7.7.08

DUBAI, LA NOUVELLE MECQUE DE L'ESCLAVAGE

par Annie Lessard, Marc Lebuis
in POINT DE BASCULE

Dans un nouveau livre qui documente la traite moderne d’esclaves, Benjamin E. Skinner nous amène à Dubaï, connu dans le commerce du sexe comme le « Disneyland pour hommes ». Dubaï a connu en 2006 ce que le rédacteur en chef d’un journal de Beyrouth a appelé la « première révolte moderne d’esclaves dans le monde arabe ».


La culture esclavagiste est aussi importée en Occident. Lisez par Daniel Pipes : Les Saoudiens importent des esclaves en Amérique et sur le blog Bivouac-ID : Esclavagisme mahométan : Sauvées de l’enfer de l’hôtel Conrad à Bruxelles. Il reste au monde arabo-musulman à faire comme le monde occidental l’a fait : admettre que l’esclavagisme est une atteinte à la dignité de l’être humain, quelle que soit sa race ou sa religion, assumer son histoire, se repentir et lutter contre les formes contemporaines de cette pratique monstrueuse.

Traduction de : Slavery’s new Mecca, par E. Benjamin Skinner, National Post, le 4 juillet 2008

Pour entrer dans la plus célèbre maison close de Dubaï, Le Cyclone, j’ai payé 16 $ pour un billet que l’intendant a estampillé avec le sceau officiel du ministère du Tourisme et du Commerce. La prostitution est illégale à Dubaï, où l’islam est la source des lois, avec des peines allant jusqu’à la mort. Mais l’estampille n’était que la première des nombreuses contradictions dans ce lieu d’esclavage pour les femmes que les voyageurs de commerce britanniques surnomment le « Disneyland pour hommes ».

Une affiche se lit « Pas de sollicitation », une autre « Pas de vêtements de camouflage dans l’aire de la discothèque ». Dans le club, pas moins de 500 prostituées sollicitaient une couple de douzaine de clients potentiels, y compris quelques militaires occidentaux.

Un Indien vivant à Londres est propriétaire du lieu, et n’avait pas modernisé le décor depuis une décennie, comme si le bon goût pouvait altérer le charme de l’endroit et dissuader les touristes. Je me suis dirigé vers le bar, et deux filles coréennes, qui n’avaient pas l’air d’avoir plus de 15 ans et se présentaient comme des sœurs, se sont approchées de moi.

« Voulez-vous un massage ? » m’a demandé l’une d’elles.

Alors que les lumières stroboscopiques, la musique forte et le grand tourbillon de féminité anxieuse dégageaient un air de chaos absolu, le lieu était soigneusement ordonné selon la race. À gauche, un mélange de femmes chinoises, taïwanaises et coréennes ; au centre, des africaines sub-sahariennes ; à droite, des femmes d’Europe orientale et d’Asie centrale qui au départ se sont identifiées comme Russes, révélant plus tard qu’elles étaient bulgares, ukrainiennes, ouzbèkes et moldaves.

Une jeune femme chinoise portait un parfum enfantin. Le club la baignait dans sa lumière noire, de sorte qu’elle semblait comme le négatif radioactif d’elle-même. Parlant anglais, elle a expliqué qu’elle était arrivée à Dubaï 28 jours plus tôt après avoir reçu la promesse d’un emploi de femme de chambre. Au lieu de cela, les trafiquants d’être humains connus sous le nom de Snakeheads l’ont vendue à une Madame (ndlr : tenancière de maison close) qui l’a forcée à payer une dette en vendant du sexe ici. Elle tremblait quand elle a dit qu’elle voulait simplement rentrer chez elle.

Son histoire n’est pas rare. Une nuit plus tôt dans un autre méga-bordel situé dans l’Hôtel trois-étoiles York International dans le chic quartier Bur Dubai, une ouzbèque de 30 ans m’a dit qu’elle devait rembourser une dette 10000 $ sinon « la mafia tuera mes enfants ».

Dans le Cyclone, chaque femme qui m’a parlé longuement a expliqué que les trafiquants prenaient leur passeport en garantie jusqu’à ce qu’elles aient remboursé une dette. Alina, une blonde javelisée du nord de la Roumanie, était assise tristement et fumait en jouant des jeux électroniques solitaires près du mur arrière. Elle avait une voix râpeuse et un teint cireux qui la faisaient paraître beaucoup plus âgée que ses 23 ans. Elle est arrivée ici en 2004, après avoir divorcé le père alcoolique de son fils de trois ans. Une femme roumaine à Dubaï lui avait promis un emploi de serveuse dans un restaurant local.

Lorsque la femme a rencontré Alina à l’aéroport, elle lui a dit ce que son vrai travail serait. Sans son passeport, sans argent, sans contacts locaux, elle n’avait d’autre choix que de suivre la femme au Cyclone. Depuis lors, sa vie est un mélange de clients - américains, européens, indiens, et surtout arabes. Certains hommes achètent le sexe oral dans le « Salon VIP » au-dessus du bar, mais ils amènent généralement Alina dans un hôtel ou un appartement. Ils sont souvent violents.

« Il y a beaucoup de clients problèmes », a-t-elle dit, en particulier parmi les Arabes.

Tous les matins à six heures, elle revient à l’appartement de Madame, une femme abusive qui prend tout l’argent. Pour son travail, Alina recevait un repas par jour, du café et des cigarettes.

Alina a envisagé de s’échapper, mais le désert serait une condamnation à mort pour elle, et alerter la police serait une condamnation à mort de son fils. Sa santé s’est détériorée, sa peau s’est flétrie et dans le marché saturé du Cyclone, elle a cessé d’attirer les clients, ce qui a déclenché la fureur de sa Madame.

Un soir, la femme a forcé Alina d’accompagner un Syrien à la ville voisine d’Al Ain. Dès qu’il est venu la chercher, il a commencé à crier après elle en arabe. Elle était terrifiée, et a pleuré tout le chemin jusqu’à son appartement. Là, il l’a torturée et violée pendant deux jours. Peu de temps après que l’homme l’ait laissé partir, la Madame a annoncé qu’elle retournait en Roumanie et qu’elle allait libérer Alina.

Pour la première fois en un an, Alina avait un choix. Malgré les horribles abus, elle avait survécu, et en dépit de son statut d’étrangère en situation irrégulière, elle est retournée à la prostitution. Elle savait que sa réputation était brisée chez elle et qu’elle ne trouverait jamais un travail légitime ou un mari pour subvenir aux besoins de son fils. Elle est donc restée. Mais elle a insisté que « Je m’appartiens ».

Dans le Cyclone j’ai trouvé un éventail de nationalités, une mine d’histoires tristes. Bien que la plupart étaient réduites en esclavage, certaines étaient maintenant libres. Mais pour Alina, comme pour beaucoup d’autres, il n’y avait pas de joie dans la liberté.

Avant mon départ, j’ai noté un signe qui, contrairement au reste, n’était pas en contradiction avec les environs. Sur un dessous de verre encastré dans la finition de polyuréthane du bar, une citation de Martin Luther King Jr. : « Nous sommes tous venus sur des navires différents, mais nous sommes maintenant dans le même bateau ».

Dubaï a connu une croissance à un rythme effréné au cours des années 1990, se développant plus rapidement que n’importe quel pays du globe. En 1991, une poignée d’édifices étagés voisinaient une route à deux voies poussiéreuse, avec les occasionnels oasis, des pistes de chameaux et beaucoup de sable.

Quinze ans plus tard, Dubaï est une métropole étincelante de 1,5 millions d’habitants. Il y a du verre miroir partout, et alors qu’il fait bien au-dessus de 100 degrés Fahrenheit dehors, les gratte-ciel sont gardés à la température de frigos à viande par des climatiseurs massifs. De grandioses mosquées et des palais marquent l’horizon, et même l’adhan (ndlr : appel à la prière diffusé des minarets) a une sono assistée par ordinateur.

Mais avec la croissance est venu un contrecoup. Alors que les Émirats arabes unis ont graduellement levé les obstacles à l’investissement et à l’immigration, des opérateurs sans scrupules se sont installés. Les arrestations de trafiquants de drogue ont augmenté de 300% dans les deux années précédant ma visite. Et aussi Dubaï est devenue la Mecque de la nouvelle traite des esclaves. Bien que l’esclavage a été aboli ici en 1963, de nombreuses personnes non payées ou sous payées travaillent sous la menace de violence. À l’occasion, des travailleurs non rémunérés ou sous-payés ont résisté. En mars 2006, un petit groupe de travailleurs de la construction originaires d’’Asie du Sud construisant la tour Burj Dubaï – qui devait être l’immeuble le plus haut du monde – ont commis des saccages à travers l’émirat pendant plusieurs jours pour protester contre les mauvaises conditions de travail et les bas salaires. Rami G. Khouri, rédacteur en chef du Daily Star de Beyrouth, a parlé de « notre première révolte moderne d’esclaves dans le monde arabe ».

Bien que les émeutiers étaient exploités, ils n’étaient pas réduits en esclavage. Des dizaines de milliers d’autres l’étaient, mais leur sort était caché. En plus de la servitude pour dettes des travailleurs de la construction, des domestiques philippines étaient régulièrement battues, violées et privées de paie par leurs maîtres arabes. Pas moins de 6000 enfants jockeys de chameaux - principalement de l’Asie du Sud - languissaient en esclavage, cachés dans des fermes où leurs maîtres les battaient et les affamaient pour maintenir leur poids.

J’ai trouvé Natasha à nouveau réduite en esclavage par une Madame russe au Cyclone. Un soir, la police de Dubaï a fait irruption, elle a allumé les lumières, ordonné aux hommes de quitter et exigé les passeports des filles. Celui de Natasha était détenu par sa Madame, alors la police l’a jetée dans une prison surpeuplée du désert pendant un mois sans procès. Les conditions étaient épouvantables. Elle a affirmé que les autorités pénitentiaires ajoutaient du Bron dans sa nourriture, une drogue à base de codéine qui devait prétendument tuer son appétit sexuel. Le médicament l’a laissée dans un état de stupeur et en a fait une proie facile pour les autres prisonniers. Un mois plus tard, elle était de retour à Chisinau, sans le sou et, une fois de plus, sans espoir.