3.5.08
1, 2, 3....DURBAN
Il y a une oump-taine d’années, voulant acheter des avocats chez le primeur du coin, je m’étais ravisée en apprenant que les fruits venaient d’Afrique du Sud. J’expliquai au commerçant que je boycottais les produits issus du régime de l’apartheid. Il n’en crut pas ses oreilles : «Vous êtes raciste ?» me demanda-t-il avec indignation.
Cette anecdote avait fait beaucoup rire mes copains d’Amnesty International et de la Licra. Heureux temps où j’étais une femme libre dans un pays libre, où j’arborais le badge «Touche pas à mon pote» et où les antisémites étaient tous de méchants extrémistes de droite…
Depuis, il y a eu Durban.
Août 2001 : un tourbillon antisémite s’était emparé de la conférence sur le racisme. Le lobbying palestinien avait porté ses fruits vénéneux : dans toutes les tables rondes, s’instruisait le procès d’Israël, seul Etat au monde à pratiquer le racisme envers les Palestiniens, victimes majuscules. Une déléguée mauritanienne refusa la parole : «non, nous n’avons que des problèmes de famine et de brutalité ordinaire, il vaut mieux se concentrer sur la dramatique situation des Palestiniens !»
Les délégués américains et israéliens avaient quitté la table pour ne pas avoir à cautionner ce remake des complots tsaristes les plus primitifs.
Si Durban n’a pas eu les retombées qu’en espéraient les organisateurs, c’est seulement parce que son aura de honte a été éclipsée par le 11 septembre. Mais la graine était semée et les altermondialistes de tout poil n’entendaient pas se laisser priver d’un si jouissif festin de haine.
Qu’y a-t-il de pire qu’une conférence sur le racisme qui tourne à l’antisémitisme ? Deux conférences !
Durban 2 était prévue cette année. Thabo Mbeki, président sud-africain l’avait annoncée au mois de février dernier. Mais il s’est ravisé. Non pas à cause des relents nauséabonds qui avaient entaché la première édition, mais officiellement à cause des désordres qui avaient éclaté dans les rues aux abords de la Conférence. Faute de délégué israélien, les manifestants s’étaient contentés de grives policières…
L’antisémitisme nouveau se pare désormais des habits de la lutte contre le racisme et les pires violences émanent de militants qu’on a vu défiler contre la profanation des tombes de Carpentras, il y a 18 ans… Pierre-André Taguieff et Alain Finkielkraut ont démonté les mécanismes de cette inversion des valeurs, n’y revenons pas.
En revanche, les changements de casting sont amusants à observer pour qui ne craint pas d’être victime du prochain pogrom.
Car l’ONU a chargé une ONG, UN Watch, de vérifier qu’elle respecte bien sa propre charte. C’est dire la confiance qu’elle s’inspire ! Le fait est que personne ne s’était opposé, en haut lieu, à ce que la Libye préside la Commission des Droits de l’Homme. Et d’ailleurs, personne n’en est mort : le ridicule ne tue plus !
Hillel Neuer, Directeur Exécutif de UN Watch, a déclaré que son ONG se réjouissait du changement de Thabo Mbeki, car son groupe avait été inquiet en apprenant que la seconde conférence contre le racisme se tiendrait, comme la précédente à Durban.
Durban 2 n’aura donc pas lieu en Afrique du Sud, mais l'événement devrait se tenir dans une ville européenne non encore choisie en avril ou mai 2009.
Selon Jeune Afrique, M. Neuer aurait estimé que le choix d'un site sûr était le critère pertinent pour éviter la répétition des incidents de rue qui s’étaient produits à Durban en 2001.
D’autres raisons moins consensuelles ont probablement échappé à Jeune Afrique. Hillel Neuer est en effet un homme courageux qui ne mâche pas ses mots. Témoin sa déclaration à la tribune de l’ONU, l’an dernier :
«Examinons les quelques mois écoulés. Plus de 130 Palestiniens ont été tués par des forces palestiniennes. C’est trois fois le total cumulé des pertes qui ont fourni le prétexte à la convocation de sessions spéciales en juillet et novembre derniers. Pourtant les champions des droits palestiniens — Ahmadinejad, Assad, Khaddafi, John Dugard — ne disent rien. Le petit Salam Balousha, âgé de trois ans, et ses deux frères ont été assassinés dans leur voiture par les forces du Premier Ministre Haniyeh. Pourquoi le Conseil a-t-il choisi de se taire ?
Parce qu’Israël ne pouvait pas être accusé de ce forfait. Parce que, en vérité, les dictateurs qui dirigent ce Conseil n’ont cure des Palestiniens ni des droits humains.
Ils cherchent à diaboliser la démocratie israélienne, à dénier toute légitimité à l’Etat juif, à faire du peuple juif un bouc émissaire. Ils cherchent autre chose également : à fausser et à pervertir le langage et les idées des droits humains.»
Le racisme, c’est un acte, pas une ethnie ou une religion
Si l’on peut se permettre un conseil de bon sens, il serait bon de fournir aux délégués de la prochaine conférence sur le racisme un dictionnaire afin qu’ils se concentrent sur l’objet qui les rassemble. «Racisme : théorie de la hiérarchie des races qui conclut à la nécessité de préserver la race dite supérieure de tout croisement et à son droit de dominer les autres» (Petit Robert).
Ils auront largement de quoi s’occuper avec le Soudan, où les chrétiens et les animistes ont eu le choix entre se convertir à l’islam ou mourir et où, maintenant que tous les survivants sont musulmans, les djandjawids exterminent les noirs pour la seule raison qu’ils ne sont pas arabes.
Ils auront beaucoup à faire avec le Zimbabwe, un pays dont le sous-sol est l’un des plus riches du monde et dont l’agriculture s’exportait jusqu’à ce que les blancs en soient tués ou chassés.
Ils auront beaucoup à faire avec la Côte d’Ivoire où l’ivoirité est devenue le déterminant à partir duquel on survit ou on meurt.
Ils auront beaucoup à faire avec l’Arabie Saoudite où certaines routes sont interdites aux non musulmans et où l’esclavage se pratique encore officiellement. Ils pourront éventuellement s’intéresser à la Jordanie dont la loi sur la nationalité précise que quiconque peut l’acquérir du moment qu’il n’est pas juif.
Mais ils peuvent oublier Israël, qui est le premier pays au monde où les femmes arabes ont eu le droit de vote, où les députés arabes militent pour la destruction de l’Etat qui les salarie et où le nombre d’ONG au prorata du nombre d’habitants est le plus élevé au monde !
Liliane Messika © Primo, 3 mai 2008.
Auteur : Liliane Messika