28.4.06

A PROPOS DU LIVRE DE CAROLINE FOUREST

Réponse cinglante
Posté le Vendredi 28 avril 2006

de Michael Smadja à une violente critique du bouquin de Caroline Fourest, La tentation obscurantiste “Du bon usage du pamphlet” “Il faut savoir se méfier de l’autorité du discours savant. Parfois il dérape.”

“Pour tout lecteur du livre de Caroline Fourest La Tentation obscurantiste (Grasset, 2005), le point de vue paru à son sujet sous la plume d’universitaires bardés de titres (Le Monde du 18 avril) est stupéfiant. Ces messieurs commencent par classer ce livre dans un genre plus général (les pamphlets sur l’islamisme), puis ils décrivent les perversions de cette veine d’ouvrages à grand renfort de références - il semble que le premier à citer Bourdieu, dans leur esprit, a gagné ; quel enfantillage ! - et d’accusations très graves : Caroline Fourest utiliserait le « vieux fonds de commerce de la peur de l’autre ». Malheureusement pour eux, ledit livre existe. Si bien que tout un chacun peut, de ses propres yeux, pas encore décrottés par l’analyse percutante de ces messieurs, vérifier qu’il n’a rien à voir, même de loin, avec le portrait diffamatoire qu’en font les éminences en question. En fait de littérature douteuse, le pamphlet - car c’en est un, on peut le déplorer - est surtout une piqûre de rappel salutaire pour la gauche en général. Il s’agit de s’inquiéter d’une connivence contre nature entre un certain militantisme de gauche et des représentants de l’islam radical.
Il s’agit d’en appeler à des valeurs universelles (« pseudo-universalistes » si l’on en croit nos amis très scientifiques) telles que l’égalité des hommes et des femmes, l’idée que la religion n’a rien à faire dans la vie publique ou le rappel du fait que l’homophobie est intolérable. Autrement dit, le pamphlet dont il est question, même si l’on peut regretter que sa dimension analytique soit réduite (mais c’est un livre d’intervention politique et non d’analyse), propose de repasser la plume sur une ligne qui semble s’effacer : celle qui sépare le militantisme en faveur des damnés de la terre, d’une part, et le prétendu anti-impérialisme des extrémistes musulmans, de l’autre.

Qu’on ne s’y trompe donc pas : ce n’est pas un livre de « nouveau réactionnaire », mais le livre d’une vraie femme de gauche. Pas une ligne n’est soupçonnable de racisme ou de nostalgie impérialiste, tout au contraire. Encore une fois, il suffit de le lire. Alors d’où vient cet hallucinant article signé par des chercheurs professionnels ? Question plus gênante encore : comment se fait-il que Charlie Hebdo et ses collaborateurs (dont Caroline Fourest) semblent un vivier d’intelligence du monde et d’honnêteté bien plus crédible que certaines unités du CNRS ?

Peut-être parce que, dans la rédaction de ce journal satirique, on a conservé l’idée qu’être de gauche n’est pas une simple posture sociale, mais plutôt, avant toute prise de position, l’exigence de la lucidité.”

Le Monde, 22 avril 2006

L’article initial qui a suscité cette réponse :

“Les lauriers de l’obscurantisme” “Le discours réducteur et pamphlétaire pour désigner « l’autre », le musulman, est inacceptable. Introniser officiellement une telle démarche doit être dénoncé sans ambiguïté”"Le choix du jury du livre politique de l’Assemblée nationale s’est porté en 2006 sur l’ouvrage de Caroline Fourest ( La Tentation obscurantiste, Grasset, 2005). Ce choix ne peut manquer de laisser pantois les chercheurs en sciences sociales, politologues, historiens, universitaires qui ont la faiblesse de considérer que l’intelligibilité de notre société, le présent comme le futur de ses rapports avec d’autres cultures, notamment musulmanes, mais pas uniquement, requièrent une analyse minutieuse, un investissement effectif dans la complexité du terrain.

L’intérêt des analyses divergentes d’un phénomène politique complexe et multiple dans ses expressions (l’islamisme) reposant sur des méthodes d’investigation rigoureuses, n’est évidemment pas en cause. Cette diversité de vues est éminemment souhaitable. Elle fait partie intégrante de nos ambitions scientifiques quotidiennes. Et nous sommes trop viscéralement attachés à la liberté de la recherche pour contester à qui que ce soit le droit de penser autrement. Le problème tient bien à l’intronisation officielle accordée à un pamphlet qui s’érige frauduleusement en argumentaire rationnel, alors qu’il ne repose que sur le trafic des émotions, des peurs, permettant d’ânonner des lieux communs sur l’islam et les musulmans.

Des philosophes autoproclamés, des essayistes, ont entrepris, depuis quelques années, sous couvert de la « défense des Lumières » de la laïcité, de condamner ceux qui refusent de se plier au moule de leurs catégories sectaires. Ils jettent en pâture des listes de personnes accusées de « trahir les idéaux de la République » et d’être les « faire-valoir du radicalisme isla mique ». L’ouvrage de Mme Fourest appartient à ce triste genre littéraire.

Ce tour de passe-passe essayiste consiste à disqualifier comme « islamiste », c’est-à-dire comme un danger social, tout musulman refusant de se démarquer explicitement de son appartenance religieuse. Il considère comme complices tous ceux qui refusent le simplisme de ces qualifications. La vieille rhétorique conspirationniste des élites intellectuelles contre la France est remise au goût du jour. Et, sous les habits du « progressisme », elle s’abreuve ainsi au mythe de l’anti-France. Ceux qui prétendent que la réalité de l’islam politique dans le monde musulman n’est accessible que par l’analyse de paramètres multiples observés dans les dynamiques locales (régimes corrompus, démocratisation avortée, répression aveugle…) et internationales (mondialisation libérale, conflit israélo-palestinien, invasion de l’Irak, appétits pétroliers du monde occidental…) et refusent l’amalgame « criminogène » de l’islam sont mis à l’index par le tribunal des raccourcis et de l’invective gratuite.

On a longtemps fustigé les partisans du cosmopolitisme. Aujourd’hui, on dénonce la cinquième colonne de ceux qui, à propos de l’islam et des musulmans, refusent le sens commun. Pierre Bourdieu a en son temps forgé, pour cette catégorie de philosophes autoproclamés plus prompts à flatter les ventres pleins de préjugés qu’à nourrir les cerveaux, la catégorie d ‘« intellectuel négatif ».

La « méthode » (éminemment non scientifique) de sélection de la « vérité » consiste à prendre pour pertinent un discours caricatural, inquisitorial, pamphlétaire, truffé de préjugés, accessoirement d’erreurs, et essentiellement destiné à dénoncer les « autres » : musulmans, islamologues refusant de se soumettre au sens commun, journalistes, hommes politiques, militants antiracistes, laïques pragmatiques.

Bien moins que la paix sociale, cette désignation de l’autre (et accessoirement de « sa » religion) permet d’éviter d’assumer ses propres turpitudes, ses propres préjugés. Elle permet d’éluder la question des alliances surprenantes entre les héros (hérauts) d’un républicanisme forcené et les nostalgiques d’une France éternellement monoconfessionnelle et mono-ethnique. Elle permet d’exploiter tranquillement, et avec la bonne conscience de la morale pseudo-universaliste, le vieux fonds de commerce de la peur de l’autre.

Pour pouvoir comprendre un phénomène, encore faut-il chercher sérieusement, étudier les composantes et les causes historiques, sociales, économiques qui ont favorisé sa percée, son essor et ses mutations. Et analyser scientifiquement - il faut le répéter en ces temps d’obscurantisme et de délation - ne vaut ni adhésion ni rejet, y compris pour l’islam ! A l’inverse, les grandes vues eschatologiques et condamnatoires, aucunement fondées sur la connaissance du terrain, comme pour ne pas s’en trouver souillé, relèvent de la passion, que ce soit l’attachement excessif ou, comme dans le cas qui nous intéresse, l’antipathie aveugle.

Au Moyen Age, l’Eglise refusait au chercheur le droit de disséquer le corps humain, de relativiser son fonctionnement : elle imposait la méconnaissance.

Si tentation obscurantiste il y a, elle est parfaitement incarnée aujourd’hui par la haine viscérale de la connaissance scientifique qui se manifeste depuis quelques années à travers des essais comme celui de Caroline Fourest. En tout cas, et pour finir, nous aurions attendu du livre politique de l’année, peut-être avec trop de naïveté, qu’il invite à réfléchir les évidences, les clichés, et non à les intérioriser plus encore.”

Paru dans le Monde du 18 avril

Letel @ 01:26 Catégorie(s): Mémé Bookine
8 commentaires for 'Réponse cinglante'

Letel avril 28, 2006 | 06:35
> Par cet article, le quotidien du soir démontre une fois de plus sa partialité

Pas vraiment, puisqu’il a publié la réponse ravageuse de Smadja, en lui laissant le dernier mot.


PMB avril 28, 2006 | 06:04
J’avais lu avec soulagement la mise au point de Michel Smadja. Une part non négligeable de la gauche française, par un noble souci de se faire pardonner l’occidentalo-centrisme et son résultat le colonialisme, se fourvoie avec les islamistes. Braves “idiots utiles”, qui auraient le même sort que leurs ancêtres pro-communistes si par hypothèse heureusement improbable les islamistes venaient au pouvoir (Je ne partage pas la phobie de l’invasion islamiste de l’Europe, ce qui n’empêche pas ces islamistes de croître et embellir ailleurs). Je me demande même si c’est le fait que cette invasion reste pure hypothèse qui leur permet d’être généreux à bon compte.
Caroline Fourest a lancé une pétition, je ne sais plus sur quel site on la trouve. Allez hop, un coup de Google !


paul avril 28, 2006 | 05:15
J’aime également beaucoup leur exigence de connaissance du terrain.

J’aimerais savoir quelle est leur connaissance du terrain, à ces universitaires sociologues, historiens, politologues, qui ont pris le temps de “réléchir” avant d’absoudre l’islamisme de ses fautes, et de les transférer sur la civilisation occidentale.


jc durbant avril 28, 2006 | 04:12
J’ai pas lu le bouquin de l’ex-patronne du Centre gay et lesbien de Paris et membre-fondatrice de Pro-Choix mais s’il correspond à ce qu’en dit LE quotidien de révérence, je vais l’acheter tout de suite !

En tout cas, avec le démontage de Ramadan (”Frère Tariq”), ça me semble un progrès sur son bouquin précédent (”Tirs croisés”) où, très politiquement- corectement, elle passait son temps à mettre toutes les religions (pardon: les “intégrismes” !) dans le même sac, le judaïsme comme le christianisme y apparaissant aussi dangereux que le… nazislamisme !

En gros, un tueur de médecins avorteurs en Amérique = 100 terroristes-suicide du djihad !


Ataulfo avril 28, 2006 | 03:39
“Question plus gênante encore : comment se fait-il que Charlie Hebdo et ses collaborateurs (dont Caroline Fourest) semblent un vivier d’intelligence du monde et d’honnêteté bien plus crédible que certaines unités du CNRS ?”

Voilà une vraie question.


Ataulfo avril 28, 2006 | 03:37
“Si tentation obscurantiste il y a, elle est parfaitement incarnée aujourd’hui par la haine viscérale de la connaissance scientifique qui se manifeste depuis quelques années à travers des essais comme celui de Caroline Fourest”

Tiens, et moi qui aurait dit que cette haine bien réelle s’était manifestée lors du pathétique épisode des “Impostures intellectuelles”; mais bon, finalement l’histoire de Sokal et Bricmont ne concernait que les sciences “molles”, et non pas les sciences “dures” et empiriques comme la sociologie.


louis avril 28, 2006 | 02:55
Nos brillants universitaires nous disent en gros que la France n’a pas vocation à demeurer éternellement monoconfessionnelle et mono-ethnique.

Ils oublient que la France est un Etat laïc qui est tout sauf non confessionnel depuis belle lurette. Quand à l’ethnie, si elle a pour vocation affichée, proclamée et opérée de s’attribuer une parcelle de souveraineté communautaire, elle est tout simplement en infraction avec l’article 3 de la Constitution française qui dispose ceci:

« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».

Alors qui sont ces scientifiques qui fondent sur Caroline Fourest ? Des militants de l’Islam des Frères Musulmans. Comme par hasard. Et cela fait deux ans que Caroline Fourest les a débusqués. http://www.prochoix.org/cgi/blog/2004/12/22/477-bruno-etienne-frank-fregosi-raphael-liogier-et-leur-observatoire-du-religieux
Pas étonnant qu’ils tentent aujourd’hui de laver scientifiquement leur mauvais linge sale dans le Monde.

Bruno Etienne, le petit chef, fait partie de ces petits commis de l’Etat qui militent pour culpabiliser les français de leur passé colonial, alors qu’ils n’ont, dans leur immense majorité, jamais connu le Maghreb colonisé. On trouve une petite analyse de son militantisme ici : http://www.laicite-republique.org/local/clr13/documents/etienne.htm.

A part ça, il a passé de nombreuses années en Egypte au contact des Frères Musulmans et son groupe de pression relaye systématiquement les thèses de Tariq Ramadan qui ne s’est pas remis de l’estoc fatal de Caroline contre lui, avec son « Frère Tariq » (Grasset) http://www.prochoix.org/freretariq/sommaire.html

Un exemple du militantisme de cet « observatoire » qui ressemble davantage à un mirador des religions est donné ici : http://www.france-echos.com/actualite.php?cle=5199

Bref on est en pleine intox minable égyptienne.


thorwald avril 28, 2006 | 02:32
Par cet article ,le quotidien du soir démontre une fois de plus sa partialité,et son manque de lucidité face à l’oscurantisme séditieux qui séduit une partie de nos intellectuels. Comment s’étonner que ce journal perd de son attrait au près d’un public désireux d’une information sans arrières pensées?

Texte repris du site extreme centre