Les démocraties vont mal. À preuve, la fascination qu’exercent la Chine et la Russie, y compris sur l’opinion occidentale. Élevée dans la repentance et l’effacement, celle-ci découvre que des nations peuvent imposer leurs volontés, sans complexes. Les fastes des Jeux de Pékin, ajoutés à une forte croissance économique, ont fait oublier le régime liberticide. Et nombreux sont ceux qui, en France, ont justifié l’invasion, par l’impériale Russie, de la Géorgie coupable d’avoir choisi le monde libre.
La pusillanimité de la " Vieille Europe ", confrontée à ce coup de force contre un pays ayant choisi en 2003 de se rapprocher des États-Unis, rappelle le tragique des politiques d’apaisement face aux autocrates. Tandis que l’Ouest angélique réduisait ses budgets militaires, l’ex-KGB Vladimir Poutine augmentait ceux de son pays. Certes, Nicolas Sarkozy, président de l’Union, a eu raison de négocier un cessez-le-feu. Mais les Russes n’ont trouvé aucun obstacle, jusqu’à présent, à leur reconquête. Après la Géorgie : Ukraine ou Moldavie ?
Ce que donnent à voir nos démocraties bavardes mais désarmées n’incite pas forcément à les suivre. D’autant que la récession qui les frappe ne leur permet plus d’offrir le bien-être pour tous. Leur incapacité à se faire respecter de certains de leurs nouveaux hôtes montre le désarroi de leurs dirigeants. Eux-mêmes ne semblent plus croire en la souveraineté des citoyens, quand ils redoutent leurs voix, comme sur le traité européen. Les mensonges du politiquement correct ajoutent au sentiment d’étouffement.
C’est sur ce terreau que s’épanouit, singulièrement en France, un discours de haine de l’Occident judéo-chrétien, remarquablement décortiqué par l’historien Pierre-André Taguieff (La Judéophobie des Modernes, Odile Jacob). Partagé par l’extrême gauche et les islamistes, ce rejet des démocraties s’exprime dans un antisémitisme décomplexé. " La haine des Juifs va sans conteste de pair avec celle de l’Occident", soutient Taguieff. Mais l’antiaméricanisme est du même tonneau.
Il est évidemment impossible de se satisfaire de ce constat d’un retour possible à la tentation totalitaire, qui trouve des échos, par exemple, auprès du futur Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) du gentil facteur Besancenot. L’islam révolutionnaire, qui dénonce, comme lui et les altermondialistes, la "marchandisation du monde", est prêt à pactiser sur le dos de l’Occident et des Lumières. Les démocraties dépressives doivent donc urgemment se ressaisir. Pour l’Europe, voici venue l’épreuve de vérité.
Les deux guerres
Oui, les démocraties sont en danger. Leur faiblesse, qui s’observe aussi à travers de petites lâchetés récurrentes pour prix d’approvisionnements en pétrole et en gaz, en fait désormais des proies. Une étude de la Fondation Friedrich-Ebert (Le Monde, 15 août) révèle que près d’un Allemand sur trois pense que la démocratie fonctionne mal. En France, depuis le 11 septembre 2001, le "complot américano-sioniste" fait florès dans les discours des extrêmes, à la satisfaction des djihadistes. Désormais installés en Algérie, ceux-là sont aux portes de l’Europe (Antoine Basbous, Le Figaro, 26 août). D’autres sont même au cœur des cités. La guerre, que l’on disait chassée du Vieux Continent, y pointe à nouveau son mufle, et sur deux fronts. Il y en a, au moins, un de trop.
La menace russe n’est certes pas comparable à la menace islamiste, même si Moscou n’exclut plus la guerre froide. Il y a des familiarités entre l’Occident et la Russie qui rendent possible un rapprochement. Pour autant, le monde libre ne peut laisser sans réponse les provocations du Kremlin, qui a reconnu mardi l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud appartenant à la Géorgie. Bien sûr, les Occidentaux ont eu tort de cautionner l’indépendance de la province serbe du Kosovo. Mais Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev, indifférents du sort des minorités (les Tchétchènes en savent quelque chose), ont engagé un bras de fer que l’Union européenne ne peut perdre. Il est à espérer que la diplomatie et des pressions économiques sauront raisonner les Russes enfiévrés. Confrontés eux-mêmes au fondamentalisme, que gagneraient-ils à s’allier à l’Iran et à la Syrie ?
Impensable recul
Dans ce contexte, un recul de la France en Afghanistan, où dix de nos soldats ont été tués par des talibans, signerait la débandade. Impensable. Les démocraties, solidairement attaquées le 11 septembre 2001 à New York, se défendent dans ce pays lointain du totalitarisme islamique qui veut leur perte. Un échec y serait une victoire pour les djihadistes qui enrôlent de jeunes Français fanatisés. Aux défaitistes qui prophétisaient le bourbier en Irak, faut-il rappeler que des troupes arabes y combattent al-Qaida au côté de troupes américaines et que cette guerre a été gagnée, n’en déplaise à Dominique de Villepin ? L’Afghanistan est l’occasion pour la France, adepte du soft power, de montrer sa détermination face aux terroristes, "ces barbares moyenâgeux " dénoncés par Nicolas Sarkozy. Le président et Bernard Kouchner ont bien replacé l’enjeu de civilisation de cette guerre qui n’ose pourtant dire son nom. "Je conteste le mot de guerre, je le conteste totalement ", dit Hervé Morin, ministre de la Défense. Mais derrière la peur des mots, n’y a-t-il pas la peur tout court ?
Héros modernes
Ces jeunes soldats qui disent tous, dans les reportages, vouloir aller au bout de leur mission en Afghanistan après la mort de leurs camarades : une abnégation qui fait d'eux les nouveaux héros modernes.
Je participerai, ce vendredi soir, à l'émission "On refait le monde ", sur RTL ( 19h15-20h).
Ivan Rioufol pour Le Figaro le 29 août 2008