21.3.09

Israël/ Il faut prendre Solana au sérieux



par Michel Gurfinkiel




L'Europe n'existe pas en tant que puissance. Javier Solana n'existe pas en tant que ministre européen des Affaires étrangères. Ce n'est pas une raison pour qu'Israël ne réagisse pas à une nouvelle campagne labélisée UE

« L’Union européenne serait contrainte de réévaluer ses relations avec l’Etat d’Israël si ce dernier remettait en question la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza. » C’est la menace que Javier Solana, le responsable de la politique étrangère commune de l’Union, a cru devoir proférer dimanche dernier devant quelques journalistes, à l’issue d’une rencontre avec des personnalités palestiniennes et égyptiennes.

Pour l’instant, ces propos n’engagent que leur auteur, qui lui-même ne représente pas grand chose. Faut-il le rappeler ? L’Europe actuelle – celle qui n’a pas voulu ou pu ratifier le traité constitutionnel de 2005 - n’est ni une fédération, ni même une confédération, mais un club où chaque Etat membre veille jalousement sur sa souveraineté.

Elle n’a pas d’exécutif habilité à prendre des décisions communes vis à vis du monde extérieur. Certains de ses représentants bénéficient d’un statut diplomatique ; mais il n’y a pas de diplomates européens en tant que tels, et les quelques tentatives visant à regrouper plusieurs ambassades européennes dans telle ou telle capitale extérieure, afin de pratiquer des économies d’échelle, ont toutes échouées. Sur le plan stratégique, plusieurs Etats européens se situent en dehors de l’Otan (la France vient seulement de reintégrer cette organisation). Quatre Etats – l’Irlande, la Suède, la Finlande et l’Autriche – sont officiellement « neutres », c’est à dire qu’ils refusent de participer à une politique commune de défense. Un cinquième – Chypre – se déclare toujours « non-aligné », ce qui revient à peu près au même.

En 2003, la moitié de l’Europe soutenait l’intervention américaine en Irak, et l’autre s’y opposait catégoriquement. En 2007, le président français Nicolas Sarkozy a lancé son projet d’Union pour la Méditerranée sans concertation avec les autres Etats européens et en dépit des réserves de certains d’entre eux, à commencer par l’Allemagne. Il en va de même du Moyen-Orient, de l’Iran et d’Israël. Certains pays sont actuellement favorables à l’Etat juif : l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la République tchèque, la Pologne. D’autres y sont hostiles : l’Espagne, l’Irlande. D’autres enfin, comme la France, cherchent à combiner une attitude plus ouverte à l’égard d’Israël avec le maintien de « liens traditionnels » avec le monde arabe et islamique.

Dans ce contexte, Javier Solana ne joue qu’un rôle symbolique, ou au mieux consultatif. Il dispose d’un titre, d’un cabinet, de collaborateurs. Il peut préparer des dossiers, rencontrer des chefs d’Etat ou de gouvernement, prendre position. Il est même chargé, ex officio, de suivre ce qu’il est convenu d’appeler la « feuille de route » : le « processus de paix » mis en place en 2002 sous l’égide du président américain George W. Bush. Mais il n’a ni mandat ni autorité pour formuler une politique globale de l’Union. Ou à plus forte raison pour l’appliquer.

Israël aurait cependant tort de prendre les propos de Solana a la légère. Ceux-ci expriment bien les sentiments ou les calculs d’une partie des Etats membres et de leurs opinions publiques. Et il suffirait de peu, d’élections perdues dans un ou plusieurs Etats, voire d’un changement de personnalités au sein d’un ou de plusieurs gouvernements, pour qu’un consensus anti-israélien se substitue, chez les Vingt-Sept, aux divergences actuelles. Sans le devenir en droit, l’Europe deviendrait une fédération ou une confédération en fait. Et elle disposerait d’une réelle capacité de nuisance face à l’Etat juif.

Il est facile de contrer Solana. Israël a pris des engagements envers les organisations palestiniennes, y compris celui d’un partage de la Palestine historique entre deux Etats et deux peuples. Mais ces engagements avaient leur contre-partie : d’autres engagements, de la part de ces mêmes organisations, en vue de reconnaître formellement Israël en tant qu’Etat juif et de renoncer à toute violence à son égard, y compris sous la forme du terrorisme. On sait par ailleurs - c’est là un principe fondamental du droit – que si l’une des deux parties ne remplit ses obligations, le contrat est nul et non avenu, et la partie lésée est en droit d’exiger des compensations. L’Union européenne a-t-elle averti la partie palestinienne, au cours des dernières années, que faute de s’en tenir à ses propres obligations, elle perdait ce qu’elle avait acquis, et pourrait être pénalisée ? Est-elle intervenue auprès de l’Autorité palestinienne pour mettre fin au soi-disant « culte des martyrs », c’est à dire à l’apologie du terrorisme ? Et auprès du Hamas pour qu’il cesse ses tirs de missiles contre le territoire israélien ? La réponse est non, évidemment. Sur toute la ligne.

Encore faut-il qu’Israël veuille contrer Solana, se défendre et monter au créneau. Sous le gouvernement Kadima, avec Tsipi Livni aux Affaires étrangères, ce n’était pas le cas. Un gouvernement de droite conduit par le Likoud peut-il mieux faire ? Si j’étais Israélien, je dirais qu’il en va du salut de la patrie.


© Michel Gurfinkiel & Hamodia, 2009