28.8.08

Pré-Durban II: critique d'Israël, de la liberté d’expression, mais pas des massacres du Darfur

Texte original : "Un's 'Durban II' African Prep Meeting Slams Israel, Free Speech But Silent on Darfur Atrocities and African Ethnic Violence"


Traduction française : Menahem Macina



Abuja, Nigeria, 26/08/08



Le groupe de défense des droits de l’homme UN Watch, de Genève, s’est dite alarmée par la déclaration adoptée ce [26 août] par une conférence régionale africaine, à Abuja, Nigéria, dont le texte imprimera sa marque sur la Conférence mondiale sur le racisme [Durban II] qui se tiendra en avril 2009.


Pour le directeur de UN Watch, Hillel Neuer,

« la déclaration (Texte) omet de traiter des crimes raciaux et ethniques perpétrés par le Soudan, foule aux pieds les garanties internationales des droits humains garantissant la liberté d’expression, place l’islam au-dessus de toutes les religions, et s’en prend seulement à Israël, sous-entendant qu’il est [le] seul [Etat] raciste. Malheureusement, Durban II ressemble de plus en plus à la débâcle de la première conférence de Durban, en 2001. »

Les objectifs déclarés de la conférence régionale africaine, qui s’est ouverte dimanche [24 août] et s’est achevée aujourd’hui [26 août], étaient d’analyser la mise en œuvre des recommandations de la déclaration de Durban 2001, et de montrer la voie à suivre pour l’analyse de la Conférence des Nations Unies de Durban sur le racisme, qui doit se tenir en avril [2009]. Mais, selon Neuer,

« la déclaration adoptée aujourd’hui a omis d’examiner les actes de quelque pays africain que ce soit, et ses dispositions provocatrices menacent maintenant de saboter la conférence mondiale d’avril prochain. »

Le gouvernement canadien boycotte la conférence d’avril et ses préparatifs, et déclare qu’il « ne participera pas à un festival de haine, déguisé en conférence anti-raciste ». Le président français [Nicolas] Sarkozy et les membres des gouvernements de Grande-Bretagne et des Pays-Bas ont averti qu’une violation des lignes rouges pourrait aussi les amener à boycotter la conférence de Genève en 2009. La ministre française, Rama Yade, a réitéré l’avertissement dans une déclaration faite ce mois-ci au parlement français.



La Déclaration d’Abuja omet d’examiner le comportement africain en matière de racisme.

Pour Neuer,

« en omettant d’examiner le comportement des pays africains en matière de racisme et d’intolérance, la conférence contrevient à sa mission fondamentale, et gâche une occasion en or d’aider les nombreuses victimes du racisme et de la xénophobie en Afrique. »

« A l’exception du discours solennel de UN Watch, dimanche [24 août], ni la conférence ni sa déclaration finale n’ont traité des crimes contre l’humanité, commis par le gouvernement soudanais au Darfour, y compris les massacres ethniques d’au moins 200 000 Africains, les viols de masse et la déportation de plus d’un million d’hommes de femmes et d’enfants. »

Quand le délégué de UN Watch, Léon Saltiel, fit référence aux atrocités du Darfour, dans son discours à la conférence d’Abuja, dimanche, le Soudan l’interrompit immédiatement par une objection – soutenue par l’Algérie et le Maroc -, et le président nigérian, Martin Uhomoibhi, décida que le cas de ce pays ne devait pas être évoqué.

Neuer :

« En outre, le texte omet d’examiner les agressions xénophobes qui ont eu lieu récemment en Afrique du Sud - principal organisateur de l’assemblée d’Abuja et du processus global de Durban -, où des étrangers, en provenance notamment du Zimbabwe et du Mozambique, ont été pris pour cible en mai, lors d'une vague d’agressions anti-immigrés, qui a causé la mort d’au moins 62 d’entre eux et l’expulsion de dizaines de milliers d’autres. Le texte n’examine pas non plus les crimes ethniques commis au Kenya cette année, lesquels ont coûté la vie à 1 000 personnes, causé l’expulsion de 600 000 autres, et l’incendie de 40 000 immeubles, au cours d’un carnage tribal. La conférence rend un mauvais service aux millions de victimes africaines de la xénophobie – actuelle et future – en accordant l’impunité aux crimes raciaux et ethniques commis dans les pays africains. »


La déclaration s’en prend à la liberté d’expression et vise à introduire la prohibition islamique de blasphème dans la législation internationale des droits de l’homme

Le nouveau texte appelle les Etats à éviter de

« se référer indistinctement à la liberté d’expression, au mépris des sensibilités propres à une société [musulmane], et dans la plus totale indifférence à l’égard de ses sentiments religieux ».

Selon Neuer, d’autres clauses du texte concernant "l’incitation à la haine religieuse",

« reflètent les efforts faits par les Etats islamiques auprès du Conseil des Droits de l’homme pour faire entrer subrepticement des interdits islamiques anti-blasphèmes dans le droit international. Toutefois, Asma Jahangir, expert en liberté religieuse, et d’autres experts internationaux des droits de l’homme se sont expressément opposés aux résolutions sur la "diffamation de la religion", qui visent à altérer la législation internationale en matière de droits humains en érigeant les religions, au lieu des individus, en titulaires de ces droits. »

L’attaque de la déclaration contre la liberté d’expression contrevient à l’article 19 de la Déclaration des Droits de l’Homme, dont les Nations Unies vont célébrer le 60ème anniversaire la semaine prochaine, par un grand rassemblement au siège de l’Unesco à Paris. (Lors de cette manifestation, UN Watch présidera un panel de discussion sur le Conseil des Droits de l’Homme.)

Selon Neuer,

« le contenu [du texte contre la liberté d’expression en matière religieuse] va bien au-delà des normes équilibrées admises en matière d’interdiction de la haine raciale, au regard du respect de la libre expression, qui est l’élément vital de la démocratie. Si le droit d’exprimer ses croyances – de débattre des dogmes en vogue dans la société, le droit, la politique, l’art, la science et, bien sûr, la religion – devait être limité par les "sentiments" et les "sensibilités" des autres, cela signifierait la fain de la liberté d’expression telle que nous la connaissons. »



La déclaration impose une hiérarchie des religions

Selon Neuer, l’accent spécial mis par le texte sur l’islamophobie (paragraphe 20) [1],

« vise à imposer une hiérarchie des religions qui place les fidèles de l’islam au-dessus de tous les autres. C’est contraire aux principes fondamentaux d’égalité inscrits dans la Charte des Nations Unies et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, et menace l’axiome même de la lutte générale contre le racisme. »



La conférence s’en est pris particulièrement à Israël pour l’insulter, menaçant de réitérer la débâcle de Durban, en 2001

La déclaration fait référence au cas d’un seul pays, en "réitér[ant] sa préoccupation du sort du peuple palestinien sous occupation étrangère".

Et Neuer de s’interroger :

« Pourquoi cette déclaration sur l’Afrique fait-elle référence à un cas non africain, alors qu’elle ne mentionne ni les tueries racistes du Soudan, ni aucun autre pays d’Afrique ? »

Toujours selon Neuer,

« L’allusion spéciale à la question palestinienne laisse entendre qu’Israël pratique le racisme. Cela nous ramène à la rhétorique discréditée de la résolution des Nations Unies de 1975, "le sionisme est un racisme" [2], qui fut patronnée par les Soviets et les blocs arabes, puis annulée par les Nations Unies en 1991, et qui a été répudiée, depuis, par ses plus hauts dirigeants. »

Et Neuer de conclure :

« Présenter le conflit israélien comme raciste est plus qu’un méfait politique ; c’est une tentative de déshumaniser Israël et ses partisans comme étant exclusivement malfaisants. Nous déplorons que les Etats Africains aient permis aujourd’hui aux programmes politiques les plus extrêmes de certains gouvernements du Moyen-Orient de ruiner la légitimité de leur cause. »

Toutefois, l’ONU a tenté aujourd’hui de proposer une interprétation différente. Après les trois jours d’entretiens à Abuja, Ibrahim Wani, du bureau du Haut-Commissaire aux Droits de l’Homme des Nations Unies, a déclaré à Reuters :

« Il n’y a qu’un paragraphe qui fasse mention des Palestiniens, donc l’intérêt d’Israël n’a pas du tout été gravement endommagé. »

UN Watch a participé à la conférence africaine en tant qu’Organisation Non gouvernementale Internationale. L’intervention officielle faite par le délégué de UN Watch, dimanche, a été interrompue par le Soudan, pour avoir évoqué le cas du Darfour et celui du Zimbabwe, et montré l’hypocrisie libyenne.



© Un Watch



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Notes du traducteur

[1] Texte de l’article 20 du « document préliminaire de la Conférence Régionale Africaine, Préparatoire à la Conférence d’Analyse de Durban » (Texte) : " (La Conférence) appelle les Etats à prêter attention à la gravité de l’incitation à la haine religieuse, tels l’antisémitisme, la christianophobie et plus particulièrement l’islamophobie, et à promouvoir la lutte contre ces phénomènes en renforçant le dialogue interreligieux et interculturel autour des valeurs morales communes à toutes les religions. "

[2] Voir "Sionisme=racisme: résolution 3379, votée et abrogée par l'ONU".



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Mis en ligne le 28 août 2008, par M. Macina, sur le site upjf.org