Par Guy Millière
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La cause palestinienne participe-t-elle d'une guerre anticoloniale ou est-elle l'expression d'un nationalisme exacerbé ? Un débat se poursuit depuis quelques années chez les historiens allemands à propos des liens entre le national-socialisme hitlérien, le nationalisme arabe, l’islam et le mouvement palestinien. Ce débat est particulièrement intéressant, dans la mesure où il permet de compléter les analyses du plus grand crime contre l’humanité jamais commis, la Shoah, mais aussi, dans la mesure où il permet de déchiffrer un peu plus nettement certaines des dimensions les plus sombres du nationalisme arabe et d’un mouvement dont l’Autorité Palestinienne est la dernière émanation à ce jour.
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Un livre de Matthias Küntzel a été publié voici quelques années en Allemagne, puis traduit en anglais sous le titre Jihad and Jew-Hatred: Islamism, Nazism and the Roots of 9/11. (La Jihad et la haine antijuive : l’islamisme, le nazisme et les racines du 11 septembre). La thèse de Küntzel est que la haine anti-juive avait été importée en Allemagne depuis le monde arabo-musulman, qui porterait donc une part essentielle de responsabilité dans le génocide nazi. Küntzel s’est trouvé rapidement sous les feux nourris d’une critique féroce. On l’a accusé de vouloir dédouaner l’Allemagne, pour laquelle le poids du passé est effectivement très lourd à porter : il n’est pas facile d’appartenir à un peuple qui, voici soixante dix ans, a été un peuple génocidaire. C’est possible, mais les Allemands doivent savoir qu’il y a infiniment pire : avoir été du côté de leurs victimes. On peut dire aujourd’hui que Küntzel a pour partie raison, et cela ne peut être passé sous silence : il existe bel et bien un antisémitisme islamique, et celui-ci s’est retrouvé dans le nationalisme arabe et, en particulier, le nationalisme « palestinien ». Mais il y a eu et il y a encore un antisémitisme européen original, qui a trouvé son apogée monstrueuse dans le national-socialisme, et l’un et l’autre ont fonctionné, un temps, dans une abominable synergie.
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Un livre paru récemment vient compléter les informations dont on disposait jusque là : Der Mufti von Jerusalem und die Nationalsozialisten, de Klaus Gensicke (Wissenschaftliche Buchgesellschaft éditeur), soit : "Le Mufti de Jérusalem et les nationaux-socialistes". S’appuyant sur des documents d’archive jusqu’à présent non utilisés, Gensicke montre qu’Hitler a développé ses obsessions antijuives dès la rédaction de Mein Kampf, plusieurs années avant de pouvoir les concrétiser de la façon que l’on sait, avec l’assentiment du peuple allemand et dans l’indifférence de tant d’autres Européens. Mais que la « solution finale » n’a pas été, d’emblée, l’option qu’il avait choisie. C’est dans l’alliance avec le nationalisme arabe et avec le Mufti que les décisions vont être prises. Le Mufti, d’ailleurs, va contacter lui-même le régime nazi, dès 1933. Dans un télégramme envoyé à Hitler, le consul d’Allemagne à Jérusalem se montre très explicite : « Le Mufti m’a expliqué que les musulmans en Palestine et partout ailleurs sont heureux de l’arrivée au pouvoir du nouveau régime en Allemagne et ont beaucoup d’espoir en la dissémination de gouvernements fascistes dans d’autres pays. L’influence juive est nuisible partout et doit être combattue partout de façon à détruire le niveau de vie des juifs ».
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Les nazis, qui espéraient encore alors s’entendre avec la Grande-Bretagne, ne donneront pas suite. Au contraire, ils vont favoriser l’émigration de Juifs allemands vers la Palestine : un accord de « transfert » sera mis en place, en août 1933, sous l’égide d’Ernst von Weizsäcker. Les Juifs allemands qui le souhaitaient (et qui y étaient nettement incités) eurent ainsi la possibilité de transférer une partie de leurs avoirs en Palestine et de partir s’y installer. Les relations entre nazis et Mufti ont commencé à se réchauffer en 1936, et l’Allemagne nazie a financé la « révolte arabe » de Palestine, qui prit forme alors, et qu était dirigée contre les Juifs et les Britanniques. Le réchauffement s’est fait très net et est devenu collaboration en 1940. La guerre était déclarée ; le Mufti, après un séjour au Liban, se trouvait en Irak, en compagnie du premier ministre nationaliste et pronazi de ce pays, Rachid Ali al-Gailani. Il envoya un émissaire à Berlin demandant que l’Allemagne reconnaisse le droit à l’autodétermination des pays arabes où émergeraient des régimes amis, y compris en Palestine, et suggérait, qu’en complément à cette reconnaissance, l’Allemagne approuve que les régimes arabes amis « règlent la question juive » comme l’Allemagne était en train de la régler. Un accord fut passé, dans lequel il était prévu que les troupes de Rommel se chargent du « règlement de la question juive » au Proche-Orient. La victoire alliée à El Alamein a déjoué ce plan.
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Des Einsatzgruppen, semblables à ceux qui ont mis en œuvre la « Shoah par balles » en Ukraine, avaient déjà été constitués pour sévir au Proche-Orient. Des pogroms anti-Juifs n’en ont pas moins éclaté en Irak, à l’instigation du Mufti et de Gailani. En novembre 1941, le Mufti et Gailani partirent pour Berlin, après que l’Irak ait été conquis par la Grande-Bretagne et que le régime Gailani ait été renversé. Dès son arrivée à Berlin, le Mufti rencontra Hitler, qui lui demanda d’être patient et l’assura que leurs objectifs étaient semblables. De cette similitude de pensée émana une déclaration officielle, rapportée par le chef traducteur du ministère allemand des Affaires Etrangères, Paul-Otto Schmidt : « A un moment donné, pas très lointain, les armées allemandes arriveront au Sud du Caucase. A ce moment, le Reich assure le monde arabe que l’heure de la libération aura sonné. A ce moment, le seul but de l’Allemagne sera la destruction des Juifs vivant dans l’espace arabe ». Les activités du Mufti sous le Reich sont pour l’essentiel connues : diatribes antisémites sur Radio Berlin, défense ardente de la « solution finale », formation d’une légion Waffen SS musulmane en Bosnie. On peut leur ajouter la création d’un Institut d’Etudes Islamiques à Berlin, en 1942, qui ouvrit ses portes, symboliquement, en décembre, le jour de l’Eid al-Adha. Le discours prononcé par le Mufti lors de la cérémonie d’ouverture montre qu’en matière de haine des Juifs, il n’était pas en reste avec le Führer et les
nazis.
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Je cite dans le tas : « Les Juifs et leurs complices sont les pires ennemis que les musulmans aient connus…Chaque musulman sait fort bien que les Juifs ont nui à sa foi dès les premiers jours de l’islam, quelles traîtrises ils ont commises, quelles conspirations ils ont menées à bien ».
Le 2 novembre 1943, le Mufti prononce un autre discours qui montre qu’il est bien informé de ce qui se passe dans les camps d’extermination et où il appelle les musulmans à suivre l’exemple des nazis. Gensicke montre que, jusqu’au bout, le Mufti fera de son mieux pour qu’aucun Juif européen n’échappe aux camps d’extermination. Heinrich Himmler lui-même s’est déclaré prêt à laisser des enfants juifs quitter la Roumanie et la Bulgarie - moyennant paiement, bien sûr - et c’est le Mufti qui a tout fait pour que les enfants concernés, soit plus de 20 000 jeunes êtres humains, ne puissent survivre et n’échappent pas à Auschwitz.
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En tant qu’intellectuels, on a le devoir de s’exprimer clairement. Ainsi, après avoir lu Gensicke, on ne peut pas penser que l’antisémitisme islamique ait suscité l’antisémitisme allemand et européen en quoi que ce soit. L’histoire de l’antisémitisme en Europe est longue et accablante. On ne peut pas penser que les choses auraient pris une tournure différente sans la collaboration du Mufti et d’autres nationalistes arabes, tels Gailani, à l’effort de guerre nazi. Mais on ne peut pas ne pas penser non plus que le nationalisme arabe, tel qu’il se cristallise dans les années 1930, est porteur d’affinités très électives avec le national-socialisme allemand. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si des pays où le nationalisme arabe arrivera au pouvoir seront des pays très accueillants pour d’anciens nazis. On ne peut pas non plus ne pas voir qu’un discours islamique a pu se trouver des concordances avec le nazisme, parce qu’ils avaient l’un et l’autre en commun une haine anti-juive viscérale. On ne peut pas ne pas voir que l’influence du Mufti sur le « mouvement palestinien », tel qu’il va prendre forme, laissera des traces indélébiles.
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Les liens entre Arafat et Hadj Amin al-Husseini sont établis. Les discours qu’on entend, aujourd’hui encore, sur la télévision de l’Autorité Palestinienne ne sont pas toujours très différents de ceux que le Mufti tenait à Berlin en 1942 ou 1943. Ce simple rappel contribue à faire une part de lumière sur les difficultés inhérentes aux « pourparlers de paix » entre Israéliens et Palestiniens. Mais je n’entends nulle part quiconque demander à l’Autorité Palestinienne de faire amende honorable pour ses liens avec le Diable lors de son enfantement. Je n’entends personne dire qu’avant la paix, un long processus d’éducation est nécessaire, afin d’extirper des cerveaux la crasse déposée par les influences du nazisme, d’un nationalisme lui-même nazi, d’un islam antisémite et des discours d’un mufti, qui se réjouissait en songeant à la destruction des Juifs d’Europe et en rêvant à celle des Juifs du Proche-Orient.