21.12.08

Israël à l’heure des incertitudes



La chronique d’Alexandre Adler
Le Figaro


De tous les conflits prévisibles dès le début de 2009, celui qui oppose sans cesse l’État d’Israël au mouvement palestinien est celui qui se dessine le plus probablement sur la carte de notre futur. Côté israélien, en effet, la victoire annoncée de Nétanyahou et d’un Likoud qui s’est brutalement droitisé, comme s’il n’avait pas confiance dans la fermeté de son leader, laissent mal augurer des relations d’Israël et d’une Autorité palestinienne qui attend la réouverture de négociations comme la bouffée d’air frais qui lui permettra de poursuivre.

Côté palestinien, l’emprise du Hamas sur Gaza ne s’est pas démentie, tandis que l’organisation clandestine du Hamas s’est développée en Cisjordanie. À l’arrière-plan, le Hezbollah libanais n’a cessé de faire sentir sa puissance relative en réinstallant des centaines de missiles à courte portée là où les Casques bleus, notamment français, étaient censés les empêcher de le faire, il a également ruiné toute crédibilité d’un déploiement de l’ONU où que ce soit dans la région.

Et enfin, le président Ahmadinejad, qui n’a cessé d’encaisser des échecs humiliants sur le plan intérieur et économique, est en revanche tout à fait assuré d’avoir contourné ses plus grandes difficultés en devenant le financier et l’inspirateur de l’axe Hezbollah-Hamas. Cette union levantine de chiites et de sunnites extrémistes ne constitue-t-elle pas une sorte de réponse à l’affrontement chiites-sunnites qui se poursuit encore un peu en Irak, et à présent au Pakistan ? Dans ces conditions, qui d’Israël ou des États arabes aura l’audace mais aussi la clarté de vue pour s’embarquer dans un processus de paix enfin solide ?

À cette question, on doit d’abord répondre par un bref résumé des chapitres précédents. Yasser Arafat, en déclenchant, en septembre 2000, l’intifada des Mosquées, avait marqué un grand point, en échappant au processus de paix et en réassurant, à l’aide de Saddam Hussein et de l’éphémère ministre égyptien des Affaires étrangères Amr Moussa, sa posture de révolutionnaire nationaliste arabe dans toute la région. Dans la fumée des attentats et attentions ainsi créées, Israël subit d’abord un isolement diplomatique et même politique qui mettait durement en cause toute la stratégie pacifique de reconnaissance internationale de l’État hébreu. Pourtant, Arafat fut vaincu sous trois formes : il ne parvint pas à ébranler la cohésion de la société israélienne, il ne parvint pas non plus à enrayer le spectaculaire développement économique d’Israël, il ne parvint pas davantage, enfin, malgré de nombreux alliés en Europe, à internationaliser le conflit qu’il venait de rallumer. La contre-offensive Arik Sharon redonna un avantage incontestable et précaire à Israël en édifiant un mur relativement efficace sur le plan de la sécurité, le premier ministre imposait en réalité un retour à peu près total aux anciennes frontières de 1967, mais en refusant de négocier un retrait devenu unilatéral, il cassait tout mécanisme de négociations interminables avec les Palestiniens et sauvait même la face de dirigeants modérés tels Mahmoud Abbas ou Fayad qui risquaient tout simplement leur vie en apposant leur signature à tout document de compromis, même relativement favorable.

La faiblesse de la stratégie tenait à ce qu’elle reposait essentiellement sur Sharon. Là-dessus l’opération iranienne, consistant à utiliser la bande de Gaza évacuée pour créer en Israël une insécurité croissante dont Sharon avait prétendu fallacieusement qu’elle augmenterait, permettait au camp palestinien de reprendre une certaine initiative et au Hamas de remporter, il est vrai d’une marge relativement faible, les élections libres que les néoconservateurs américains avaient eu la sottise d’imposer. Le coup de grâce de la stratégie de Sharon fut infligé en 2006 par l’échec de la grande offensive militaire sur le Hezbollah. Au prix de sacrifices humains assez considérables, les supplétifs libanais de l’Iran venaient de s’imposer comme les leaders de la résistance armée, de la remise en cause de l’existence de l’État d’Israël. Depuis lors, les Israéliens se comportent dans tous les domaines comme un peuple sur la défensive en passe d’être vaincu. Le bluff du bombardement des centres nucléaires iraniens a été révélé, lorsque Bob Gates et la CIA eurent imposé à Bush un tournant vers des négociations avec l’Iran indispensable à la victoire politique qui se dessine de plus en plus en Irak. Une invasion massive du Liban ne serait pas tolérée par la communauté internationale. Dépressif et en déroute, Olmert a révélé dans son discours d’adieu l’ampleur presque illimitée des concessions qu’il entendait faire tous azimuts.

Le corps électoral israélien ne veut ni d’un Likoud extrême ni d’une Tzipi Livni trop faible. Il se pourrait pourtant que, contraint à l’union nationale, confronté aux dernières manœuvres d’Ahmadinejad, soutenu par un monde arabe modéré et qui devient brutalement impécunieux, Israël ait encore quelques cartouches. Au Moyen-Orient, l’apparente faiblesse se retourne souvent en force, elle-même non moins précaire.