17.4.09

Islam : Comment extraire le venin intégriste ?



Par DINAH A. SPRITZER


Une manifestation anti-Israël à Paris. [illustration]
Photo: AP , JPost
Deuxième volet de notre série sur les musulmans d'Europe. Gros plan sur l'Angleterre, ancien asile pour les extrémistes islamiques, qui lance aujourd'hui un programme de "déradicalisation".


Gordon Brown a fait quelque chose de très rare pour un leader européen. Le Premier ministre britannique a pointé du doigt un pays musulman : le Pakistan. Pour les services de contre-terrorisme anglais, le pays est une pépinière de terroristes : "Les trois quarts des complots qui ont fait l'objet d'une investigation par les autorités britanniques ont des liens avec Islamabad", a indiqué le Premier ministre britannique au président pakistanais, Assif Ali Zardari. La rencontre a eu lieu au lendemain de la terrible attaque de Bombay en novembre dernier.

Le commando terroriste était justement originaire du Pakistan. La remarque de Gordon Brown n'est pas anodine. Elle souligne l'immense gêne britannique d'être devenue l'asile des islamiques radicaux. Les services secrets anglais établissent en effet, qu'en 2007, 2 000 extrémistes potentiellement violents résidaient dans l'île. Soit 400 personnes de plus qu'en 2006 (1 600). Le gouvernement tente de juguler cette menace par deux moyens : renforcer l'arsenal juridique et mettre en place un programme de "déradicalisation" à l'intérieur de la communauté musulmane. Mais il faudra attendre des années avant de percevoir réellement les fruits de cette campagne.

La tolérance britannique mise à l'épreuve

En attendant, la situation empire. Une enquête menée en 2008 par l'organisme de recherche, YouGov, établit que 32 % des étudiants musulmans pensent que tuer est justifiable pour "préserver et promouvoir" la religion ou la "protéger si elle est attaquée". Autre étude, même constat alarmant. Selon l'organisme Populus, 13 % des jeunes musulmans britanniques âgés entre 16 et 24 ans "admirent les organisations de type Al-Qaïda, dont la vocation est de combattre l'Occident". Par ailleurs, 37 % déclarent préférer vivre sous la coupe de la loi islamique plutôt que celle britannique.

Deux facteurs ont contribué à faire de la Grande-Bretagne le foyer de l'islamisme radical : l'accueil tolérant d'étrangers connus pour leur extrémisme religieux et les racines pakistanaises de la communauté musulmane britannique. Selon le chercheur spécialiste d'Al-Qaïda Lorenzo Vidino de l'université Trufts, les musulmans britanniques, qui visitent régulièrement leurs familles au Pakistan, sont tentés de maintenir des liens avec l'islamisme radical. Mohammed Siddique Khan, le cerveau de l'attentat du 7 juillet 2005, s'est entraîné dans les camps d'Al-Qaïda à la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan. Le MI5 - services secrets britanniques - est en alerte constante : une trentaine de conspirations terroristes menacent le pays à tout moment. Les attentats de Londres en 2005, qui ont tué
52 personnes et blessé des milliers, ont révélé une donnée totalement méconnue : la haine islamique dans le pays de la tolérance. Avant 2005, la Grande-Bretagne vivait dans un sentiment de confiance absolue et avait toujours refusé de mettre en œuvre une législation antiterroriste.
L'état d'esprit est différent outre-manche. La police française a mis sous surveillance les mosquées du pays. Les personnes suspectées de terrorisme peuvent aujourd'hui être emprisonnées sans procès durant trois ans et demi, sous la vague charge "d'association avec le terrorisme". Le temps que les enquêteurs trouvent les preuves suffisantes.

En Angleterre, un pas important a été fait lorsque les autorités britanniques ont été autorisées à expulser les imams étrangers radicaux qui expriment leur soutien au terrorisme. En 2006, le corpus d'activités constituant un soutien aux actes de terreur a été étendu : la publication ou la distribution de journaux d'incitation au terrorisme, ou les voyages à l'étranger dans un camp d'entraînement terroriste, peuvent faire l'objet de poursuites. Par ailleurs, de nouvelles lois autorisent la détention de terroristes durant 28 jours sans mise en examen et limitent la liberté de mouvement des personnes suspectes. Les services de renseignements britanniques ont subi une véritable métamorphose : "Les agences sont plus efficaces maintenant. Elles comptent davantage de membres parlant l'arabe", explique le professeur Jonathan Laurence, l'auteur de deux livres sur les musulmans d'Europe.

Saper l'extrémisme islamique à la racine

Le durcissement de la loi n'est que la première facette des efforts britanniques pour juguler le terrorisme. Au mois de juillet dernier, le gouvernement a débloqué 18 millions de dollars pour financer le programme de "déradicalisation" censé saper l'extrémisme islamique à la racine. Le programme est soutenu par les organisations musulmanes modérées. Figure de proue : la fondation Quilliam. Basée à Londres, elle constitue un modèle unique en Europe car elle a été mise en place par d'anciens musulmans radicaux qui ont changé de voie. Parmi ses fondateurs, des membres repentis de l'organisation islamique radicale, Hizb out-Tahrir (Parti de la Libération), connue sous l'acronyme HT.

La fondation promeut une version de l'islam compatible avec les valeurs de la démocratie occidentale et rejette l'idée que les musulmans devraient créer, partout dans le monde, des Etats islamiques régis par la Charia, la loi du Coran.
Quilliam fait ainsi office d'organisme de veille. Son argument le plus efficace : prouver publiquement que l'islamisme radical résulte d'une interprétation erronée du Coran et de l'histoire : "Les extrémistes clament, par exemple, l'existence d'un grand califat islamique à l'époque de l'empire ottoman. En réalité, il n'a jamais existé", explique Ishtiaq Hussain, un ancien membre de HT. Issu de la classe moyenne pakistanaise, Hussain s'est retrouvé entraîné dans les filets de l'organisation radicale après un voyage au Moyen-Orient.

Supportée par le gouvernement et des fonds privés, la fondation Quilliam enseigne aux policiers, parents et professeurs l'art de contrecarrer la rhétorique radicale. Mais un des problèmes principaux réside dans la formation des imams britanniques. Originaires pour la plupart du sous-continent indien, ils sont selon Hussain "formés pour enseigner le Coran dans le texte et non pas pour gérer l'extrémisme radical dans la jeunesse britannique musulmane. Il y a un fossé de génération et de culture." Pour Olivier Roy, spécialiste de la question au CNRS, les communautés musulmanes anglaises sont souvent trop pauvres pour s'offrir un iman né et formé en Angleterre. "Ils doivent intégrer que la démocratie britannique et l'islam ne sont pas en conflit mais certains d'entre eux ne parlent même pas anglais", explique Ishtiaq Ahmed. Le programme de "déradicalisation" repose sur des bonnes intentions mais pourrait s'avérer inefficace. Premier problème : être justement soutenu et financé par le gouvernement britannique. "Je suis extrêmement sceptique sur l'idée que l'Etat peut promouvoir l'islam modéré", confie Peter Neumann professeur au King College à Londres. "Pour les relais musulmans du programme, être soutenu par le gouvernement est un baiser de la mort."



Par ailleurs, la collaboration entre le gouvernement et les groupes islamiques peut être à double tranchant. Dans certains cas, elle est fructueuse comme pour la mosquée de Finsbury Park située dans le nord de Londres. En 2003, les policiers ont découvert une usine de fabrication de bombes dans ses sous-sols. Le responsable du lieu de culte, Abou Hamza, était un supporter affiché d'Al-Qaïda. Il a été condamné en 2006 à sept années de prison. Depuis, avec le soutien du gouvernement, la mosquée a été reprise en main par l'Association des musulmans d'Angleterre, un groupe possédant des attaches historiques avec les Frères musulmans, affiliés au Hamas. L'organisme rejette l'utilisation de la violence pour installer en Europe un pouvoir politique islamique. Il endort ainsi la méfiance des Etats européens.

La mosquée de Finsbury Park promeut aujourd'hui la tolérance. Mais pour combien de temps ? L'association est dangereuse : "Nous devons quelquefois parler avec nos ennemis. Je considère l'histoire de Finsbury comme un succès à court-terme. Mais personne ne peut prédire comment la situation évoluera", explique Peter Neumann. Tous s'accordent à dire que le pire ennemi du radicalisme est la pleine intégration des musulmans en Europe. Un processus qui prendra au moins une génération. En attendant, le continent européen repose toujours sur une bombe à retardement.