par Daniel Pipes
Israël a vécu les 60 dernières années plus intensément que n’importe quel autre pays.
Ses hauts – la résurrection d’un État vieux de deux mille ans en 1948, la victoire militaire la plus disproportionnée de l’histoire en 1967 et l’impressionnant sauvetage des otages d’Entebbe en 1976 – ont été autant de triomphes de la volonté et de l’esprit qui inspirent le monde civilisé. Ses bas ont été autant d’humiliations imposées: le retrait unilatéral du Liban et l’évacuation de la tombe de Joseph, tous deux en 2000; le retrait de Gaza en 2005; la défaite face au Hezbollah en 2006; et l’échange de cadavres contre des prisonniers avec le Hezbollah la semaine passée.
Un observateur extérieur reste interdit devant ce contraste. Comment les auteurs de victoires aussi exaltantes peuvent-ils s’attirer tant de honte, de manière répétitive, en restant apparemment inconscients de l’impact de leurs actes?
Un élément d’explication est lié aux dates. Les hauts d’Israël ont eu lieu pendant ses trois premières décennies et ses bas sont intervenus depuis l’an 2000. Quelque chose de profondément important a changé. L’État stratégiquement brillant mais encore économiquement déficient des débuts a été remplacé par son inverse. Les grands cerveaux de l’espionnage, les militaires de génie et les poids lourds de la politique semblent avoir passé à la haute technologie, laissant l’État entre les mains de gens médiocres et corrompus, sans vision ni réflexion.
Comment, sinon, expliquer la réunion de cabinet du 29 juin à laquelle 22 ministres sur 25 ont voté en faveur de la remise au Hezbollah de cinq terroristes arabes vivants, y compris Samir al-Kuntar, 45 ans, psychopathe notoire et prisonnier le plus célèbre des prisons israéliennes, et de 200 cadavres? En échange, Israël obtenait les cadavres de deux soldats israéliens tués par le Hezbollah. Même emThe Washington Post peina à comprendre cette décision.
Le Premier ministre israélien Ehud Olmert approuva l’échange sous prétexte que celui-ci «[allait] mettre un terme à cet épisode douloureux», une référence à la récupération des dépouilles des victimes de la guerre et au deuil des familles des otages. Ce sont là des buts honorables en soi, mais à un tel prix? La distorsion des priorités montre bien à quel point un pays, autrefois formidable stratège, a maintenant dégénéré jusqu’à devenir une nation sentimentale et pusillanime au possible, un État à la dérive, où l’égocentrique et le nombrilisme servent de raison d’être. Les Israéliens, lassés à la fois par la dissuasion et par l’apaisement, ont perdu leur chemin.
Et le pire est que l’épouvantable décision du cabinet n’a déclenché aucune réaction de fureur ni au sein du Parti Likoud, dans l’opposition, ni auprès des principales institutions publiques israéliennes, lesquelles (avec quelques exceptions notables) sont simplement restées silencieuses. Leur absence se reflète dans un sondage du Centre Tami Steinmetz révélant que la population israélienne approuve l’échange à presque deux contre un. Bref, le problème dépasse largement la classe politique et s’étend à la population dans son ensemble.
De l’autre côté, la célébration honteuse de l’assassin d’enfant Kuntar, accueilli comme un héros national dans un Liban dont le gouvernement a interrompu toutes les activités pour fêter son arrivée, et salué comme un «combattant héroïque» par l’Autorité palestinienne, révèle bien toute la profondeur de l’hostilité envers Israël et de l’immoralité libanaises – de quoi perturber quiconque se soucie de l’âme arabe.
Samir Kuntar à son arrivée au Liban, avec l’uniforme du Hezbollah et le salut «hitlérien» (AFP).
L’échange a de nombreuses conséquences néfastes. Il encourage les terroristes arabes à capturer d’autres soldats israéliens, puis à les tuer. Il consolide l’influence du Hezbollah au Liban et lui apporte une légitimation au niveau international. Il enhardit le Hamas et rend plus problématique un éventuel échange de ses otages israéliens. Enfin, bien que cet incident paraisse modeste comparé à la question nucléaire irakienne, il lui est bel et bien lié.
Les grands titres de la presse internationale du style «Israël en pleurs, le Hezbollah en fête» confirment l’image d’Israël, aussi largement répandue qu’erronée, de «toile d’araignée» qu’il serait facile de détruire. Ce récent échange peut encourager davantage encore les dirigeants iraniens, déjà grisés de visions d’apocalypse, à brandir leurs armes. Pire, comme le relève Steven Plaut, en mettant en équivalence «des meurtriers de masse d’enfants juifs et des soldats combattants», l’échange justifie en fait «l’extermination en masse des Juifs au nom de l’infériorité raciale juive».
Pour ceux que le sort et la sécurité d’Israël préoccupent, j’ai deux consolations à proposer. D’abord, Israël reste un pays puissant, qui peut se permettre de faire des erreurs – une estimation prévoit même qu’il survivrait à un affrontement nucléaire avec l’Iran, contrairement à son adversaire.
Ensuite, l’affaire Kuntar pourrait déboucher sur une surprise. Un officiel israélien de haut rang déclara à David Bedein que la sortie de prison de Kuntar met fin à l’obligation d’Israël d’assurer sa protection; en arrivant au Liban, il devenait «une cible d’assassinat. Israël l’aura et il sera tué (…) les comptes seront réglés.» Un autre officiel ajouta que «nous ne pouvons pas laisser cet homme croire qu’il pourra rester impuni pour la mort d’une petite fille de quatre ans».
Qui rira le dernier, le Hezbollah ou Israël?