Reuters
Le président Dmitri Medvedev annonce que la Russie reconnaît les régions séparatistes géorgiennes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie en tant qu'Etats indépendants, plaçant ainsi Moscou sur la voie d'une épreuve de force avec les pays occidentaux.
"J'ai signé des décrets sur la reconnaissance par la Fédération de Russie de l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'indépendance de l'Abkhazie", a déclaré le chef du Kremlin dans une allocution télévisée depuis sa résidence de Sotchi, qui fait face à l'Abkhazie sur les bords de la mer Noire.
L'Occident n'avait cessé d'exhorter Moscou à ne pas reconnaître les deux régions sécessionnistes et à préserver l'intégrité territoriale de la Géorgie. L'Allemagne a jugé l'initiative russe "inacceptable" et la Grande-Bretagne l'a rejetée avec force en réaffirmant la souveraineté de la Géorgie. France et Etats-Unis ont parlé d'une "décision regrettable".
L'Otan a aussi rejeté la reconnaissance des régions séparatistes. "Il s'agit d'une violation directe de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité de l'Onu sur l'intégrité territoriale de la Géorgie, résolutions que la Russie elle-même a adoptées", selon son secrétaire général Jaap de Hoop Scheffer.
"Le fait que le gouvernement russe choisisse actuellement cette orientation signifie qu'il a opté pour une politique d'affrontement, non seulement avec le reste de l'Europe, mais aussi avec la communauté internationale dans son ensemble", a dit pour sa part le chef de la diplomatie suédoise, Carl Bildt.
Des combats ont opposé ce mois-ci les forces russes et géorgiennes après le déclenchement par Tbilissi d'une offensive qui visait à reprendre le contrôle de l'Ossétie du Sud. Moscou y avait riposté par une contre-attaque massive.
SÉPARATISTES HEUREUX
Sur fond d'un drapeau russe et d'une bannière présidentielle, Medvedev a déclaré, le visage sombre, que la tentative de Tbilissi pour reprendre le contrôle des deux régions par la force avait anéanti tout espoir de coexistence pacifique entre la Géorgie et elles au sein d'un seul Etat.
"(Le président géorgien Mikhaïl) Saakachvili a choisi le génocide pour régler ses affaires politiques", a dit Medvedev à un moment ou des chars et des troupes russes occupent encore certaines parties de la Géorgie.
"Les peuples de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie se sont plus d'une fois prononcés par référendum pour l'indépendance de leurs républiques. Nous le comprenons après ce qui s'est produit (...) ils sont en droit de décider eux-mêmes de leur avenir."
A Soukhoumi, la capitale abkhaze, des habitants en liesse ont tiré des coups de feu en l'air, sablé le champagne et pleuré de joie en apprenant la nouvelle de Moscou. Des scènes analogues ont été observées à Tskhinvali, la capitale sud-ossète ou le président, Edouard Kokoity, a annoncé qu'il allait demander à Moscou d'établir une base militaire sur son territoire.
Selon le Kremlin, Medvedev a ordonné au ministère des Affaires étrangères d'établir des relations diplomatiques avec les deux régions rebelles et de mettre en forme des traités de coopération et d'amitié avec elles. Le ministère russe de la Défense garantira la paix en Abkhazie et en Ossétie du Sud jusqu'à la signature des traités d'amitié, a ajouté le Kremlin.
A Tbilissi, le vice-ministre géorgien des Affaires étrangères, Guiga Bokeria, a dénoncé "une annexion flagrante" de territoires faisant partie de la Géorgie. Le président Saakachvili a réuni son conseil de sécurité.
LONDRES PRÔNE UN FRONT UNI CONTRE "L'AGRESSION"
La Bourse de Moscou a accentué son recul mardi sous l'effet de la décision présidentielle, l'indice boursier russe RTS cédant jusqu'à 6,10% après cette annonce.
En France, pays qui préside actuellement l'Union européenne et a négocié un accord de cessez-le-feu entre Russie et Géorgie, le Quai d'Orsay a déploré "une décision regrettable" et rappelé son "attachement à l'intégrité territoriale de la Géorgie".
A Londres, le chef de la diplomatie britannique, David Miliband, a réclamé la formation de la coalition internationale "la plus large possible" pour s'opposer à l'"agression russe en Géorgie".
Peu avant le discours de Medvedev, l'ambassadeur de Russie à l'Otan, Dimitri Rogozine, avait comparé la situation actuelle aux tensions qui précédèrent la Première Guerre mondiale au début du siècle dernier et jugé inévitable un nouveau refroidissement diplomatique.
"L'atmosphère qui prévaut actuellement me rappelle la situation ou se trouvait l'Europe en 1914 (...) lorsque les puissances mondiales ont basculé dans un conflit violent à cause d'un terroriste", a-t-il déclaré au journal RBK Daily.
"J'espère que Mikhaïl Saakachvili ne sera pas le nouveau Gavrilo Princip", a ajouté Rogozine en faisant allusion au jeune nationaliste serbe qui, le 28 juin 1914 à Sarajevo, assassina l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche - épisode qui déclencha la guerre en Europe.
Medvedev a affirmé ne pas craindre le risque d'une nouvelle guerre froide: "Rien ne nous effraie, pas même la perspective d'une guerre froide, mais nous ne la souhaitons pas. Dans cette situation, tout dépend de la position de nos partenaires."
Son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré aux journalistes que Moscou ne craignait pas l'isolement mais que "le bon sens devrait prévaloir au sein de la communauté internationale" concernant la crise géorgienne.
Avec Oleg Chtchedrov à Moscou et Indira Bartsits à Soukhoumi,
version française Gregory Schwartz, Philippe Bas-Rabérin