evelyn gordon
Youval Diskin, chef du Shin Bet - le service de sécurité intérieure - est tellement préoccupé par la force de dissuasion israélienne qu'il a rendu ses inquiétudes publiques le mois dernier.
S'adressant à la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset, Diskin a affirmé que la force de dissuasion israélienne avait "considérablement souffert" suite à trois événements, ces trois dernières années : le désengagement de Gaza, la prise de contrôle du Hamas qui s'en est suivi et la seconde guerre du Liban.
S'il n'est pas entré dans les détails, il n'a pas cité ces événements par hasard : tous trois ont porté atteinte, tant sur le plan physique que psychologique, aux capacités dissuasives d'Israël.
La dissuasion physique se rapporte à l'équilibre des forces actuelles : plus l'ambivalence est grande, plus la partie faible sera réticente à entamer les hostilités. Et si l'équilibre est toujours en faveur Israël, l'écart s'est considérablement réduit suite aux événements cités par Diskin.
Jusqu'à son départ de Gaza en 2005, Israël luttait avec succès contre la contrebande d'armes palestinienne (sans jamais pouvoir réellement l'endiguer). Mais dès le retrait israélien, les vannes se sont ouvertes. Jusque-là, la portée des roquettes du Hamas ne dépassait pas quelques kilomètres et l'organisation n'en détenait que quelques centaines.
Aujourd'hui, selon les renseignements israéliens, l'organisation compte des milliers de roquettes, non seulement de courte portée, mais aussi capables d'atteindre d'importantes villes du sud d'Israël.
Elle dispose également de roquettes antichars sophistiquées - responsables de la plupart des pertes humaines de Tsahal pendant la seconde guerre du Liban - et s'est construit un véritable réseau de bunkers semblables à ceux du Hezbollah.
Ainsi, toute réponse israélienne à une attaque du Hamas équivaudrait à une pluie de roquettes en retour. Toute opération terrestre destinée à stopper ces roquettes entraînerait beaucoup plus de pertes humaines que les actions militaires précédentes dans la bande de Gaza. En connaissance de cause, le gouvernement israélien, quel qu'il soit, aura beaucoup plus de réticence à riposter.
Par conséquent, le Hamas se sentira plus libre de frapper quand il trouvera le moment opportun.
Il en est de même pour le Liban. Le gouvernement n'avait de cesse de vanter les mérites de la résolution 1701 du Conseil de sécurité, qui avait mis fin à la guerre du Liban de 2006. Il déclarait à l'époque que les dispositifs de renforcement de l'ONU et le déploiement de l'armée libanaise dans le Sud-Liban sauraient empêcher le réarmement du Hezbollah.
En réalité, la résolution 1701 a permis à l'organisation terroriste de se réarmer à la vitesse-éclair. Le Hezbollah, qui compte aujourd'hui environ 40 000 roquettes, a triplé son arsenal de 2006. Il possède en outre des roquettes longue portée capables de frapper n'importe quelle ville israélienne, alors qu'en 2006, seul le nord était menacé.
Avec la jubilation qui accompagne l'achat d'armes et l'image dont il a bénéficié après l'échec de Tsahal à le démanteler (un exploit jamais atteint par aucune armée arabe régulière), le Hezbollah contrôle aujourd'hui totalement le gouvernement libanais, à tel point que ce dernier vient de l'autoriser officiellement à attaquer Israël quand il le souhaitait.
Ce feu vert pourrait tout à fait lui garantir l'accès au matériel de l'armée libanaise, qui inclut un équipement américain très sophistiqué. Le nouveau président du Liban et ancien chef des armées, Michel Suleiman, a annoncé qu'il soutenait "tous les moyens" pour récupérer ce qu'il appelle "les territoires libanais occupés".
Si à l'avenir Israël répondait à une agression du Hezbollah, celui-ci pourrait lui faire payer un prix beaucoup plus élevé que lors des derniers conflits.
Mais quelle que soit l'importance des caractéristiques physiques, la force de dissuasion repose principalement sur l'élément psychologique: la manière dont on perçoit la force d'un adversaire importe souvent plus que la réalité dans la décision d'attaquer. Et sur le plan psychologique, les événements cités par Diskin sont dévastateurs.
D'après les sondages, 70 à 85 % des Palestiniens pensent qu'Israël a quitté Gaza à cause du terrorisme. Et pour cause : en 2000, aucun gouvernement israélien n'aurait envisagé de se retirer unilatéralement de Gaza.
Ainsi, le terrorisme provenant de Gaza qui avait provoqué la mort de 150 personnes - soit
15 % des victimes de toute l'Intifada en cinq ans - a suffi à faire pencher la balance et clairement prouvé son efficacité.
C'est ce qu'a expliqué le cheikh Hassan Youssef, largement considéré comme le leader du Hamas en Judée-Samarie, lors d'une interview d'une franchise étonnante pour le quotidien Haaretz, le 31 juillet dernier.
Lui-même n'était pas un fanatique des attentats suicides. Pourtant, les réactions d'Israël ont prouvé que cette tactique était tellement efficace que ses détracteurs au sein du mouvement ne pipaient mot.
"Les membres du 'camp de la paix israélien', ceux qui parlaient de la fin de l'occupation et du retrait, nous ont confortés dans notre décision de poursuivre les attentats suicides", a-t-il déclaré.
"Les failles de votre fermeté nous ont énormément encouragés et ont su démontrer l'efficacité de cette méthode. Le plan d'Ariel Sharon du désengagement de la bande de Gaza a été un grand accomplissement, qui a résulté de nos activités.
Pour nous, le phénomène du refus de servir dans l'armée a constitué l'une des meilleures preuves que les attentats suicides avaient créé une rupture dans la société israélienne. Nous avons pensé que cette faille devrait être creusée, et l'utilisation de l'arme du terroriste suicide est devenue un consensus au sein de notre organisation."
En bref, de nombreux Palestiniens ont conclu qu'Israël était trop faible pour faire face au terrorisme. La prise de contrôle de Gaza par le Hamas deux ans plus tard a renforcé la fragilité israélienne.
Pendant des années, l'Etat juif avait ouvertement soutenu le Fatah contre le Hamas - aussi bien verbalement que dans les actes, dans une certaine mesure. Et quand votre allié proclamé est honteusement défait par votre ennemi, cela en dit long sur vous.
Mais c'est la seconde guerre du Liban qui constituera la preuve ultime de la vulnérabilité israélienne. Au terme de 33 jours de conflits, Tsahal s'est montré incapable de vaincre un adversaire inférieur à lui de beaucoup et bien moins équipé. Et c'est précisément parce que le Hezbollah était militairement plus faible que la seule explication possible de son succès repose sur la réticence d'Israël à se battre.
Par peur de provoquer des pertes humaines militaires, Israël a refusé de lancer une opération terrestre pourtant nécessaire contre le Hezbollah, et a préféré laisser un million de citoyens croupir, impuissants, sous une pluie de roquettes quotidienne.
La conclusion coule de source : Israël craint de se confronter au Hezbollah, qui, par conséquent ne semble n'avoir aucune crainte de s'attaquer à lui.
Les gouvernements israéliens doivent à présent tirer les leçons de l'actuelle situation. Et cesser de reproduire les mêmes erreurs, qui les empêcheront de restaurer la force dissuasive de Tsahal, pourtant au cœur de sa stratégie de défense.
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© 2008 Le Jerusalem Post édition Francaise