5.4.09

Juifs/Musulmans en France : une question de classe?



Par DEVORAH LAUTER


Qui sont les musulmans d'Europe ? A travers quatre volets, le Jerusalem Post analyse l'évolution d'une communauté aux multiples visages.

Deux univers opposés. En cette fin d'après-midi ensoleillée, un groupe de jeunes juifs orthodoxes joue dans le square, à quelques encablures de boulangeries marocaines casher. Le quartier abrite une communauté juive forte de 30 000 âmes.

Derrière les silhouettes d'adolescents, surgissent plusieurs imposants immeubles habités par des familles musulmanes originaires de l'Afrique sub-saharienne. Une zone multiculturelle à haut risque. La pauvreté et la misère sociale du quartier ne sont pas étrangères aux tensions eth-niques. Les chiffres sont édifiants.

En 2007, selon les services de police, le 19e arrondissement de Paris a été le théâtre de
27 agressions antisémites. Les plus mauvais résultats de la capitale. Selon le Bureau de vigilance contre l'antisémitisme, les autres arrondissements connaissent entre deux et trois agressions de ce type par an.

Le stéréotype de
la prospérité juive

Le 20 juin dernier, un adolescent juif de 17 ans, Rudy Haddad, a été sauvagement agressé par un groupe de jeunes Africains sub-sahariens, non loin des Buttes Chaumont. L'attaque antisémite ne fait ici guère de doute. Mais les motifs ne sont pas toujours clairement établis. Un exemple : fin septembre, trois jeunes portant une kippa ont été attaqués dans la même rue que Rudy Haddad.

L'incident a pris immédiatement une connotation antisémite mais il s'est avéré, par la suite, qu'un des agresseurs était juif. Selon le rabbin Michel Bouskila, à la tête des communautés juives de l'arrondissement, la peur règne dans les deux camps : "Les juifs ont peur car les violences à leur encontre sont de plus en plus fréquentes.

Mais la même crainte anime aussi l'autre communauté. Un adolescent musulman, qui marche seul à côté d'un groupe de jeunes juifs, n'est pas rassuré non plus." Les agressions du 19e arrondissement laissent beaucoup de questions en suspens : sont-elles révélatrices d'une montée générale de l'antisémitisme ou s'inscrivent-elles plutôt dans le cadre d'une criminalité ordinaire ?

Une certitude émerge : le facteur explosif n'est pas la religion mais bien les questions de classe et de race. Les stéréotypes ont la dent dure. Les juifs sont souvent perçus comme une communauté prospère et privilégiée par rapport à une communauté immigrante noire et nord-africaine, touchée par la pauvreté et les discriminations. Morad Chahrine, responsable d'une association de jeunes, JP2, rejette en bloc les accusations d'antisémitisme : "Il faut arrêter de stigmatiser les jeunes. Ils sont accusés de tous les maux, et maintenant aussi d'antisémitisme ?"

Son association prend part au programme "Vivons ensemble", une initiative de la mairie pour apaiser les tensions communautaires. "Bien sûr, il y a des tensions du fait des difficultés sociales", ajoute Chahrine, "Si un groupe de juifs se bagarre avec un autre de confession différente, les insultes raciales fusent des deux côtés mais de manière spontanée. Il n'y a aucune idéologie derrière."

Pour Kadiatou Diabira, d'origine malienne, le ressentiment contre les juifs trouve ses racines dans le combat de la minorité noire pour s'intégrer en France et non pas dans le sentiment identitaire musulman. Depuis l'agression de Haddad, Diabira se mobilise au sein d'un groupe de femmes pour discuter de la violence des jeunes.

Le président du CRIF, Richard Prasquier, n'a pas la même analyse. Selon lui, l'antisémitisme revêt plusieurs visages. Et pas seulement celui de la religion. "Au début, il était lié à la religion, mais aujourd'hui il s'en est complètement dissocié. Même les juifs non pratiquants se font agresser. C'est devenu un problème de race." Les réponses sur le terrain semblent lui donner raison.

Originaire du Mali, Foussenou, 29 ans, énonce des arguments dignes d'un autre temps : "Tous les juifs sont des tricheurs. Ils ne restent qu'entre eux et bénéficient de pistons dans la police et l'Etat." Se mettant à rire, il raconte qu'il avait l'habitude durant son adolescence de se poster avec ses amis à la sortie d'une école juive pour frapper les étudiants qui rentraient chez eux.

Pourquoi le 19e a été si calme durant Gaza ?

Les agressions de l'été dernier ont plongé le 19e sous le feu des projecteurs. Avec un effet positif : depuis, les tensions ethniques semblent s'être calmées. Lors de la vague antisémite durant l'opération israélienne à Gaza, le
19e est resté relativement calme. 113 incidents antisémites sont été reportés à travers le pays : bombes incendiaires, agressions au couteau, lettres de menace, graffitis... Selon le rabbin Bouskila, seul un groupe de filles juives du 19e s'est fait insulter par leurs camarades de classes aux sons de "Longue vie à Gaza!". Rien de plus dans le quartier.

Pour la mairie, ces résultats prouvent que la situation est maintenant sous contrôle : "Les tensions sont toujours fortes dans la zone. Mais les habitants n'utilisent plus la violence pour y répondre", explique Christophe-Adji Ahoudian, un membre du groupe de travail créé par le maire de l'arrondissement, Roger Madec. "C'est une preuve que notre travail porte ses fruits."

Un autre argument peut expliquer le relatif calme du 19e durant l'opération à Gaza : les origines de la communauté musulmane. La plupart des familles sont issues de l'Afrique sub-saharienne. Seule une petite frange provient du continent nord-africain, qui affiche des liens plus étroits avec la cause palestinienne. C'est la thèse de Michel Serfati, à la tête de l'association pour l'Amitié judéo-musulmane.

Ces dernières années, les responsables des communautés religieuses ont amorcé un rapprochement. Le rabbin Michel Bouskila a entamé un dialogue avec l'imam de la ville avoisinante Drancy, Hassen Chalghoumi. En septembre dernier, des juifs ont participé au repas de rupture du Ramadan organisé par la ville. Mais l'offensive israélienne à Gaza a provoqué un arrêt brutal.