11.12.08

LES TUNNELS DE GAZA




24 heures dans la bande de Gaza pour un reportage sur les tunnels de contrebande en Egypte. A Rafah, au sud de la bande de Gaza, des dizaines, des centaines de toiles plastiques couvrent des entrées de tunnels la frontière, à 200 ou 300 mètres du territoire égyptien. Sous chaque toile plastique, quelques murs de parpaings ou une structure métallique comme un enclos pour l'entrée du puits.

A peine commencé le tournage que la police des frontières nous interpelle pour interdire tout tournage des tunnels. Le Hamas n'aime plus beaucoup la publicité sur ses tunnels par lesquels passent toutes les denrées possibles, de la nourriture à l'ordinateur, au mouton ou à la moto. Ces tunnels existent depuis des années et le Hamas s'en est servi pour amener des tonnes d'armes, d'explosifs, ou , pense-t-on, ramener le soldat Gilad Shalit, kidnappé sur la frontière.
Après le retrait israélien de Gaza, et surtout la prise de pouvoir par le Hamas, le blocus israélien a fait pousser les tunnels comme des champignons. C'est maintenant une véritable industrie.
A Rafah, on vous expliquera qu'un tunnel "de contrebande " se creuse en 1 à 2 mois, qu'à présent la municipalité de Rafah les controle, que des techniciens viennent voir s'il y a un aérateur , si l'électricité est branchée. Il y aurait une sorte de "licence". Selon certains, le Hamas prend une taxe sur chaque passage. En cas d'accident mortel, le propriétaire du tunnel doit payer entre 40 et 60.000 dollars à la famille de la victime.
Dans le premier tunnel où nous filmons, on est en train de passer des rouleaux et des rouleaux de tissu. C'est lundi l'Aid Al Adha, la fête du sacrifice, alors ces jours ci passent des moutons, des vêtements et tout ce qui sera cadeaux de fête.
Le matériel est tiré par un treuil horizontal sur plusieurs centaines de mètres, avec des petits wagonnets. Puis arrivé sous le "puits", il est hissé par un nouveau treuil. Puis la marchandise est chargée dans un camion. Il y a aussi des tuyaux pour livrer du carburant. A coté , un camion-citerne est en train d'être rempli. Ainsi dans la bande de Gaza, les stations service sont elle alimentées par de l'essence ou du diesel égyptien , d'ailleurs 2 fois moins cher que les petites quantités d'essence israélienne autorisées certains jours de blocus.
Nous descendons dans un tunnel en "construction" où les ouvriers sont à la pause. Près du puits de descente, j'aperçois un long portemanteau où sont accrochées les tenues des ouvriers, comme celles de mineurs d'antan. Il faut descendre ensuite une dizaine de mètres par le treuil accroché à un trépied au dessus du puit. Les tunnels peuvent être de 10 à 25 mètres de profondeur En bas, ils ont laissé leurs outils pendant la pause, perceuses, pelle, truelle pour creuser un boyau d'environ 1 mètre sur 1 mètre, Les wagonnets (des bidons de plastique découpés en deux) servent à retirer la terre du fond. Les tunnels parcourent ensuite plusieurs centaines de mètres, parfois un kilomètre avant de ressortir en Egypte. On raconte que certains se sont trompé en creusant, l'un est arrivé sous un poste de police égyptien, un autre en faisant une boucle est revenu à Rafah..
La ville de Rafah est en tout cas une nouvelle ville riche, en pleine effervescence de jour comme de nuit. Il y a de l'argent à faire, beaucou d'argent qui circule. Un Palestinien me fait remarquer que les propriétaires de tunnels, de terrains ou tous ceux qui sont associés au business seraient bien malheureux si le blocus s'arrêtait ! C'est l'économie parallèle de Gaza.

Je suis sorti le lendemain par Erez. Autorisé à sortir, mais l'entrée avait apparemment été à nouveau fermée pour les journalistes.
Sur la route, je prends des autostoppeurs. Ils sont très courants sur les routes d'Israël, des jeunes, des soldats en permission, des religieux qui n'ont pas beaucoup d'argent. Les arrêts de bus servent aussi d'arrêts aux stoppeurs. Quand je m'arrête à l'un d'eux, 3 personnes montent; un vieux religieux avec une belle barbe blanche, une jeune fille et un soldat avec son M16. Le vieil homme s'amuse lorsque je lui demande s'il est rabbin :"non mais avec ma barbe, c'est toujours ce que tout le monde croit".. Discussion succinte en hebreu. Puis un peu plus tard, ayant appris que j'etais journaliste, on me demande si je sors de Gaza. Je confirme, l'un ou l'autre me demande de leur dire ce que j'ai vu. C'est un peu toujours la même chose, réponds-je, beaucoup de misère, de problèmes de vie quotidienne. Les banques ont fermé.. Mes passagers ne font pas de commentaire mais s'intéressent.
Et puis quand ils descendent à Jerusalem, ils me saluent , très souriants. Mon "rabbin" me dit que je suis "bien courageux" et m'encourage en me serrant longuement la main.


par Denis Brunetti publié dans : blog-correspondant-a-jerusalem-tf1