11.2.09

Israël et la guerre démographique


Benjamin Lachkar

Une des clés du succès du parti d'Avigdor Lieberman dans les élections israéliennes est la peur commune à de nombreux Israéliens de voir le pays perdre sa majorité juive face à la natalité prolifique des Arabes. Cette même thématique de la perte de la majorité juive fut à l'origine de la politique de retrait unilatéral de Sharon et la base idéologique de son parti Kadima. Ehoud Olmert a affirmé que c'est la question démographique qui l'avait convaincu qu'Israël n'avait pas d'autre choix que de quitter les territoires.
Ainsi, la question démographique constitue un des facteurs centraux de la réflexion stratégique israélienne aussi bien face à la question palestinienne que dans les débats internes, en relation avec le poids grandissant des secteurs arabes et ultra-orthodoxes. C'est en fait à quatre guerres démographiques qu'Israël doit faire face. Or, paradoxalement, la situation du pays n'est pas aussi mauvaise qu'on pourrait le penser.
La première guerre démographique, la moins importante actuellement, oppose Israël à l'ensemble de ses voisins. Israël est un nain en comparaison aux dizaines de millions de citoyens qui peuplent les pays arabes environnant. Cependant, il est intéressant de constater que la natalité est en baisse constante et sensible dans l'ensemble du Moyen-Orient, au point que l'indice de fécondité dans certains pays s'est guère plus élevé que celui d'Israël, voir inférieur comme au Liban.

La deuxième guerre concerne Israël et les Palestiniens. L'argument central de Kadima et du parti travailliste pour justifier des retraits territoriaux depuis l'échec des négociations avec les Palestiniens repose sur la perte de la majorité juive entre la mer et le Jourdain. Le problème de cette argumentation c'est qu'elle additionne des pommes et des poires, à savoir des Arabes citoyens d'Israël et des Palestiniens qui ne le sont pas et n'ont pas vocation à le devenir. De plus, depuis le retrait de Gaza, le nombre d'Arabes sous la domination d'Israël s'est nettement réduit. Enfin, et surtout, il est apparu que le nombre réel de Palestiniens dans les territoires a été gonflé par les autorités palestiniennes. Ainsi, l'armée israélienne a toujours estimé ce nombre inférieur de 25% environ aux données officielles. Et en 2005, une étude israélo-américaine arrivait à la conclusion que le nombre de Palestiniens dans les territoires n'était pas de 3,8 millions comme l'affirmaient les autorités palestiniennes mais de 2,4 millions seulement. Malgré de sévères critiques initiales contre ce rapport, une bonne partie de ses conclusions ont fini par être adoptées et ont même contraint le bureau palestinien de statistiques à des corrections. Car, les Palestiniens n'échappent pas aux mêmes évolutions qui touchent l'ensemble du monde arabe. Leur natalité à eux aussi est en chute libre.

La troisième guerre découle indirectement de la seconde. Si les Palestiniens, n'étant pas citoyens israéliens, ne constituent pas une menace à moyen terme pour la judéité de l'Etat, tel n'est pas le cas des Arabes israéliens qui représentent plus de 20% des Israéliens (habitants arabes de Jérusalem compris). Dans les années 60, ils jouissaient de la plus forte natalité du monde et leurs femmes avaient en moyenne plus de 9 enfants. Même si cette natalité a baissé jusqu'aux années 80, elle est restée nettement supérieure à celle des Juifs, du moins jusqu'à ces dernières années. Ainsi, pendant les années 90, si une femme juive avait en moyenne 2,6 enfants au cours de sa vie, une femme arabe israélienne en avaient 4,6. L'Aliyah massive de l'ex-URSS a à peine permis de contenir la poussée démographique arabe. Néanmoins un changement est intervenu. D'abord chez les Arabes chrétiens, puis les druzes: leur natalité est maintenant inférieure à celle des Juifs. Et puis, surtout depuis 2003 à la suite des coupes massives dans les allocations familiales décidées par Netanyahou, la natalité musulmane a commencé à baisser de façon nette: d'une fécondité de 4,7 enfants par femme en 2000, on est passé à 3,8 en 2008. Dans le même temps, la fécondité juive est remontée a 2,8. Si cette tendance se poursuit, dans 5 a 10 ans, la fécondité de la population juive sera supérieure à celle de la population arabe en Israël. Il est paradoxal que la montée du parti de Lieberman, qui joue largement sur cette peur d'une menace démographique arabe, se produise au moment du renversement du momentum démographique entre Juifs et Arabes.

La quatrième guerre démographique est interne à la population juive. Bien qu'Israël soit un pays riche, occidentalisé et développé, la fécondité, y compris juive, y est très nettement supérieure à la moyenne des pays occidentaux. Les pays européens soufrent d'un indice de fécondité moyen d'à peine 1,5. Une des raisons de cet écart tient à l'importance grandissante de la population juive ultra-orthodoxe. Ce secteur jouit de la plus forte natalité de toute la région: 7 enfants par femme. Et leur part dans la population ne cesse de grandir et de poser des problèmes graves pour Israël. Ainsi, déjà, 14% des jeunes hommes juifs de 18 ans en 2008 ont été exemptes de l'armée pour cause d'étude en Yeshiva – contre à peine 5% dans les années 80. De même, alors que seulement 5% des élèves juifs étudiaient en école ultra-orthodoxe à cette époque, contre 20% dans le public-religieux et 75% dans le public-laïc, cette part était montée à 20% en 2005 (contre 20% au public-religieux et 60% au public-laïc), et devrait atteindre 25% environ en 2010. Les écoles ultra-orthodoxes se consacrant quasi-essentiellement aux études religieuses, elles ne forment pas, ou difficilement, des citoyens capables de trouver un emploi qualifié ou de contribuer au développement scientifique du pays. Même si les coupes dans les allocations familiales semblent aussi avoir eu un effet dans cette population, la solution à long terme ne pourra pas être démographique mais devra venir d'un profond changement social et politique au sein de la communauté ultra-orthodoxe.

Ce n'est pas un hasard évidemment si les deux groupes perçus comme une menace par la majorité israélienne, les Arabes israéliens et les ultra-orthodoxes, sont non seulement démographiquement prolifiques mais aussi les plus pauvres. Bien que constituant près de 30% de la population totale, ils représentent presque les deux-tiers des pauvres. Les deux facteurs s'alimentent, et l'expérience montre que l'élévation du niveau de vie entraîne une baisse de la natalité. Ce n'est donc pas en excluant ou en stigmatisant ces populations qu'on les rendra moins «menaçantes » mais en les aidant à se développer économiquement.

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