3.1.09

Deux grands stratèges juifs ont théorisé la guerre victorieuse de contre-insurrection



pour Haboné sous le titre "Qui sont ces très grands stratèges juifs ?"
Par Bensimon Jean-Pierre


Deux très grands stratèges juifs, le français David Galula décédé en 1968 et l'Israélien Yaakov Amidror dominent la pensée militaire contemporaine. Confrontées aux procédés de la guerre terroriste, la forme d'affrontement la plus délicate à traiter puisqu'elle instrumentalise systématiquement les populations civiles et n'obéit à aucun code moral, les démocraties pourraient se sentir désarmées, et renoncer à se défendre. L'Europe, la patrie du "soft power", est en train de faire de ce renoncement une doctrine politique et éthique. Au moment où Israël affronte le Hamas, les deux théoriciens militaires juifs montrent que la guerre anti terroriste peut être gagnée et que les solutions militaires demeurent pertinentes et praticables quand il n'y en a pas d'autres .

Interviewé par Le Figaro le 22 octobre dernier, le général américain Jeffey Schloesser, commandant les forces de l'OTAN dans l'Est de l'Afghanistan déclarait au détour d'une phrase: "le théoricien militaire français David Galula nous est bien utile". Qui connaît en France ce Français si utile aux Américains en difficulté, quarante ans après sa mort ? Presque personne. Au point qu'il a fallu traduire de l'anglais au français l'un de ses ouvrages "Contre-insurrection, théorie et pratique", (1) qui sert de livre de chevet aux membres des états-majors américains. L'officier français qui a rédigé la présentation de l'édition française, Philippe de Montenon, a sans doute fait connaissance avec Galula uniquement parce qu'il était stagiaire au Command and Général Staff Collège, l'équivalent américain du Collège interarmes de Défense.

La lecture de l'ouvrage "a été recommandée, puis imposée aux quelques 1200 stagiaires qui tous les ans passent par le creuset de la pensée militaire américaine" nous apprend Philippe de Maintenon, ce que le général David Petraeus confirme : "ayant été érigé en lecture obligatoire au Command and General Staff College …Contre Insurrection … sera un jour considéré comme le plus grand des écrits militaires français du siècle dernier." Ce général, le plus réputé des militaires américains contemporains, qui vient de renverser admirablement une situation militaire plus que compromise en Irak, ne tarit pas d'éloges sur David Galula. Il a tenu à rédiger la préface de l'édition française pour exprimer sa reconnaissance envers l'obscur lieutenant-colonel français. ".. on peut dire de l'ouvrage de Galula qu'il est à la fois le plus grand et le seul grand livre jamais écrit sur la guerre non conventionnelle…Car il s'agit vraiment d'une pépite : tout comme De la guerre de Clausewitz, cet ouvrage est à la fois une réflexion philosophique sur la nature de la guerre et un précis de doctrine".

David Galula est né dans une famille juive de Sfax, en Tunisie, en 1919. A vingt ans il intègre Saint-Cyr. Il reçoit ses galons d'officier en mars 1940 pour prendre part au combat contre les nazis, mais voila que le 2 septembre 1941, il est rayé des cadres "en application des lois portant statut des Juifs". Réhabilité par Giraud en 1943 et intégré dans l'infanterie coloniale, il sera de tous les combats en France puis en Allemagne. Lors de la guerre d'Algérie, il se distinguera encore par un remarquable commandement en Grande Kabylie. Mais comme le dit Petraeus, une expérience de la guerre "non complétée par la réflexion intellectuelle n'est qu'une longue succession d'horreurs obscures". Et l'intelligent Galula ne manquera pas de sortir des sentiers battus et de proposer des solutions entièrement nouvelles pour triompher des insurrections nationalistes et communistes de son époque, après les avoir longuement observées et disséquées. Contrairement au colonel Trinquier qui estimait qu'en recourant au terrorisme les rebelles perdaient le droit d'être traités en soldats, ce qui pouvait justifier la torture, David Galula se préoccupait des paramètres politiques. Pour lui, il fallait absolument protéger la population civile et gagner sa confiance pour disposer de l'information opérationnelle indispensable au combat. Et c'était bien plus important que "tuer ou capturer des insurgés". Il recommandait donc de ne pas s'aligner sur leur niveau de violence. Le conflit étant politique, l'important était de mener des opérations de propagande. Le général Petraeus le cite admirativement : "On pourra dans ces circonstances, préférer une ronéo à une mitrailleuse, un médecin spécialiste en pédiatrie à un spécialiste des mortiers, du ciment à des barbelés et des employés de bureau à des fantassins." Pour lui, les opérations militaires devaient représenter 20% du combat, le reste étant consacré à la politique. C'est ainsi que sous la conduite de Petraeus, près de 40 ans après sa mort, la doctrine de Galula a tiré les Américains d'un si mauvais pas en Irak et qu'elle inspire aujourd'hui les réorientations stratégiques à l'œuvre en Afghanistan.

Un autre officier juif, bien vivant celui-là et israélien, Yaakov Amidror, vient d'apporter à son tour une contribution tout à fait essentielle à la guerre de contre-insurrection : "Vaincre dans la guerre de contre-insurrection, l'expérience israélienne; perspectives stratégiques". (2) Comme la pensée de Galula, la synthèse d'Amidror, une merveille de lucidité, a aussi vocation à transformer l'approche de la guerre anti terroriste qui va demeurer longtemps encore la principale préoccupation des démocraties, occidentales et au-delà.

A l'évidence, Israël a gagné sa guerre de contre-insurrection (l'Intifada II) dans les territoires des anciennes Judée et Samarie, mais Israël est un pays étrange. " Je n'aurai pas écrit cet article si je n'avais pas entendu un étudiant du Collège d'État-major et du Commandement de l'armée israélienne dire que des conférenciers s'exprimant devant des officiers israéliens avaient affirmé qu'"une armée ne peut pas vaincre le terrorisme" nous dit le général Amidror. On prêche donc au sein même d'une armée qui a déjà vaincu le terrorisme le plus féroce, "qu'il n'y a pas de solution militaire face au terrorisme". Il en est ainsi aux États-Unis et en Europe qui comptent des victoires tout à fait documentées sur de nombreuses insurrections (en Grèce, aux Philippines, en Malaisie, au Moyen-Orient, …). En un mot, dans de nombreux milieux proches des instances de décision, sans parler des média trop souvent pitoyables, la guerre contre le terrorisme est perdue avant même d'avoir été engagée.

Pour sortir du marécage conceptuel dans lequel s'est enlisée la pensée militaire occidentale sous l'effet des doctrines du "soft power" et de l'apaisement dont l'Europe est si friande, Yaakov Amidror, est contraint de donner une substance nouvelle aux notions les plus communes. Il va donc redéfinir ce qu'est "l'armée", "l'insurrection et le terrorisme", et surtout ce qu'est la "victoire". C'est ainsi qu'il avance une notion capitale, celle de "victoire suffisante", à ne pas confondre avec la victoire totale ou la victoire temporaire. Il ne faut pas se laisser abuser par l'issue de la guerre contre le nazisme en Europe et au japon. La victoire contre le terrorisme ne se traduit pas par une cérémonie de capitulation et un défilé. Elle s'incarne dans une réduction radicale du niveau de violence et un retour des populations à une vie quasiment normale. L'effort militaire et de renseignement, le "profilage" global de la situation, doivent cependant se poursuivre sur une durée indéterminée, autant que la situation l'exige, car il est aisé de ranimer les braises de la guerre terroriste. C'est pour cela que l'armée israélienne ne peut en aucune façon quitter purement et simplement les territoires à l'Est des lignes de 1967 jusqu'au Jourdain où en laisser la responsabilité à des troupes de l'OTAN, indifférentes aux enjeux et qui ne connaissent rien au renseignement au plus près des populations arabes.

Yaakov Amidror se livre à une minutieuse étude pour transposer les principes généraux de la guerre à "la guerre asymétrique" qu'il prend aussi la précaution de définir par le menu. L'asymétrie, ce n'est pas tant le rapport des forces initial que le désir de l'adversaire d'échapper aux lois de la guerre, et l'attitude vis-à-vis des pertes humaines et des souffrances auxquelles le belligérant expose sa propre population civile. C'est ainsi que s'élabore, sur la base de l'expérience considérable de l'armée israélienne au cœur de laquelle l'auteur a vécu toute sa vie de soldat, un traité rigoureux et détaillé qui identifie avec force exemples les six grandes conditions qu'il faut impérativement réunir pour la victoire, conditions qui sont d'abord des conditions politiques. Par exemple, un gouvernement qui se résout à entreprendre une guerre de contre-insurrection doit prendre une décision claire et assumer le coût politique de cette guerre, être loyal avec son armée et avoir les nerfs solides.

La pensée de David Galula et celle de Yaakov Amidror s'emboitent remarquablement pour former une doctrine opérationnelle de victoire dans les guerres insurrectionnelles déclenchées au 20ème et au 21ème siècle, par le communisme, le nationalisme et l'islamisme terroriste. Que cette doctrine émane de deux très grands stratèges juifs peut étonner quand on a en mémoire la longue passivité des juifs dans l'ère de la diaspora. Mais la roue tourne ; l'émancipation a libéré des énergies que l'on croyait disparues à jamais et le sionisme a apporté avec lui l'obligation de défense de la souveraineté. David Galula et Yaakov Amidror sont d'éminentes figures de ces deux mouvements de l'histoire.

(1) Éditions Economica 2008
(2) Winning Counterinsurgency War: The Israeli Experience Jerusalem Center For Public Affairs http://www.jcpa.org/text/Amidror-perspectives-2.pdf
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