De notre envoyé spécial à Gaza,
Georges Malbrunot
in FIGARO
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À Gaza, les groupes ultraradicaux comme le clan des Doghmoush gardent une importante capacité de nuisance.
Aux côtés de djihadistes palestiniens, plusieurs étrangers, dont des Français, ont réussi à pénétrer depuis l'Égypte pour combattre Israël.
Au dernier moment, le rendez-vous fixé dans un lieu public a été changé. Abou Hafs se méfie. «Je dois me cacher», confie ce militant de l'Armée des croyants, l'un des groupes djihadistes apparus depuis le retrait israélien de la bande de Gaza en 2005. «Nous n'avons pas de liens organiques avec al-Qaida, mais nous partageons son idéologie. Notre but n'est pas uniquement de libérer la Palestine, mais de répandre partout l'islam», affirme ce réfugié qui porte une longue barbe noire et un tarbouche sur la tête.
La tentative d'implantation d'al-Qaida à Gaza constitue une inquiétante dérive dans cette prison à ciel ouvert, rendue exsangue par le blocus imposé par Israël après le coup de force des islamistes du Hamas en 2007. Aux côtés des djihadistes locaux, l'arrivée récente de «combattants» étrangers est le dernier avatar de ce pourrissement. Jamais, jusque-là, la cause palestinienne ne s'était retrouvée liée directement à la guerre planétaire d'al-Qaida.
Ces «émigrés», dont la présence est confirmée par la branche armée du Hamas ainsi que par des services de renseignements occidentaux, ne seraient encore que quelques dizaines. «Des Yéménites, des Soudanais, un autre dont on ignore s'il est Pakistanais ou Afghan, déclare au Figaro un ancien responsable d'un service de sécurité palestinien. Il y a aussi des Égyptiens recherchés, qui s'étaient repliés dans le Sinaï voisin, où al-Qaida est déjà bien implantée.»
Les premiers se sont infiltrés lorsqu'au départ de Tsahal le mur de séparation avec l'Égypte vola en éclats. Les derniers ont pénétré à Gaza en janvier 2008, pendant les onze jours où la frontière fut, de force, une nouvelle fois ouverte. Parmi eux, figuraient une demi-douzaine de Français, dont certains d'origine algérienne, confirment des sources officielles à Paris. Le Hamas en aurait refoulé au moins deux en Égypte. Et les autres ? «Nous avions nos hommes pour surveiller les allées et venues», minimise Ahmed Youssef, conseiller politique du chef du Hamas à Gaza, Ismaïl Haniyeh. En fait, le mouvement intégriste aurait laissé passer certains extrémistes, persuadé de pouvoir les tenir à l'œil.
Les rangs des déçus
«Nous attendons maintenant plusieurs centaines d'étrangers», se félicite Abou Hafs. Affaiblie en Irak, al-Qaida cherche une porte de sortie. Sur les forums djihadistes, les appels à «défendre la mosquée sacrée d'al-Aqsa à Jérusalem» fleurissent. «Nous devons soutenir les moudjahidins en Palestine», répètent les dernières vidéos de Ben Laden et de son numéro deux, Ayman Zawahiri. Ces «étrangers» sont cachés. Personne ne les a vus. Le Hamas s'en sert pour faire peur à l'Occident. «Si vous ne discutez pas avec nous, vous aurez bientôt al-Qaida comme voisin», prévient Khaled Meshaal, le chef du bureau politique du Hamas, depuis son exil syrien.
À Gaza, les responsables intégristes brandissent aussi l'épouvantail. «Tant que le Hamas reste fort, al-Qaida n'a aucune chance de s'implanter. Mais si un jour, nous sommes défaits, alors ces groupes prospéreront» , dit Ahmed Youssef. Les factions djihadistes se nourrissent de la décision du Hamas de devenir un parti de gouvernement. «Être membre d'un gouvernement où la loi de Dieu (la charia, NDLR) n'est pas appliquée est un péché», soutient Abou Hafs.
Comme lui, d'autres ex-membres de la branche armée du parti intégriste ont rejoint Les brigades d'Allah ou l'Armée islamique de Jérusalem, qui attaquèrent ensuite une école américaine et assassinèrent un chrétien palestinien. Les rangs des déçus ont encore grossi après la trêve conclue le mois dernier avec Israël par le Hamas, «un crime contre l'islam», aux yeux des djihadistes.
Tout puissant à Gaza, le Hamas pense contrôler la plupart de ces groupes ultraradicaux. «Mais pas l'Armée de l'islam, le plus fort d'entre deux, celui qui abrite les étrangers», avertit le responsable sécuritaire palestinien. Formée d'environ 400 hommes d'un clan important les Doghmoush , l'Armée de l'islam s'est fait connaître en enlevant au printemps 2007 le journaliste britannique Alan Johnston, après avoir participé, l'année précédente, au kidnapping du soldat israélien Gilad Shalit, pour la libération duquel le président Nicolas Sarkozy vient d'annoncer qu'il se mobilisait.
Pour contraindre le clan Doghmoush à libérer Johnston, le Hamas tua deux de ses membres. Laver le sang versé est un devoir, selon la loi tribale. Pourtant, à la libération de Johnston, un accord tacite fut conclu avec le Hamas. Ce dernier autorisa l'Armée de l'islam à conserver ses armes, mais à une condition : qu'elles ne soient utilisées que contre Israël. Le serment ne fut pas tout à fait respecté, puisqu'en novembre, un policier palestinien fut encore enlevé.
Soutiens sur Internet
Si, militairement, le Hamas peut facilement soumettre le clan Doghmoush, celui-ci garde une capacité de nuisance. Grâce aux tunnels qu'ils «gèrent» à Rafah sur la frontière égyptienne, les Doghmoush possèdent des roquettes, qu'ils tirent parfois contre Israël, et ils bénéficient de financements extérieurs. Au mieux, le parti intégriste abattra la carte des djihadistes, s'il récupère en échange un gain politique. Au pire, le Hamas les utilisera pour affronter une prochaine incursion militaire israélienne à Gaza.
«Nous recevons beaucoup de soutiens sur notre site Internet», jure Abou Hafs. Certes, mais que peuvent faire «étrangers» et djihadistes locaux ? «Ils sont dans la nasse, explique un diplomate, à Gaza, le territoire est contrôlé par le Hamas et sur ses frontières, Israël veille au grain.» Qui plus est l'adoubement de ces groupes par Ben Laden ne semble pas pour demain. À plusieurs reprises, l'Armée de l'islam a sollicité la reconnaissance du chef d'al-Qaida, comme l'avaient fait Abou Moussab al-Zarqaoui pour l'Irak et les groupes radicaux djihadistes au Maghreb. En vain.
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