25.2.09

Internet, comment la haine tisse sa toile



Par Silvère Boucher-Lambert, Olivier Saretta



Dans ce qui reste une zone de non-droit, les réseaux antisémites ont trouvé un terrain de propagande. Au-delà des sites les plus en vue, ils usent de stratégies trompeuses pour véhiculer leurs thèses. Décryptage de ces techniques.

Livrer la bataille de l'info

Altermedia. Son nom sonne comme un site d'information. Il en a même toutes les apparences: ici des articles, là des chroniques... Sauf que c'est un site non d'information mais de propagande, où les idées les plus neutres côtoient les plus haineuses. Un article intitulé "BHL/Kouchner: une solidarité qui en dit long..." laisse planer peu de doute sur le sous-entendu. Les internautes s'empressent d'aller plus loin. Ainsi, un anonyme écrit à propos des deux hommes: "Sûrs d'eux-mêmes et dominateurs, ils ne voient pas (ou ne veulent pas voir) se lever contre eux les peuples libres, qui commencent à en avoir plus qu'assez de voir les mêmes individus partout faire la même chose: sucer le sang des goys [non-juifs]." La logorrhée s'achève par un appel:"Debout!"


A l'origine, Altermedia est l'oeuvre d'un Américain, David Duke, ancien dignitaire du Ku Klux Klan et auteur prolixe sur le "complot sioniste". Dans la trentaine de pays où le concept est aujourd'hui décliné, les sites sont animés par des militants d'extrême droite.

Un autre site, français celui-là, a déjà été condamné en référé pour la publication de textes jugés antisémites et est toujours sous le coup d'une procédure à Mulhouse: Alterinfo. Se présentant comme une "agence de presse associative", il revendique une centaine de contributeurs, ainsi que des partenariats avec des agences iraniennes, syriennes ou russes. Son but? Donner la parole aux "ignorés" des médias classiques. "Nous n'avons aucun tabou, explique le fondateur de l'agence, Zeynel Cekici, d'origine turque. Quand on se donne pour mission de dire la vérité, il faut prendre des risques." Quitte à porter la liberté d'expression au-delà des limites. "Je suis en droit de me poser des questions sur les financiers qui étaient derrière les nazis", avance ainsi Cekici. Longtemps référencée dans les pages de Google Actualités, aux côtés des médias traditionnels, Alterinfo en a été bannie en septembre 2008.

Novopress, elle, y figure toujours. Son fondateur est une figure de l'extrême droite française: Fabrice Robert. Cet ancien mégrétiste fut aussi le porte-parole d'Unité radicale, un groupuscule dissous en 2002, après la tentative d'attentat contre Jacques Chirac perpétré par l'un de ses sympathisants, Maxime Brunerie. Six ans plus tard, Fabrice Robert demeure actif dans la mouvance nationaliste; il préside l'organisation Bloc identitaire et veille sur Novopress.

Le ton est loin des provocations des sites évoqués précédemment. Il se veut plus policé. Mais la récurrence des sujets abordés (délinquance, question identitaire...) laisse peu de doute, cette fois encore, sur le parti pris des auteurs. Ainsi, un article sur l'escroquerie de Bernard Madoff apparaît sous l'étiquette "société multiraciale". Hasard? "Certains articles sont mis en ligne sans que je m'en aperçoive", se défend Fabrice Robert. Et des rédacteurs dérapent parfois. Ailleurs sur le site, un article rédigé en anglais est titré "11 septembre : la vérité est antisémite".
Opération 11 septembre

Eric Hufschmid, Willis Carto. Ces deux Américains, inconnus du grand public en France, partagent un antisémitisme forcené, dont ils ne font pas mystère. L'un le déverse sur son blog, l'autre en abreuve les pages de sa publication, la revue d'extrême droite American Free Press. Mais ils ont un autre point commun : ils ne croient pas à la thèse officielle concernant les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Pour eux, les vrais responsables sont à rechercher du côté de la communauté juive.
Il serait faux de croire que ces théories du complot n'ont aucun écho. Internet a fait la célébrité de Hufschmid et Carto, nouveaux vengeurs masqués, pourfendeurs du « prêt-à-penser » médiatique. Deux vidéos, diffusées sur la Toile depuis 2005, alimentent le phénomène : Loose Change (80 minutes) et 9/11 Mysteries (90 minutes) font figure de références pour les tenants du complot. Beaucoup ignorent que, derrière les images d'archives, les démonstrations techniques et les témoignages d'experts, se dissimule le duo Hufschmid-Carto.
Ainsi, dans 9/11 Mysteries (2006), il ne faut pas attendre plus de vingt minutes avant d'entendre le premier - présenté comme un expert en découpe des métaux - exposer son point de vue sur l'effondrement des tours new-yorkaises. Quant au film Loose Change, dont il existe trois versions, il puise une partie de ses arguments dans American Free Press. Autre constat : ses promoteurs bénéficient de moyens importants. La production de la dernière version en date (novembre 2007), baptisée Final Cut, aurait coûté 200 000 dollars - soit cent fois plus que la mouture initiale.
A ce jour, 100 millions de personnes ont regardé ces films. L'humoriste Jean-Marie Bigard et l'actrice Marion Cotillard les ont cités publiquement, exprimant, eux aussi, leurs doutes sur le 11 septembre. Avant de s'en excuser ensuite...

Semer l'ennemi

Son nom a tout d'un grognement: Aaargh, pour Association des anciens amateurs de récits de guerre et d'holocauste. Un site abject, et pourtant toujours accessible, au terme de plusieurs années de nomadisme cybernétique et de batailles juridiques.

Dès sa création, en 1995, le site est si ouvertement négationniste qu'il doit se réfugier sur un serveur aux Etats-Unis, pays dont la Constitution protège la liberté d'expression de toute censure. Huit associations parviennent malgré tout, en 2006, à faire couper l'accès au site depuis la France. Conséquence: celui-ci déménage en Belgique, où il est hébergé par un site local, Vision historique objective (VHO).




Selon Marc Knobel, rapporteur pour la Commission nationale consultative des droits de l'homme, VHO est un "vaste supermarché du négationnisme où l'extrême droite flamande cherche à unifier toutes les scories éparpillées". Des centaines d'ouvrages révisionnistes signés Robert Faurisson, David Irving ou Roger Garaudy y sont téléchargeables gratuitement. Pour l'avocat Stéphane Lilti, qui combat Aaargh depuis plusieurs années, "les poursuites n'auront même pas le temps d'être engagées qu'il sera parti ailleurs". Et Marc Knobel de conclure: "Par le passé, celui qui cherchait ce genre de littérature ne la trouvait que dans un nombre limité de librairies. En 2009, n'importe qui peut tomber sur ces succursales négationnistes, y compris par hasard."

Chercher l'image

Septembre 2007. Des vidéos porno d'un nouveau genre sont mises en ligne sur le site de partage d'images YouTube. Au bout de quelques secondes, les scènes torrides s'interrompent, laissant place à un tout autre spectacle: l'historien négationniste Robert Faurisson, en conférence sur ce qu'il appelle le "problème des chambres à gaz". Le dessein est limpide: attirer l'attention de l'internaute profane sur les thèses négationnistes. Alerté, YouTube coupera rapidement l'accès à cette propagande déguisée. Peine perdue: aujourd'hui encore, les mêmes vidéos demeurent accessibles en quelques clics! En tapant "Faurisson" sur Dailymotion, on découvre ainsi un film intitulé La Manipulation des sionistes, datant des années 1980, dans lequel l'idéologue français, maintes fois condamné, expose ses théories. A l'heure où L'Express paraît, cette vidéo est en ligne depuis plus d'un mois. Sans réaction de l'hébergeur.

Récrire l'Histoire

C'est à s'y méprendre: la mise en forme, le rubricage, les polices de caractères, tout en Metapedia rappelle Wikipedia, l'encyclopédie en ligne ouverte aux contributions des internautes. Le contenu, en revanche, n'a rien à voir... Créé en Suède en août 2006, disponible en 17 langues -la version française existe depuis mai 2007- Metapedia est une sorte de Quid pour extrémistes. Son objectif: "Influer sur les débats politiques et philosophiques."

Une question sur la profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990? Metapedia répond sans équivoque: il s'agit d'"une provocation montée par le gouvernement socialiste français afin de démoniser le Front national". Les responsables de cette profanation -des skinheads d'extrême droite- ont pourtant été condamnés sans que leur culpabilité souffre le moindre doute.

Inutile, par ailleurs, de chercher sur Metapedia une biographie de Victor Hugo ou encore de Rousseau, comme il en existe sur Wikipedia: aucune ne figure dans la base de données. En revanche, ceux qui s'intéressent aux parcours des grands antisémites de l'Histoire trouveront leur bonheur. Que ce soit l'Allemand Heinrich Himmler, le Français Charles Maurras ou le Belge Léon Degrelle, tous ont droit à leur hagiographie détaillée.

Profiter des médias classiques

Chaque média a désormais son site. Et chaque site, son forum. Les franges les plus radicales ont su détourner l'opportunité ainsi offerte pour élargir leur audience.

Un exemple: sur Phenix, site français proche du parti nazi américain NSDAP-AO, une rubrique "liens intéressants" organisait la manoeuvre. Il n'est pour l'heure plus accessible. Auparavant, plusieurs centaines de liens Internet dirigeaient les visiteurs vers des articles publiés sur les principaux médias, dont, pour la France, L'Express, Libération ou encore Le Figaro. Entre deux "Heil Hitler", l'autoproclamé responsable de la "propagande Internet" invitait ses ouailles à laisser des commentaires sur un article portant sur la profanation de tombes juives ou l'agression d'adolescents à la sortie de leur école. Dès lors, les néonazis affluaient sur les sites d'info classiques. Si beaucoup de leurs commentaires sont effacés par les journaux visés, d'autres, suffisamment travestis, franchissent parfois les barrages. Aussi alarmant et douloureux que ce soit, il est clair qu'Internet est devenu un espace de propagande.

Nouer des alliances

Néonazis, islamistes ou encore nationalistes panarabes radicaux partagent une même aversion du juif. Ils ont un lieu de rendez-vous: le site Radio Islam. Animé par Ahmed Rami, un ancien soldat de l'armée marocaine réfugié en Suède, ce site est un carrefour de la haine mondialisée au contenu d'une rare violence: du testament de Hitler aux diatribes de l'écrivain négationniste Roger Garaudy, en passant par diverses théories du complot, tout y est, et en 16 langues, dont l'indonésien et le français.