Selon un grand ouléma djihadiste, auteur du guide de la charia d'Al-Qaïda, le 11 septembre était une faute. Un tribunal de la charia devrait être établi pour que Ben Laden et Al-Zawahiri rendent des comptes. ll n'y a que deux sortes de gens dans Al-Qaïda : les ignorants et les profiteurs.
Ces dernières semaines, Sayyed Imam Al-Sharif, figure marquante du mouvement mondial du djihad, mais peu médiatisée, a publié le très attendu Wathiqat Tarshid Al-'Aml Al-Jihadi fi Misr w'Al-'Alam (Guide du djihad en Egypte et dans le monde), où il appelle à mettre un terme au djihad en Occident et contre les régimes des pays musulmans. Ce nouveau livre, écrit tout en purgeant une peine de prison à perpétuité en Egypte, a été publié en plusieurs fois dans deux quotidiens arabes, le journal koweïtien Al-Jarida et le journal égyptien Al-Masri Al-Yawm, et a suscité une polémique enflammée entre islamistes et observateurs des mouvements islamistes. Ce document est à la fois un livre et une initiative militante ; la majorité des guides et membres de l'organisation du djihad dans les prisons égyptiennes ont signé le document et promis de mettre fin aux activités armées. Le processus a été facilité par les autorités égyptiennes tandis que le document a été étudié par les savants de la commission Al-Azhar.
Les raisons de l'intérêt suscité par le livre résident dans la stature de son auteur et sa place parmi les islamistes radicaux. Sayyed Imam Al-Sharif est également connu sous les noms de "Dr Fadi", "Abdel Qader Ben Abdel Aziz". Son livre de 1988 sur les lois du djihad, Al-'Umda fi I'dad Al-Udda ('les bases de la préparation au djihad') a servi de manuel de djihad dans les camps d'entraînement d'Al-Qaïda en Afghanistan.
En outre, Sayyed Imam est l'un des plus vieux associés d'Ayman Al-Zawahiri. A la fin des années 60, alors qu'ils suivaient tous deux des études médicales à l'université du Caire, ils avaient monté un petit groupe d'études islamiques qui est ensuite devenu l'un des noyaux de l'organisation du djihad en Egypte. Dans les années 1980 et au début des années 1990, ils se trouvaient ensemble à Peshawar, où ils furent tous deux des figures marquantes parmi les "Arabes afghans".
Imam est généralement considéré comme le prédécesseur d'Al-Zawahiri et l'émir de l'organisation, bien qu'il affirme ne pas avoir été l'émir mais le guide de la charia de l'organisation. Al-Zawahiri et Imam ont rompu le contact après une querelle intervenue en 1994, au cours de laquelle Sayyed Imam a accusé Al-Zawahiri d'avoir publié dans son dos une édition falsifiée et radicalement abrégée de son deuxième livre, Al-Jami' fi Talab Al-'Ilm Al-Sharif ("résumé d'études religieuses"). Imam reconnaît toutefois qu'aux premiers temps d'Al-Qaïda, rien n'était entrepris sans d'abord le consulter.
Parmi les partisans les plus enthousiastes du nouvel ouvrage de Sayyed Imam se trouvent des dirigeants d'Al-Gama'a Al-Islamiyya, un autre groupe égyptien du djihad qui, en 1997, a engagé son propre processus de réévaluation idéologique. Leurs croyances ont été globalement revues et plusieurs pamphlets contre Al-Qaïda ont été publiés (Voir l'Enquête et analyse n° 309 de MEMRI, "The Al-Gama'a Al-Islamiyya Cessation of Violence: An Ideological Reversal," 22 décembre 2006, http://memri.org/bin/articles.cgi?Page=archives&Area=ia&ID=IA30906). Dans de récentes interviews et déclarations, des membres d'Al-Gama'a Al-Islamiyya et d'autres à l'approche similaire ont exprimé l'espoir que les réévaluations de Sayyed Imam entraînent un bouleversement de même type au sein d'Al-Qaïda, une scission de l'organisation, ou un affaiblissement du soutien pour Al-Qaïda.
Al-Zawahiri a évoqué le nouveau livre de Sayyed Imam avant même sa publication, dans le cadre d'une vidéo produite par Al-Sahab, appelée Quwwat Al-Haqq ("la puissance de la vérité"). Il estime que toute réévaluation, qu'il appelle "rétraction", n'est que le produit de la torture dans les prisons égyptiennes. Il a affirmé ne pas blâmer ses auteurs d'avoir craqué, mais plutôt ceux qui, hors de prison, faisaient avec enthousiasme la promotion de ce nouvel ouvrage. Il compare ces derniers à des fossoyeurs qui, dès qu'ils apprennent que quelqu'un est malade, courent à lui et attendent impatiemment qu'il meure pour pouvoir gagner leur vie en l'enterrant.
Ce point de vue a depuis été adopté par d'autres porte-parole et partisans d'Al-Qaïda. Le plus entendu d'entre eux est Hani Al-Siba'i, islamiste égyptien vivant à Londres qui apparaît fréquemment sur les chaînes satellites arabes et dans la presse. Il dirige en outre le centre Al-Maqreze d'études historiques et le site www.almaqreze.net.
Une troisième catégorie regroupe les réactions de djihadistes indépendants, notamment d'Abu Basir Al-Tartusi, un grand cheikh radical. Contrairement à Al-Qaïda, il ne croit pas que Sayyed Imam a écrit sous la contrainte et présente les raisons pour lesquelles, selon lui, l'ouvrage a été rédigé par conviction. Contrairement à Al-Qaïda également, il réfute les principaux arguments du livre et note la faiblesse des arguments de Sayyed Imam contre le djihad. Il accuse Sayyed Imam d'aller d'un extrême à l'autre, rappelant que dans le passé, lui-même ainsi que l'ancien mentor d'Al-Zarkaoui, le cheikh Abu Muhammad Al-Maqdisi, avaient reproché à Sayyed Imam son extrémisme et la rapidité avec laquelle il qualifiait les autres musulmans d'apostats. (Pour en savoir plus sur Abu Basir Al-Tartusi, voir le rapport spécial de MEMRI n° 40, "Expatriate Syrian Salafi Sheikh Al-Tartusi Comes Out Against Suicide Attacks," 10 février 2006, http://memri.org/bin/articles.cgi?Page=archives&Area=sr&ID=SR4006.)
La réévaluation de Sayyed Imam va en effet moins loin que celle d'Al-Gama'a Al-Islamiyya. Il ne dit pas clairement qu'il ne considère plus les dirigeants actuels des pays musulmans comme des apostats. La raison pour laquelle il interdit de les combattre est que c'est un djihad qui n'a que peu de chances de réussir, si ce n'est aucune, et qui fait donc plus de mal que de bien. En outre, il ne renie pas ses anciens écrits, affirmant qu'ils ont simplement été mal compris. Il est beaucoup plus clair sur d'autres sujets, comme l'interdiction faite par la charia de tuer des touristes et des civils occidentaux. La question de savoir ce que le document dit et ne dit pas est complexe et sera considérée dans des rapports futurs.
Dans les semaines et les mois à venir, MEMRI résumera l'intégralité du nouveau livre de Sayyed Imam et des réactions suscitées. MEMRI publie en attendant des extraits traduits en anglais des deux premières parties d'une interview en six parties donnée par Sayyed Imam au quotidien Al-Hayat. Dans cette interview, il évoque longuement les attentats du 11 septembre, sa relation avec Al-Zawahiri et l'émergence d'Al-Qaïda. Il qualifie ces attentats de trahison et de perfidie et Al-Zawahiri de charlatan enclin à trahir ses amis, affirme que Ben Laden n'a jamais reçu de véritable instruction religieuse et qu'Al-Qaïda ne se fonde pas sur la charia et manque d'une véritable autorité morale.
Tout au long de sa vie, Sayyed Imam a évité les médias ; c'est la première fois qu'il se confie ouvertement à la presse.
Lire le rapport de MEMRI en anglais : http://memri.org/bin/latestnews.cgi?ID=SD178507.