Le prisme inégal des médias,
L. Monnerat
12/02/07
Sur le blog de Ludovic Monnerat
D'un point de vue médiatique, les conflits armés peuvent, grosso modo, être divisés en trois catégories : ceux qui plaisent, ceux qui déplaisent et ceux qui indiffèrent. Les premiers doivent être mis en évidence, ramenés à leurs éléments les plus saillants, dépourvus de nuance pour mieux être exploités ; les seconds doivent être resitués et recadrés, entourés d'interprétations et d'explications, recouverts d'un voile relativisant pour ne pas être exploités. Enfin, les troisièmes ne revêtent aucun intérêt et doivent être traités comme des faits divers, comme des événements naturels et inévitables, indignes de toute implication émotionnelle ou morale.
La guerre en Irak fait naturellement partie de la première catégorie. Il suffit de consulter régulièrement la colonne de gauche de ce site pour voir de quoi est fait l'essentiel de l'information donnée au public concernant l'Irak : les attaques terroristes, les pertes en soldats américains ou coalisés et les luttes politiques à Washington. Occasionnellement, lorsqu'un aperçu positif parvient à passer le filtre, il apparaît comme une incroyable surprise, comme le montre l'exemple de la croissance économique irakienne ; et bien vite on en revient à la "normalité" biaisée d'une opération d'emblée combattue. Les dissonances internes aux rédactions sont réprimées, et certaines données contradictoires - comme les pertes en combattants, infligées par la coalition - sont systématiquement ignorées. Les faits sont sélectionnés en fonction du sens recherché.
La guerre au Congo fait partie de la troisième catégorie. Les événements dramatiques vécus en RDC sont relatés comme des "incidents", ou présentés comme tels, les rares fois où ils émergent dans l'actualité planétaire. La présence d'organisations internationales et non gouvernementales dans le pays assure pourtant une livraison régulière des informations, mais celles-ci ne convoient aucun enjeu à même de mobiliser les rédactions : pas de bons et de méchants, pas de victimes ni de coupables. Le drame congolais se perd dans le marasme africain, dans les Etats échoués, dans les divisions locales, et le coût humain inouï du conflit, depuis 1998, ne suffit pas à générer la moindre émotion durable. Les faits ne sont pas sélectionnés, ils sont minorés, dédramatisés, objectivés.
La guerre en Palestine fait partie de la deuxième catégorie. Voici plusieurs mois que les violences inter-palestiniennes font rage, mais la brusque augmentation d'attaques depuis quelques semaines a poussé cette population au bord de la guerre civile. Pourtant, le nombre de victimes reste étonnamment tu, et on ne le trouve approximativement, ça et là, qu'avec peine, alors que l'AFP a pour coutume d'établir un décompte précis des Palestiniens tués par Israël. De même, il est très rare de lire dans la presse grand public un reportage comme celui-ci, qui montre la réalité d'un massacre commis de sang froid par le Hamas sur des recrues du Fatah, et brise le tabou de la guerre civile. Mais le redressement des esprits a tôt fait d'être entrepris pour noyer ces vérités insupportables dans une explication lénifiante. Les faits sont corrigés et remâchés dans le sens recherché.
Que faire face à ce traitement extraordinairement inégal des conflits armés dans le prisme des médias ? Rechercher obstinément les faits, démasquer les interprétations abusives, acquérir la vue d'ensemble, identifier les enjeux et les causes, accepter des perspectives différentes, considérer les sources d'un oeil critique, éviter les trous de mémoire, mesurer l'implication des médias eux-mêmes ? Probablement tout cela, et bien d'autres choses encore. A l'heure de l'information immanente, il est plus que jamais important d'apprendre à s'informer.
© Ludovic Monnerat
[Texte aimablement signalé par Kae.]
Mis en ligne le 12 février 2007, par M. Macina, sur le site upjf.org