2 février 2007 - Daniel Vavinski | Actualité Juive
Le tribunal a admis que l’on puisse évoquer « les graves erreurs professionnelles » de Charles Enderlin. Mais il a condamné Desinfos.com pour l’usage du mot « désinformation ».
C’est en quelque sorte un Jugement de Salomon qu’a rendu la 17e chambre correctionnelle du Tribunal de Paris dans l’affaire opposant Charles Enderlin et France 2 au site Internet Desinfos.com. dirigé par le Dr Charles Gouz. En déboutant la chaîne de télévision publique et son journaliste sur la plupart passages poursuivis mais en condamnant le site juif sur le seul l’emploi du mot « désinformation » qu’ils ont estimé inapproprié, les juges parisiens ont sans doute cherché à trouver, dans une affaire hautement polémique, une attitude qui se voulait équilibrée. Il n’est pas sûr qu’ils y soient parvenus.
La chaîne de télévision publique et son journaliste avaient porté plainte contre Desinfos.com en raison d’un texte, diffusé en novembre 2002, les mettant en cause dans ce qu’il est convenu d’appeler désormais l’Affaire Mohamed Al Dura . Ce texte reprochait notamment à Charles Enderlin d’avoir « commis des erreurs professionnelles graves » dans la réalisation en octobre 2000 du reportage sur la mort de l’enfant palestinien. Un autre passage affirmait également que « de graves présomptions de désinformation existent autour de cette affaire et du rôle joué par le personnel de France 2 et que ces éléments sont de nature à ternir indûment l’image de l’un des belligérants et à favoriser de ce fait les sentiments populaires de haine ethnique et raciste envers les israéliens et les juifs ». Désinfos.com considérait en outre les refus successifs de France 2 de rendre public les rushs du reportage litigieux « comme autant d’obstructions brutales et inacceptables dans la recherche et dans la démonstration de la vérité. »
Lors de l’audience qui s’est tenu le 30 novembre dernier à Paris, l’avocat de Charles Gouz, Me Aude Weill-Raynal avait plaidé tout autant la bonne foi du prévenu, le travail sérieux de recherche effectué par les militants juifs, que le droit légitime de tout un chacun à critiquer le travail d’un journaliste, fût-il emblématique et intouchable comme Charles Enderlin. Force est de constater que sur plus d’un point la 17e chambre du tribunal correctionnel a donné raison à la défense de Charles Gouz. Dans leurs attendus, les juges ont estimé que Desinfos.com est dans son droit lorsqu’il évoque « les graves erreurs professionnelles » de Charles Enderlin et que « cette formulation exprimée dans un contexte de vive polémique relève essentiellement du domaine de l’opinion, sans excéder les limites autorisées du droit de libre critique ». En clair, pour la justice, souligner « les graves erreurs professionnelles » de Charles Enderlin n’est pas diffamatoire. Dont acte.
Considérant le refus constant de France 2 de répondre aux interrogations légitimes des militants juifs et notamment de communiquer l’intégralité des rushs tournés lors de la mort de Mohamed Al Dura, 17e chambre correctionnelle a également estimé qu’il n’était pas diffamatoire de protester contre les « obstructions brutales et inacceptables de France 2 dans la recherche de la vérité ». Re-dont acte. La justice a reconnu que dans l’affaire Al Dura, la chaîne de télévision publique et son journaliste n’avaient fait preuve ni de transparence ni de volonté manifeste de faire éclater la vérité.
En revanche, car il fallait bien trouver quelques chose pour que Charles Enderlin et Arlette Chabot sa directrice ne repartent pas totalement bredouilles, le tribunal a condamné Desinfos.com pour l’emploi du mot « désinformation », pourtant très usité par les temps qui courent. En formulant « une accusation aussi grave, le prévenu a manqué à l’exigence de sérieux » estiment les juges pour justifier leur décision. Charles Gouz a été condamné à 1 euro de dommages et intérêts et à mille euros d’amende avec sursis. Cette condamnation a soulevé plus d’une critique dans les milieux judiciaires ainsi que dans la communauté juive. « Ce qu’il y a derrière ce procès intenté par France 2, c’est en fait une tentative d’intimidation pour faire taire à l’avenir toute critique contre Charles Enderlin » a estimé le Pr Raphaël Draï, sur l’antenne de Radio J. « Tout dans le dossier inclinait en faveur d’une relaxe de mon client » a indiqué Me Aude Weill-Raynal en rappelant qu’à l’audience le procureur lui même avait conclu à l’absence de diffamation. « Mais le Tribunal n’a pas voulu se déjuger en relaxant Charles Gouz, afin que cet élément ne soit pas exploité dans un autre dossier en cours, concernant la même affaire, où France 2 et Enderlin sont accusés de mise en scène et de manipulation » a conclu l’avocat. Décidément, l’affaire Al Dura n’en finit pas de trouver son épilogue judiciaire.
Daniel Vavinski
commentaire
La 17e correctionnelle et la géométrie variable...
¨Pour condamner Desinfos.com du délit de diffamation, la 17e chambre correctionnelle a reproché à son directeur l’emploi imprudent du mot « désinformation ». Pour justifier cette condamnation, les magistrats ont insisté sur le fait que cette accusation était formulée dans le contexte du conflit israélo-palestinien, ce qui aurait dû inciter le prévenu à une prudence accrue : « En diffusant telle quelle, s’agissant d’un sujet particulièrement sensible et polémique, une accusation aussi grave, le prévenu a manqué a l’exigence de sérieux » écrivent notamment les juges. Curieusement, on ne peut s’empêcher de comparer cette décision à un autre jugement où le même tribunal tient le raisonnement totalement inverse. En janvier 2001, la journaliste palestinienne Raymonda Hawa Tawil (qui est également la belle-mère de Yasser Arafat) avait dénoncé sur les ondes de France Culture, « le racisme des Juifs de France » et avait accusé le « lobby juif » de vouloir « massacrer le peuple palestinien ». Pour relaxer Mme Tawil du délit de diffamation raciale, la 17e chambre correctionnelle avait indiqué dans son jugement du 20 décembre 2001 : « si les termes employées par la prévenue ne sont pas dénués d’une grande violence, il apparaît qu’ils s’inscrivent dans le cadre du combat politique qu’elle mène contre Israël, dans un contexte de guerre de nature à inspirer la terreur. Les propos de Mme Tawil ne sont que l’expression de son opinion ». Ainsi donc, pour le même tribunal le contexte du Proche-Orient permet d’absoudre la belle mère d’Arafat lorsqu’elle tient des propos violemment antisémites sur une radio d’Etat et de condamner des militants juifs qui ont l’audace de critiquer un reportage de la télévision publique. CQFD.
D.V.