevage et l’agriculture de subsistance, financé la construction de routes, de barrages, d’aéroports, d’hôpitaux et monté des banques islamiques. En Afghanistan, il a financé des programmes d’aide d’urgence et de développement.
Dans le cas du Hamas, cette imbrication est bien connue de ceux qui se sont intéressés au sujet, et elle est décrite par tous les auteurs d’ouvrages sérieux sur le sujet (2).
Malgré cela, l’attitude des différents pays européens à l’égard du financement du Hamas par des associations « caritatives » installées sur leur sol a été marquée par une grande incohérence, due à l’ignorance, ou à une absence de courage politique.
Si l’on examine la liste des associations membres de la « Coalition de la bienfaisance » - telle qu’elle figure sur le site de la « campagne des 101 jours » du cheikh Qaradawi (3) – on constate que certains pays européens ont pris des mesures d’interdiction et de fermeture, tandis que d’autres n’ont strictement rien fait, ou ont mené des enquêtes qui n’ont abouti à aucune décision concrète, comme dans le cas de la France.
Les associations membres de la « Coalition de la Bienfaisance » qui ont fait l’objet de mesures d’interdiction et de fermeture en Europe sont les suivantes :
La Fondation Al-Aqsa allemande a été fermée en décembre 2004, sur décision d’un tribunal allemand.
La Fondation Al-Aqsa en Hollande a également été fermée en avril 2003, et elle a été inscrite sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne.
Au Danemark, la Fondation Al-Aqsa a fait l’objet d’une enquête en janvier 2003, qui a abouti au gel de ses avoirs financiers.
Dans les autres pays européens, les associations de la « Coalition de la Bienfaisance » sont toujours en activité, malgré les enquêtes diligentées par les services de police et les forts soupçons de financement du terrorisme dont elles font l’objet.
Ainsi, les associations suivantes sont toujours en activité : Ligue pour la Palestine (Autriche), Fondation Al-Aqsa (Belgique), Comité de Bienfaisance et de Secours aux Palestiniens (CBSP, France), Interpal (Grande-Bretagne), Les épis d’Al-Aqsa (Suède) et Association de Secours Palestinien (ASP, Suisse).
Le financement du Hamas par une association française
Le cas de la France mérite qu’on s’y arrête, tant les incohérences et la pusillanimité des autorités françaises dans leur lutte contre le financement du terrorisme palestinien sont révélatrices. Les premières enquêtes diligentées par la police au sujet du CBSP remontent à 2001.
Une première enquête a été classée sans suite en juillet 2001. Une nouvelle enquête, ouverte en mai 2002 par le procureur de la République de Nancy, a été elle aussi classée sans suite, après être parvenue à la conclusion « qu’aucune information n’a pu être recueillie tendant à démontrer que ladite association a pu constituer le relais de circuits financiers clandestins, malgré les flux très importants relevés sur ses comptes (4) ».
En août 2003, les Etats-Unis ont pris une série de mesures pour lutter contre le financement du terrorisme du Hamas. Dans ce cadre, six dirigeants du Hamas ont été qualifiés de « Specially Designated Global Terrorists » (« Terroristes internationaux spécialement désignés ») et cinq associations apportant un soutien financier au Hamas ont vu leurs avoirs aux Etats-Unis gelés.
Le 22 août 2003, le président George Bush a réclamé aux pays concernés le gel des avoirs de ces cinq associations.
Parmi ces associations figurait notamment le CBSP français, ainsi que l’Association de Secours palestinien (ASP) basée en Suisse, et Interpal basée en Angleterre.
A la suite de cette décision américaine, les autorités françaises ont diligenté une nouvelle enquête, qui s’est à nouveau conclue par un classement sans suite…
Une des raisons du classement sans suite de trois enquêtes successives est que les services de la police judiciaire ont assimilé le financement du terrorisme au blanchiment de l’argent de la drogue. L’enquête diligentée en mai 2002 faisait ainsi suite à des informations transmises par la « cellule de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins » (Tracfin).
Or il s’agit de deux choses différentes : le financement du terrorisme islamiste repose, comme l’explique Roland Jacquard, sur le principe du « blanchiment inversé ». Les activités terroristes sont en effet financées par des sources légales, et « c’est uniquement leur destination et leur utilisation finale qui sont contestables ».
L’examen attentif des réactions françaises et européennes après la décision américaine d’août 2003 montre pourtant que les autorités françaises étaient parfaitement averties des liens existants entre le Hamas et des associations « caritatives » implantées en Europe.
Cela ressort notamment de la position adoptée par les Quinze lors du sommet européen de Thessalonique en juin 2003, à laquelle a fait référence le Quai d’Orsay en réaction à la demande américaine de geler les avoirs du CBSP.
Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, avait ainsi exprimé la position européenne sur la question du financement du Hamas par des associations installées en Europe (5) :
"Le Conseil européen examine d’urgence la possibilité de renforcer les mesures contre les sources de financement du Hamas. Dans ce cadre, nous étudions au cas par cas, avec nos partenaires, la situation des associations caritatives liées au mouvement, et situées dans chacun des Etats membres de l’Union".
On ne saurait être plus clair…
Cette déclaration officielle faite par un ministre français au nom des Quinze montre que le gouvernement français est parfaitement informé des liens entre le CBSP et la « Coalition de la Bienfaisance », paravent du Hamas.
La raison véritable du classement sans suite des enquêtes françaises concernant le CBSP est donc apparemment d’ordre politique.
Paul Landau © Primo, 4 octobre 2008
* [extrait de P. Landau, Pour Allah jusqu'à la mort, Le Rocher 2008].
1 A.-R. Ghandour, Jihad humanitaire – Enquête sur les ONG islamiques, Flammarion 2002, p. 113.
2 Voir notamment Matthew Levitt, Hamas – Politics, Charity and Terrorism in the Service of Jihad, Yale University Press 2006.
3 « Liste des institutions qui participent à la coalition de la bienfaisance », publiée sur le site cbsp.free.fr/101days.
4 Yann Laurent, « Washington accuse une association française de financer le Hamas », Le Monde, 27 août 2003.
5 Yann Laurent, art. cit.