27.2.07
UNE DEFENSE A REINVENTER
Tel était le titre de ma conclusion, lors de l’exposé sur la guerre moderne que j’ai donné cet après-midi à l’Ecole d’Etat-major général, devant les 32 officiers ayant franchi les différents obstacles du second stage et appelés à être promus ce vendredi. L’un de mes anciens camarades de classe de l’école d’officiers (le 3e sur 12 à arborer tout bientôt les bandes noires et le 4e à devenir officier supérieur…) n’a manqué de m’interroger sur cette réinvention de la défense, et notamment sur sa dimension offensive. Je n’aborderai pas ici la question des bases juridiques, puisqu’une telle décision relève avant tout de la politique, mais plutôt le profil opérationnel d’une nouvelle compréhension de la défense nationale. Etant entendu que les effets recherchés doivent aboutir à défendre et à protéger le territoire, les esprits et les marchés.
La défense du territoire en conflit symétrique, avec le combat dès la zone frontière et la recherche de la décision militaire, voit son importance se réduire proportionnellement à l’amenuisement des capacités offensives au sein des armées européennes. En revanche, la défense du territoire en conflit asymétrique suppose la capacité à préserver et à restaurer le contrôle qu’exercent les autorités civiles sur des objets, des axes, des quartiers ou des secteurs. Dans la mesure où le renseignement ne permet que rarement d’effectuer au bon endroit et au bon moment des missions de protection, et comme les effectifs ne permettent pas d’assurer une protection généralisée (notamment en milieu urbain), cela signifie doit développer son aptitude à agir en milieu semi-permissif ou non permissif pour prendre le contrôle d’un périmètre donné, stabiliser la situation et assurer le retour de la normalité.
La défense des esprits ne peut cependant se satisfaire de telles actions contre-offensives : laisser volontairement l’initiative dans le domaine sémantique revient à abandonner par avance les éléments constitutifs des perceptions publiques, les points de repère et les références des jugements futurs. L’armée doit résolument prendre l’offensive dans ce domaine pour préserver le sentiment national, pour développer la volonté de servir, pour montrer les menaces contemporaines. Les représentations en matière de défense étant encore ancrées dans les conflits interétatiques, l’armée doit également rendre publiques les modalités belligérantes de notre ère, les méthodes de guerre susceptibles d’être utilisées contre nous – et celles qui l’ont déjà été. En plaçant la Suisse et ses intérêts au centre de sa perspective, l’armée doit lutter à son niveau contre la subversion du communautarisme et de l’incivisme.
La défense des marchés est la résultante des actions s’inscrivant dans le domaine matériel comme immatériel. En contribuant à la stabilité et à l’intégrité du pays, l’armée en préserve également l’attrait économique ; en contribuant à la protection des citoyens suisses et de nos intérêts hors des frontières, elle soutient aussi le dynamisme économique qui les caractérise. Enfin, l’armée doit rester en mesure d’appuyer l’approvisionnement économique du pays dans ses tâches régulières, en cas de crise menaçant ce dernier, pour éviter les pénuries dont nous aurions le plus à souffrir. Tout ceci suppose naturellement des intérêts communs avec d’autres nations européennes, et donc des engagements s’effectuant ponctuellement mais systématiquement en coopération multinationale.
Il reste à préciser que toutes les actions de l’armée, dans le cadre de cette défense rénovée du pays et de sa population, ne peuvent être limitées a priori par des frontières géographiques. Comme être suisse et vivre en Suisse sont de moins en moins synonymes, dans un sens comme dans l’autre, le critère déterminant pour un engagement de moyens militaires doit être l’intérêt national, et non l’emplacement géographique. Ce qui me paraît la condition pour qu’un Etat moderne conserve sa crédibilité et donc sa légitimité au cours des prochaines décennies.
Posté par Ludovic Monnerat à 19:06 | Commentaires (6) | Pisteur (0)