Par Ilan Tsadik
© Metula News Agency
C’est le genre de messages qui pullulent dans les media russes, que ce soit dans les titres ou les pages réservées aux commentaires des internautes à propos du conflit géorgien.
On y remarque également la florescence de nombreux groupuscules antisémites, à l’instar de "Grèce - Russie – Serbie orthodoxe unies contre le nouvel ordre mondial sioniste".
La presse moscovite répercute aussi des slogans, façon "Israël n’est pas l’amie de la Russie mais un ennemi qui arme et entraîne les agresseurs contre la Russie et ses citoyens" ou encore "Alors ainsi les Juifs et les Georgiens sont heureux de tuer des soldats russes ?".
Le ministre de la Défense de Tbilissi, Davit Kezerashvili, est souvent décrit comme un sioniste, au prétexte de ses origines israélites, du fait qu’il a passé quatre années dans l’Etat hébreu et qu’il parle couramment notre langue.
Nous nous retrouvons en présence du même antisémitisme officiel et populaire qui avait caractérisé, entre autres, l’Union Soviétique. Ce qui prête à sourire, c’est que cette propagande s’affaire à oublier que le président russe, Dimitri Medvedev, est également d’ascendance hébraïque. Mail il est vrai que Medvedev sert surtout de couverture au premier ministre Poutine, qui détient les véritables clés du pouvoir à Moscou.
Un Poutine qui cristallise le nouvel impérialisme russe, débarrassé du prétexte communiste. Il est, à ce propos, indispensable de faire l’effort de consulter les media russes, telle la Pravda, afin de réaliser à quel point un nouveau nationalisme est en train de se déchaîner et qu’il ne doit rien à la vigueur de l’ex-expansionnisme de l’époque des Soviets.
Pour la presse russe, c’est, en effet, la mère patrie qui se trouve agressée par les Américains, l’OTAN, l’Union Européenne et Israël. Elle se moque ainsi totalement du fait que ses 70 000 hommes, appuyés par 600 chars d’assaut et des centaines d’avions sont en train de marcher sur Tbilissi, et que ce ne sont pas les 30 000 soldats de l’armée géorgienne, leurs cent tanks achetés à Mathusalem et leurs 8 Migs, refourbis, certes, par des industries israéliennes, qui sont en train d’encercler Moscou et de la noyer sous les bombes.
On lit dans la Pravda de ce matin des gros titres qui semblent copiés sur ceux qui accompagnèrent l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’armée rouge en 1968. Elle ouvre sur "Les USA approuvent l’agression de la Géorgie contre l’Ossétie du Sud", et je vous interdis de tordre les côtes, charmante Elvire, car cela reflète fidèlement l’humeur générale préoccupante au pays de Poutine, et qu’en Biélorussie, dans les Etats baltes, en Ukraine, en Arménie et dans les autres ex-satellites de l’URSS, on en perd l’appétit de trouille.
Il y a quelques jours, Vladimir Poutine, lors d’un discours officiel, est allé jusqu’à présenter la chute de l’Union Soviétique comme "la plus grande tragédie de XXème siècle". Vous avez quelque chose à ajouter ?
Non ? – Moi si : la mention de la terrible agressivité de l’ours, qui semble se réveiller de sa période de semi-hibernation avec un appétit redoutable et des griffes acérées à la pierre de meule. J’en prends pour témoin cet autre article de la Pravda, selon lequel ce n’est pas la l’armée géorgienne que la Russie aurait défait en Ossétie du Sud mais les Etats-Unis. C’est évidemment un peu plus glorieux…
Mais l’article, commis par un certain Sergei Balmasov, va plus loin encore, car il n’hésite pas à affirmer que "Les USA ont admis que la Russie avait défait les US". A la source de cette aberration, une analyse totalement détournée de notre excellent confrère américain Stratfor qui critique l’Administration de Washington pour ne pas avoir correctement évalué le risque d’intervention russe en Géorgie. Mais pour Balmasov, Stratfor, c’est le gouvernement américain et c’est aussi le moment ou jamais pour que notre confrère suive des cours intensifs d’anglais.
Ajouter à ce menu indigeste des images de civils ossètes en pleurs, qui tapissent ad nauseum tous les media russes, dont ils accusent la Géorgie d’avoir organisé le génocide ou, à tout le moins, pour certains titres "modérés", le nettoyage ethnique. Le président géorgien Mikhail Saakashvili étant présenté, sur les bords de la Volga, comme la réincarnation conforme d’un gnome moustachu allemand, casquetté, le bras levé, dont j’ai momentanément oublié le nom.
L’erreur stratégique ne date pas de cet été
Sûr, l’erreur d’appréciation stratégique des Occidentaux ne date pas de cet été. Cela fait au moins sept ans que les USA et l’UE se sont payés des lunettes roses et que leurs experts stratégiques passent leur temps à fumer des pétards.
On nage en pleine politique d’Apaisement, au point de considérer que les Iraniens ne sont pas si dangereux que cela "après tout", que ce n’est pas demain matin qu’ils obtiendront l’arme nucléaire et pas après-demain matin qu’ils l’installeront sur les plages libanaises.
On pensait, à force de contempler les centaines de navires de guerre désarmés de l’ex-empire soviétique, dont les leaders de l’après Glasnost laissent décharger les matériaux radioactifs dans l’océan, dans d’immenses cimetières à bateaux, que la menace russe appartenait à l’histoire.
On pensait que la Russie était en voie de devenir un Etat capitaliste et démocratique "comme les autres". On voulait si fort croire qu’on avait raison, qu’on a minimisé les signes précurseurs du réveil de l’impérialisme moscovite, au point qu’on risque de se laisser surprendre par la prochaine éruption du Vésuve.
C’est le prix de la bêtise de l’Occident que les Géorgiens sont en train de payer au prix fort. Car l’Europe et les Etats-Unis n’ont fait que parler à haute voix de l’occidentalisation de Tbilissi et de la prochaine entrée de la Géorgie au sein de l’OTAN.
Mais, tel un joueur d’échecs débutant, on n’a pas assuré ses arrières. On a volontairement ignoré l’exploitation par les Russes des revendications des minorités ossètes et abkhazes, tandis que, si l’Ouest avait été sérieux dans ses intentions, il aurait simultanément doté son "allié" Saakashvili de moyens militaires suffisants pour dissuader les néo-Guébistes (agents du KGB) poutiniens d’envahir son pays.
Les Russes ont pratiquement coupé le pays à la hauteur de Gori.
Ils occupent l’aéroport de Sennaki et se
seraient arrêtés à environ 20km de la mer Noire et du port de Poti
Et si l’Ouest n’était pas sérieux, il n’avait qu’à laisser Tbilissi se dépatouiller seul, comme le font la plupart des Etats de l’ex-empire urussussique. L’Ouest a donné à Saakashvili des promesses, des illusions et surtout le baiser qui tue. Le baiser de l’ours qui vous étouffe pendant l’étreinte.
Il y a de cela quelques années à peine, les Géorgiens ont voulu acquérir en Israël des chars Merkava. Washington avait mis son veto sur la transaction, au prétexte de ne pas irriter Poutine. Ce, pendant que le dernier cité continuait impunément à vendre ses missiles Iskander, Kornet et Pantsyr aux Syriens et aux Perses, qui les réexportent partiellement en direction du Hezbollah libanais, avec le plus parfait mépris pour les résolutions du Conseil de Sécurité.
Certes, Israël a laissé agir ses sociétés de "consultants" privées en Géorgie. Elle a accepté de doter Tbilissi en armement à caractère défensif : avions sans pilotes, tourettes automatiques pour blindés, missiles antiaériens, systèmes de communication, obus et roquettes.
De la broutille, en considération de la politique de rapprochement avec l’Occident menée par Saakashvili et de la taille de la menace russe qu’elle engendrait.
Le ministre géorgien de la "Réintégration" (sic-sic-sic ?), Temur Yakobashvili, un autre hébreuophone, a eu beau déclarer, dimanche, que "les Israéliens devaient se sentir fiers d’eux pour l’entraînement et l’éducation israéliens fournis aux soldats géorgiens", ce que nous avons fait est infiniment trop peu pour contenir une offensive russe généralisée. Et ce n’est pas l’aide américaine, les 2 000 soldats géorgiens que Washington a rapatrié d’Irak avec armes et bagages, ainsi que ses quelque 150 conseillers officiels, toujours à l’œuvre sur le terrain, qui y changeront quelque chose.
Il aurait fallu construire une armée de milice de 500 000 hommes, équipée d’armes de pointe, tandis que l’Ouest s’est contenté de renforcer les quelques sections de poilus existantes, et de former quelques dizaines de commandos de très bonne tenue.
Une force géorgienne qui fait des miracles mais qui meurt pour rien. Elle a effectivement mis une cinquantaine de chars russes hors de combat, selon nos amis israéliens sur place, abattus une quarantaine d’avions et d’hélicoptères, ce qui n’empêchera pas Temur de s’écrouler sous les trompettes des Poutiniens.
Dommage pour la Géorgie et les Géorgiens. Dommage pour les Israéliens, qui étaient les investisseurs privilégiés de la nouvelle Géorgie. Ce qui n’a pas dérangé certains marchands d’armes hébreux de se faire des couilles en or à Tbilissi ; je pense à Roni Milo, ex-maire de Tel-Aviv, reconverti dans le boum-boum, et à son frère, Shlomo, l’ancien boss de l’Industrie militaire, un consortium nationalisé.
SUITE