15.6.08

La chirurgie offre aux femmes musulmanes un simulacre de virginité

par Elaine Sciolino et Souad Mekhennet
pour le New York Times


Titre original : In Europe, Debate Over Islam and Virginity
Objectif-info

Rédaction d'Objectif-info:
L'article qui suit, paru dans le New York Times, illustre, avec mille prudences, la domination dans les populations d'immigration musulmane arabes et africaines, de la tradition de "l'honneur familial" qui veut qu'une femme arrive vierge au mariage. L'important n'est pas le consentement de l'épouse qui joue un rôle cardinal dans la civilisation occidentale, mais occupe une place tout à fait mineure en Islam. Les mariages forcés ignorent le consentement, mais la virginité garante de "l'honneur" est de rigueur. La place relative du consentement et de la virginité signent une rupture de civilisation. Bien entendu l'Islam qui est une culture extraordinairement prégnante et vivace ne cède rien à la culture d'accueil. De ce fait le choc culturel est inévitable comme en témoigne l'immense émotion qu'a soulevé dans l'opinion l'annulation du mariage par un tribunal de Lille sur le réel motif de la non-virginité. Ce motif ramène notre droit sans doute un siècle en arrière. Il illustre l'attitude d'abandon ou de résignation de certains tribunaux devant la pression islamique. Caractéristique aussi la chute de l'article, où les journalistes témoignent de l'inexistence du moindre problème en citant une autorité religieuse musulmane qui regrette l'attitude du mari. Comme si quiconque ignore le double langage et la tromperie, théologiquement prescrits, de ce genre d'autorité vis-à-vis de "l'Infidèle".


PARIS — L'intervention chirurgicale dans une clinique privée proche des Champs-Élysées, a consisté en une incision semi-circulaire, 10 points de suture résorbables et une note d’honoraires de 2.900 $.

Mais pour la patiente âgée de 23 ans, une étudiante française de Montpellier d’origine marocaine, cette opération de 30 minutes représente la solution-miracle pour une vie nouvelle : le simulacre de la virginité.

Comme un nombre croissant de femmes musulmanes en Europe, elle a eu une hyménoplastie, la réfection de son hymen, la membrane vaginale qui se rompt normalement lors du premier rapport sexuel.

"Dans ma culture, ne pas être vierge c’est être impure," a dit l'étudiante, juchée sur un lit d'hôpital dans l'attente de son opération jeudi. "En ce moment, il est plus important pour moi d’être vierge que d’être en vie "

Alors que la population musulmane d’Europe s’accroit, beaucoup de jeunes femmes musulmanes sont prises en étau entre les libertés offertes par la société européenne et les traditions profondément enracinées dans les générations de leurs parents et de leurs grands-parents.

Les gynécologues disent que ces dernières années, de plus en plus de femmes musulmanes sont à la recherche de certificats de virginité qui leur sert de preuve. C'est ce qui a créé une demande auprès des chirurgiens plasticiens pratiquant la restauration de l’hymen qui, si le travail est correctement réalisé, disent-ils, ne sera pas détectée et produira l’éloquent saignement vaginal lors de la nuit de noce. Les propositions de cette prestation sur Internet sont nombreuses ; on trouve des forfaits de tourisme médical vers des pays comme la Tunisie où la prestation est moins onéreuse.

"Quand vous êtes une femme musulmane qui a grandi dans les sociétés les plus libérées d’Europe, vous finissez bien par avoir des relations sexuelles avant le mariage," dit Dr. Hicham Mouallem, résidant à Londres, qui pratique cette opération. "Aussi, si vous tenez à épouser un musulman et ne voulez pas avoir de problèmes, vous essayerez de récupérer votre virginité."

Aucune statistique fiable n'est disponible, parce que la plupart du temps cette intervention est faite dans des cliniques privées et dans la plupart des cas, elle n'est pas couverte par les régimes d'assurance-maladie.

On parle tellement de réfection de l’hymen que c'est devenu le thème d'une comédie qui sort en Italie cette semaine. "Women’s Hearts" — titre anglais du film — raconte l'histoire d'une femme d’origine Marocaine qui habite l’Italie et va à Casablanca pour subir l'opération.

L’une des patientes plaisante en disant qu’elle veut remettre son compteur à "zéro."

"Nous nous sommes rendus compte que ce que nous pensions être une pratique sporadique était en fait assez courante" a dit Davide Sordella, le réalisateur du film. "Ces femmes peuvent vivre en Italie, adopter nos usages et porter des jeans. Mais sur les questions importantes, elles n'ont pas toujours la force d’aller à l’encontre de leur culture."

La question a fait l’objet d’une grande émotion en France, où un débat houleux a réactivé un préjugé que la révolution sexuelle du pays d’il y a 40 ans était censé avoir enterré : l'importance de la virginité d'une femme.

Le scandale a fait suite, il y a quinze jours, à l’annonce de l’annulation - par le tribunal de Lille, dans le nord de la France - du mariage en 2006 de deux français musulmans, sous prétexte que le jeune marié a découvert que sa jeune femme n'était pas la vierge qu'elle avait prétendu être.

Le drame familial a captivé la France. Le jeune marié, un ingénieur inconnu de 30 ans, a quitté le lit nuptial et informé les invités du mariage encore sur les lieux que sa jeune femme avait menti. Le soir même, elle était ramenée chez ses parents.

Le lendemain, il a contacté un avocat en vue d’annuler le mariage. La jeune mariée, une étudiante infirmière de 20 ans, a avoué avoir menti et a consenti à l’annulation.

Le jugement n'a pas fait mention de la religion. Il a plutôt sanctionné la violation du contrat, concluant que l'ingénieur avait épousé la jeune fille après qu’"elle lui ait été présentée comme célibataire et chaste." Dans la France laïque et républicaine, ce cas soulève plusieurs sujets sensibles : l'intrusion de la religion dans la vie quotidienne, les motifs de dissolution du mariage et l'égalité des sexes.

Cette semaine à l’Assemblée, des appels à la démission de Rachida Dati, la Garde des Sceaux, ont répondu à son appui initial au jugement. Mme Dati, qui est musulmane, est revenue sur sa décision et a requis un appel.

Quelques féministes, avocats et médecins ont averti que la consécration par le tribunal du rôle central de la virginité dans le mariage conduirait davantage de françaises musulmanes d’origine Arabe et Africaine à faire reconstituer leur hymen. Mais il y a un grand débat pour savoir si cette procédure est un acte de libération ou de répression.

"Ce jugement est une trahison pour les femmes musulmanes de France" a dit Élisabeth Badinter, femme de lettres féministe. "Il transmet à ces femmes un message de désespoir en attestant que la virginité est importante aux yeux de la loi. Davantage de femmes vont se dire : « Mon Dieu, je ne vais pas prendre ce risque. Je vais me faire refaire l’hymen.» "

Les déboires de la jeune mariée rejetée a persuadé l'étudiante de Montpellier de subir l’opération.

Elle a insisté sur le fait qu'elle n'avait jamais eu de rapport et qu’elle avait découvert que son hymen était déchiré seulement quand elle a essayé d'obtenir un certificat de virginité à l’intention de son petit ami et de sa famille. Elle dit avoir perdu du sang après un accident de cheval quand elle avait 10 ans.

Le traumatisme qu'elle a subi quand elle s’est rendu compte qu'elle ne pourrait pas prouver sa virginité, a été si violent, a-t-elle dit, qu'elle a tout simplement emprunté de l'argent pour payer l’acte chirurgical.

"Tout à coup, la virginité prend de l’importance en France," a-t-elle dit. "Je me suis rendu compte que je pourrais être dans la situation de cette femme dont on parle à la télévision."

Ceux qui pratiquent l’opération disent qu’ils permettent à leurs patientes d’avoir un avenir normal et qu’ils les empêchent d'être maltraitées, ou même tuées, par leurs pères ou leurs frères.

"Qui suis-je pour porter un jugement ?" demande le dr. Marc Abecassis, qui a reconstitué l’hymen de l'étudiante de Montpellier. "J'ai des collègues aux États-Unis dont les patientes offrent ça pour la St Valentin à leurs maris. Ce que je fais est différent. Ce n'est pas pour s'amuser. Mes patientes n'ont pas le choix si elles veulent trouver la paix, et un mari."

Spécialiste dans ce qu'il appelle la chirurgie "intime", incluant la phalloplastie, le dr. Abecassis dit qu'il pratique deux à quatre réfections d’hymen par semaine.

La Faculté Française de Gynécologie et d’Obstétrique s'oppose à cette pratique pour des raisons morale, culturelle et sanitaire.

"Nous avons eu une révolution en France pour obtenir l'égalité ; nous avons eu une révolution sexuelle en 1968 où les femmes se sont battues pour le droit à la contraception et le droit à l’avortement" a dit le dr. Jacques Lansac, le dirigeant de ce département. "Attacher autant d’importance à l’hymen est une régression, une soumission à l'intolérance du passé."

Mais les histoires de ces femmes qui ont subi l’opération expriment la complexité et l’émotion à l’état brut qui sont derrière leur décision.

Une musulmane née en Macédoine a dit qu'elle avait opté pour l'opération afin d’éviter d'être punie par son père après une relation de huit ans avec son petit ami.

"J'avais peur que mon père ne me mène chez un docteur pour voir si j’étais toujours vierge" a dit cette femme de 32 ans qui possède une petite entreprise et vit toute seule à Francfort. "Il m'a dit : " Je pardonnerai tout sauf que tu salisses mon honneur. " Je n'avais pas peur qu’il me tue, mais j'étais sûre qu'il m'aurait battue."

Dans d'autres cas, la femme et son partenaire décident ensemble de l'opération. Une française de 26 ans d’origine marocaine a déclaré qu'elle a perdu sa virginité quatre ans auparavant quand elle est tombée amoureuse de l'homme qu'elle projette d’épouser à présent. Mais elle a décidé avec son fiancé de partager les frais de 3.400 $, coût de son opération à Paris.

Elle dit que sa famille au Maroc, nombreuse et traditionnelle, demandait qu’un gynécologue, un ami de la famille, l'examine afin de prouver sa virginité avant le mariage.

"Cela n’a pas d’importance pour mon fiancé que je ne sois pas vierge, mais ça poserait un énorme problème pour sa famille," a-t-elle dit. "Comme ils savent qu’on peut verser du sang sur les draps pendant la nuit de noces, je dois avoir une preuve encore meilleure."

La vie du couple français dont le mariage a été annulé est mise entre parenthèse. Le Ministère de la Justice a fait appel, arguant du fait que la décision "a provoqué un débat social passionné" qui "a touché tous les citoyens de notre pays et particulièrement les femmes."

Au Centre Islamique de Roubaix, dans la banlieue de Lille où le mariage a eu lieu, on éprouve de la compassion pour la femme.

"Cet homme est le plus grand de tous les ânes," a dit Abdelkibir Errami, vice-président du Centre. "Même si sa femme n'était plus vierge, il n'avait aucun droit de mettre publiquement en cause son honneur. Ce n’est pas ce qu’enseigne l'Islam. Il enseigne le pardon."



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