30.4.09

«L’antisémitisme cimente le groupe»


L'APPATEUSE
INTERVIEW
Pour le sociologue Didier Lapeyronnie, le racisme anti-juifs de banlieue relève
d’une logique collective :

Recueilli par CATHERINE COROLLER
Didier Lapeyronnie est professeur de sociologie à l’université Paris-Sorbonne et
auteur de Ghetto urbain, ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui
(Robert Laffont, 2008).
L’affaire Ilan Halimi est-elle, selon vous, antisémite ?
L’acte lui-même est crapuleux mais il a été alimenté par un antisémitisme évident
: les juifs seraient riches, solidaires, communautaires... Cela étant, un fait divers
est toujours un événement particulier qui tient à la convergence d’une situation
sociale et d’histoires personnelles. L’affaire Ilan Halimi, c’est la rencontre d’un
leader charismatique et d’un monde social si faible qu’il s’est laissé embobiner.
Exist-t-il un antisémitisme propre à la banlieue ?
Il y a beaucoup d’antisémitisme dans les quartiers, mais cela ne veut pas dire que
les gens sont individuellement antisémites. Dans cette histoire, on retrouve tous
les ingrédients du fonctionnement des ghettos : la logique du groupe qui fait
commettre des actes qu’on ne commettrait pas individuellement, la présence d’un
leader charismatique, la loi du silence, la peur, l’absence de solidarité avec des
gens extérieurs au quartier et l’antisémitisme qui circule dans le groupe et d’une
certaine façon le cimente, donnant à chacun l’illusion d’exister et d’être en
possession d’une forme de compréhension supérieure qui échappe au commun des
mortels. On est sur des logiques collectives assez classiques.
Quelles sont les racines de cet antisémitisme ?
Il n’est pas importé du conflit israélo-palestinien. Au contraire. La focalisation sur
les événements du Proche-Orient vient du fait que les gens sont antisémites, pas
l’inverse. L’antisémitisme puise ses racines dans les conditions sociales et le vide
politique qui règnent dans certaines banlieues. C’est une forme de «socialisme des
imbéciles» . Quand on écoute les gens tenir des propos antisémites, ils font leur
portrait à l’envers : les juifs sont puissants, je suis faible ; ils sont partout, je suis
nulle part ; ils sont solidaires, je suis seul ; ils ont le droit de revendiquer leur
identité, nous, au contraire, n’avons aucun droit, etc. Inutile de penser, comme l’a
bien montré Sartre.
Cet antisémitisme s’accompagne-t-il d’autres formes de racisme ?


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