31.3.07
EL PAIS / UN NOUVEAU FRONT ISLAMISTE : LE SAHEL
« Ils vivent dans des zones désertiques reculées »
El País | Un nouveau front islamiste : Le Sahel
31.03.2007
AL Qaeda se transforme, le mouvement terroriste sunnite cherche la fusion avec les mollahs chiites. Selon les services de renseignements occidentaux, désormais Al-Qaeda dispose également d’une base proche de l’Europe : Le Sahel.
Sur l’immense et très animé marché central de Bamako, qui entoure la grande mosquée, il est rare de voir des femmes portant le hijab (le voile musulman), et plus encore le niqab (voile intégral). Dans le nord du Mali, en revanche, dans des villes et des villages comme Kidal, Tombouctou ou Gao, on note la présence du fondamentalisme. Que se passe-t-il au Mali ?
A en croire des rapports des services de renseignements européens et américains, cette gigantesque oasis est devenue la nouvelle base arrière d’Al-Qaeda et de ses alliés algériens du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), une émanation du Groupe islamique armé (GIA). Oussama Ben Laden a donc réalisé l’un de ses rêves les plus chers : avoir un allié fidèle en Afrique et une base proche de l’Europe où préparer de nouveaux attentats.
« [Oussama] trouvera en nous écoute et obéissance », déclare le chef algérien du GSPC Abdelmalek Droukdal, dit Abou Moussab Abdel Ouadoud, dans son communiqué de ralliement à Al-Qaeda rendu public le 13 septembre 2006. Cette alliance a mis sur le qui-vive les responsables de la sécurité de l’Union européenne, et en particulier la France et l’Espagne, où vivent de nombreux militants du GSPC. Depuis 2001, une centaine de membres de cette organisation ont été arrêtés dans diverses villes espagnoles, accusés entre autres de recruter des moudjahidin et de les envoyer combattre dans différentes zones de conflit.
Des djihadistes recrutés en Espagne par le GSPC sont formés au maniement des armes et des explosifs, et à l’utilisation de toxiques, dans des camps d’entraînement situés dans le Sahel, cette bande aride et semi-désertique qui s’étend de l’océan Atlantique à la mer Rouge, à la lisière du Sahara, signalent des responsables de la lutte antiterroriste. La police espagnole pense que plusieurs des 35 djihadistes recrutés en Catalogne par le professeur de taekwondo Mbark El-Jaafari, militant marocain du GSPC arrêté début février à Reus, sont allés s’entraîner dans les camps du Sahel, équipés d’armes lourdes, de mortiers, de missiles terre-air et de téléphones satellitaires.
Le 25 janvier, Javier Zaragoza, procureur en chef de l’Audiencia nacional [l’instance pénale espagnole chargée des affaires de terrorisme], Hassan El-Oufi, procureur général du roi du Maroc, et Jean-Claude Marin, procureur de la République de Paris, ont signé un accord à Rabat par lequel ils s’engagent à se communiquer en temps réel les informations portées à leur connaissance sur les réseaux d’Al-Qaeda. Les lentes commissions rogatoires et la bureaucratie judiciaire ont été éliminées pour combattre plus efficacement le terrorisme islamiste. Les procureurs ont centré leurs discussions sur les nouveaux camps d’entraînement du Sahel et sur le danger qu’ils représentent pour leurs trois pays. L’Algérie n’a pas signé l’accord en raison de ses divergences traditionnelles avec le Maroc. « Ils n’ont plus besoin d’aller en Afghanistan ou en Irak. Maintenant, ils s’entraînent à côté de chez nous. Il leur est beaucoup plus facile d’aller et venir, ce qui augmente le danger », souligne l’un des procureurs.
Les hommes du GSPC qui opéraient jusqu’alors en Algérie ont trouvé des alliés dans les régions les plus pauvres de la Mauritanie, du Mali, du Niger et du Tchad, vaste zone grise où ils vivent de trafics et de rapines. Ils sont aidés par des nomades, des bergers et des cheikhs locaux auxquels ils fournissent de l’argent et des véhicules tout terrain en échange de leur protection.
Amari Saïfi, ancien parachutiste de l’armée algérienne et dirigeant du GSPC arrêté au Tchad en 2004, a tissé les premiers liens entre son groupe et les habitants de la région en utilisant une vieille stratégie : le mariage de convenance. Abderrezak El-Para (son surnom) s’est marié avec trois jeunes femmes touarègues au Mali. « Les gens sont très pauvres et, si on leur donne de l’argent, ils peuvent devenir salafistes, djihadistes ou tout ce qu’on veut », allègue Oumar Sangaré, un fonctionnaire de 49 ans, dans son vieux bureau du ministère de l’Administration territoriale à Bamako.
Avoir servi dans l’armée, comme Saïfi, ne semble pas constituer un obstacle pour rallier le GSPC. L’ex-rebelle touareg Hassan Fagaga était lieutenant-colonel dans la minuscule armée malienne – forte de 7,350 hommes – jusqu’au 23 mai 2006, jour où il a pris d’assaut un camp militaire à Kidal [dans le nord-est du Mali] pour s’emparer d’armes et de munitions. Iyad Ag-Ghali, qui, selon les dires de Sangaré, a été « mercenaire en Palestine et en Libye », et Ibrahim Ag-Bahanga sont les autres chefs rebelles touaregs du nord du pays soupçonnés de soutenir les salafistes.
Les trois hommes vivent dans des zones désertiques ou montagneuses reculées, et le gouvernement malien négocie avec eux sans les poursuivre. « Ce ne sont pas des terroristes, mais des rebelles qui luttent pour améliorer la situation épouvantable de leur peuple, le plus pauvre du pays », explique Ousmane Maiga, un habitant de Gao. Les Touaregs sont une minorité au Mali, constituée d’environ 200,000 personnes.
Iyad Ag-Ghali est l’homme qui a servi d’intermédiaire avec le GSPC pour obtenir la libération des 14 touristes européens enlevés en 2003 dans la zone frontalière entre l’Algérie et le Mali, et conduits à des milliers de kilomètres de là, au nord-ouest de Tombouctou. « Cette médiation a été très compliquée », se souvient le gouverneur de Gao, le colonel Amadou Baba Touré, qui a chapeauté la négociation. D’après un responsable des Renseignements généraux français, les services secrets algériens essaient depuis plusieurs mois d’acheter le soutien des rebelles touaregs et de les convaincre de ne plus apporter leur aide ni donner refuge aux terroristes du GSPC.
Les services de renseignements espagnols observent la nouvelle base d’Al-Qaeda dans le Sahel avec intérêt et préoccupation. « Les hommes du GSPC ont les coudées franches dans cette zone, commente un analyste. C’est une région inhospitalière où ils font ce qu’ils veulent. Les forces armées algériennes y font parfois des incursions pour les attaquer, mais cela ne sert pas à grand-chose. Nous ne pouvons pas compter sur la Mauritanie, le Mali et le Niger car ce sont des pays très pauvres. Al-Qaeda a trouvé là un vrai paradis, un lieu de repos et d’entraînement à proximité de l’Europe. »
El-Hadj Issiaka Traoré, 58 ans, chef de la division Affaires religieuses au ministère de l’Administration territoriale, est un homme affable. Mais il fait la grimace quand on l’interroge sur la présence croissante de prédicateurs pakistanais dans son pays. « Il est vrai que nous en avons expulsé certains qui se livraient à des activités suspectes et prêchaient sans autorisation, confie-t-il, mais pour le moment la situation ici n’est pas préoccupante. Nous sommes pacifiques, nous ne voulons rien savoir du djihad. »
Les 13,5 millions d’habitants du Mali sont à 90 % musulmans. Le pays compte 17,500 mosquées répertoriées, mais les services de renseignements signalent la présence de nouveaux prédicateurs qui diffusent la doctrine wahhabite et construisent avec des fonds saoudiens des lieux de prière, des orphelinats et des centres caritatifs à Tombouctou et dans d’autres localités du désert, toujours dans les zones les plus défavorisées du nord du pays.
Certains observateurs algériens pensaient que l’arrestation au Tchad d’Amari Saïfi, l’ancien parachutiste passé au terrorisme, avait porté un coup fatal au GSPC. Mais ils se sont trompés : les nouveaux alliés d’Al-Qaeda sont en plein essor. Depuis sa déclaration d’allégeance à Ben Laden, en septembre 2006, le GSPC se fait appeler « Al-Qaeda au Maghreb ». Sa présence internationale est vertigineuse : 20 % des kamikazes étrangers en Irak seraient issus de ses rangs et, selon des sources dignes de foi, 150 Algériens ont été arrêtés en 2005 alors qu’ils tentaient de franchir la frontière irakienne pour se joindre à l’insurrection. Ces deux dernières années, les autorités algériennes ont extradé vers le Maroc et la Tunisie plus de vingt personnes qui voulaient rejoindre le mouvement.
Selon les experts, le GSPC est désormais trop à l’étroit dans sa base algérienne. En plus du Sahel, il possède des « cellules dormantes » en Espagne, qui se financent par le banditisme et recrutent des militants, ainsi qu’en France, en Italie, au Royaume-Uni, en Afghanistan et en Tchétchénie.
L’administration américaine a envoyé des instructeurs des forces spéciales à Tombouctou et à Gao pour former les troupes maliennes à la lutte antiterroriste et au combat dans le désert. Elle leur a également fourni des véhicules et du matériel de communication.
Mais, à Bamako, les représentants de l’Etat sourient lorsqu’on leur demande si la petite armée malienne est capable de traquer les hommes du GSPC ou de repérer leurs camps d’entraînement.
« Le Nord est immense, ses frontières sont impossibles à surveiller, et le gouvernement fait comme si c’était une zone de non-droit », reconnaît un fonctionnaire, avant d’ajouter : « Pourquoi croyez-vous que les rebelles touaregs, qui ont fait trois révolutions depuis les années 1950, font ce qu’ils veulent ?... L’initiative transsaharienne de lutte contre le terrorisme lancée par les Américains est un échec », assure un diplomate européen en poste à Bamako.
Que faire lorsque le principal allié de Ben Laden en Afrique est établi dans une région aux frontières floues et aux Etats faibles comme l’est le Sahel ? « Des initiatives diplomatiques ont été prises et les services de renseignements ont transmis la menace. Mais on ne peut pas attendre grand-chose de pays où la pauvreté est extrême », ajoute-t-il. « Certains de ceux qui s’entraînent dans le Sahel reviennent en Europe avec l’ordre d’attaquer », reconnaît un agent espagnol spécialiste du Maghreb.
El País | José María Irujo
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