Mais aura-t-il le temps ou la capacité de l’appliquer ?
par Khaled Asmar - Beyrouth
MédiArabe.Info
A peine élu, le président libanais Michel Sleiman a prêté serment et prononcé son discours d’investiture de près de 20 minutes, très applaudi. Un discours digne d’un document historique, susceptible, s’il était appliqué, de remettre le Liban dans le concert des Nations.
Mais avant Sleiman, d’autres présidents avaient eu cette même volonté, au moins dans la parole et les intentions. Bachir Gemayel (1982) et Renée Mouawad (1989) n’ont jamais pu mettre en application leurs promesses, car celles-ci constituaient une menace pour les puissances régionales qui n’entendaient pas, et qui n’entendent toujours pas reconnaître le Liban en tant qu’Etat souverain, libre et indépendant. Gemayel et Mouawad ont été tués avant même la prise de leur fonction.
Ce 25 mai, date « anniversaire de la libération », Michel Sleiman a ainsi prononcé un discours vibrant, sous les applaudissements des députés et de tous les invités. Il a ratissé très large, et tenté de satisfaire toutes les parties politiques, à l’exception notoire de la Syrie et du Hezbollah. Cela s’est traduit, au moins, par les « traits tirés » de Walid Al-Moallem, ministre syrien des Affaires étrangères présent au Parlement, et à travers la déclaration du ministre Mohammed Fneich (Hezbolah) qui estimait, après le discours, que « l’importance réside dans son application », une ironie qui dit long sur les intentions de chacun !
Sleiman a fait part de sa volonté de « réhabiliter les prérogatives de la Présidence », de « redonner aux Libanais de la diaspora leur citoyenneté libanaise », une vieille revendication de l’Eglise maronite qui entend ainsi rétablir l’équilibre démographique au Liban, rompu depuis la naturalisation de près de 600.000 Syriens et Palestiniens par le président Elias Hraoui, à la demande de Damas. Sleiman a effectivement affirmé que « les libanais de la diaspora méritent plus la nationalité libanaise que ceux qui ont été indûment naturalisés. D’autant plus que le Liban a besoin des compétences des libanais de l’étranger pour se remettre à niveau du monde moderne »…
Sleiman a ensuite fait l’éloge de la Résistance, tout en insistant que « les armes ne doivent viser que l’ennemi, sans jamais se retourner contre l’intérieur ». A terme, a ajouté le président, le Liban en tant que membre de l’ONU, « doit appliquer toutes les résolutions internationales », dont implicitement la 1701 portant sur le désarmement de toutes les milices. A ce sujet, le nouveau président a renouvelé « l’attachement du Liban à la libération des Fermes de Chebaa et au retour des prisonniers détenus en Israël ». Il a également évoqué la question des disparus (en Syrie) et des Libanais réfugiés en Israël, qui doivent regagner leur pays. Sleiman n’a pas manqué d’évoquer l’indispensable séparation entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, pour que justice soit rendue pour tous, et a promis que « les corrompus seront sanctionnés, les incompétents redressés et les compétents récompensés ».
Mais le plus délicat reste à juste titre le soutien de Sleiman au Tribunal international qui doit juger les assassins de Rafic Hariri dont il a salué la mémoire, et sa volonté de restaurer la confiance avec la Syrie sur de nouvelles bases : « des relations diplomatiques qui respecteraient les intérêts des deux parties et une délimitation des frontières ». Or, ces deux dernières questions risquent d’être bloquées au sein du conseil des ministres, l’opposition ayant obtenu le tiers de blocage. Et la Syrie, qui parraine l’opposition, ne manquera pas de l’utiliser pour vider ces promesses de leurs contenus. Rappelons que depuis 1969, la Syrie exerce des pressions similaires sur le Liban pour l’agenouiller et le vassaliser [voir le document de la TSR de 1969 à ce sujet].
Le Liban vit ce soir une véritable euphorie, mais nombreux sont ceux qui craignent des lendemains qui déchantent. Ils redoutent qu’après cette ivresse, le réveil ne soit douloureux. A ce titre, ils rappellent, non sans inquiétude, que Bachir Gemayel et René Mouawad, qui s’étaient fixés comme objectif la restauration de la souveraineté du Liban, ont été tués par la Syrie et/ou Israël, les deux pays qui se partagent cynisme et hégémonie sur le Liban. Prions pour que Michel Sleiman ait le temps et les capacités de réaliser son rêve, un rêve partagé par l’écrasante majorité des Libanais.
Nous mettons en ligne le serment du Président Michel Sleiman et son discours d’investiture, afin que dans six ans, à la fin de son mandat, nous puissions faire un inventaire et comparer ce qui aura été fait par rapport à ce qui a été dit. Cliquez ici pour voir le discours d’investiture de Michel Sleiman
Khaled Asmar