15.4.08

JUDAISME: AFFAIBLI ET ENDETTE, LE CONSISTOIRE FETE SES 200 ANS

Cécilia Gabizon
in LE FIGARO
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Face à l'émergence d'autres instances représentatives, sa puissance appartient désormais au passé.

Le Consistoire a 200 ans. Cet organe central du culte, créé par Napoléon en 1808 pour mieux encadrer les Juifs, a survécu aux chaos de l'histoire. Jusqu'à devenir le modèle de l'intégration d'une communauté religieuse dans la nation. Mais les commémorations qui se succèdent, comme celle qui aura lieu mardi soir à la synagogue de la Victoire en présence du premier ministre, portent leur part de nostalgie.

La puissance du Consistoire appartient, semble-t-il, au passé. Endetté, affaibli par la montée en puissance du Crif, la représentation politique de la communauté, le Consistoire est aussi fragilisé sur son terrain : le religieux. «Le judaïsme consensuel qu'il incarne est chahuté», affirme la sociologue des religions Martine Cohen, du CNRS. D'un côté, les communautés orthodoxes, notamment les Loubavitchs, connaissent un nouvel essor. De l'autre, le judaïsme libéral, longtemps embryonnaire en France, se développe. «Cette organisation centralisée du culte a fait que la France est restée à l'écart du mouvement de diversification qui a traversé le judaïsme au XIXe siècle, en Europe et aux États-Unis», explique l'historienne Rita Hermon-Belot.

Si, en province, les consis­toires, calqués sur le modèle de la paroisse, restent l'épicentre de la vie juive, la situation s'inverse en région parisienne où vivent la moitié des 600 000 Juifs de l'Hexagone. De nouvelles synagogues se sont créées ces dix dernières années, par affinités, par rites, on se regroupe entre Oranais, Ashkénazes ou Marocains, plus près des nouvelles zones de résidence. Car les Juifs ont peu à peu, quand ils le pouvaient, déserté les banlieues qui les avaient accueillis dans les années 1960, à leur arrivée du Maghreb. Les anciennes syna­gogues subsistent, affaiblies. Les nouvelles s'édifient, souvent sans l'aide du Consistoire.

Parfois, ce sont de simples lieux de prière, dans un appartement, ou une cave de HLM aménagée. Mais de belles syna­gogues luxueuses sont aussi apparues. Ces communautés ne sont pas forcément dissidentes, mais vivent de façon autonome, sans rien reverser au consistoire de Paris (ACIP), qui continue pourtant, comme le rappelle son président Joël Mergui, d'assurer les principaux services, comme le mariage, les enterrements, la kash­rout. L'équilibre du sys­tème consistorial, qui reposait sur la péréquation, est menacé. Fait marquant : les deux grands rabbins, de France et de Paris, œuvrent à la tête de synagogues non consistoriales, qui, même «associées», ne versent pas au pot commun. Pour le grand rabbin Joseph Sitruk, l'autonomie est une «façon de se prendre en charge, de ne pas peser sur le collectif». À demi-mots, le rabbin Gilles Bern­heim s'en offusque : « Un grand rabbin doit œuvrer pour toute la communauté» , martèle celui qui se présentera contre le grand rabbin Sitruk en juin. Conscient des enjeux et soucieux d'unité, Joël Mergui a demandé «aux communautés non consistoriales les plus aisées de cotiser par solidarité avec les plus pauvres»…

Crise des vocations

Cette unité du judaïsme français est également menacée par la crise des vocations. De moins en moins de rabbins sortent de l'école rabbinique française. On compterait quinze inscrits en ce moment. Pour combler le manque de religieux, les synagogues acceptent des profils nouveaux, notamment les élèves des yeshivas (écoles talmudiques) parfois sans bagage philosophique, regrette Haïm Korsia, aumônier israélite des armées. Ici, c'est un rabbin formé en Israël qui refuse de «célébrer des enterrements dans un cimetière où se trouvent des croix», dans un duel vain avec la réalité française qui fait se jouxter les carrés juifs et les tombes catholiques.

Cet autre rabbin exige maintenant que les fidèles viennent à la synagogue à pied le samedi, comme l'exige la loi juive, pour pouvoir monter à la Torah. Et voilà que plus personne ne peut prétendre à cette communion. Ces cas restent exceptionnels. Mais ils pourraient se multiplier si la tradition française se perd. Le grand rabbin Sitruk vient d'ailleurs de nommer un Israélien, le rav Gross, comme autorité spéciale du tribunal rabbinique… Il est, certes, une personnalité en Israël, «une sommité sans équivalent en France», comme le fait valoir Joseph Sitruk… Mais aussi un symbole qui fait grincer des dents. Celui d'une justice religieuse qui délaisse le contexte français pour s'inspirer de Jérusalem.

Pourtant, l'État français reste attaché à cette institution. Pour financer les commémorations, le ministère de l'Intérieur a versé près de 150 000 euros à une association juive. Une aide détournée. Sans être exceptionnelle, la démarche témoigne du malaise financier d'un Consistoire qui affiche un million d'euros de déficit cette année. Et confirme la volonté de l'État de voir survivre cet interlocuteur qui a permis le développement d'un judaïsme consensuel.
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