25.3.09

USA-Israel/ Vers le schisme ?



Les Juifs américains soutiennent de moins en moins Israël. Parce qu’ils sont de moins en moins juifs.

PAR Michel Gurfinkiel.

Dans le numéro de février de la revue conservatrice Commentary, Shmuel Rosner revient sur le paradoxe des Juifs américains, qui ont préféré à deux reprises, aux présidentielles de 2004 et 2008, des candidats démocrates au pro-israélisme tout relatif, John Kerry d’abord, qui a obtenu 74 % de leurs suffrages, Barack Obama ensuite, qui en a obtenu 77 % , à des candidats républicains ardemment pro-israéliens, George W. Bush puis John McCain.

La plupart des commentateurs expliquent ce choix aberrant par le poids de l’histoire. Jusqu’aux années 1970, les démocrates étaient dans l’ensemble favorables aux causes juives et à Israël, les républicains défavorables ou au mieux indifférents. Depuis quarante ans, les choses ont changé : les démocrates se sont peu à peu éloignés des Juifs et d’Israël, tandis que les républicains s’en rapprochaient. Mais pour la plupart des électeurs juifs, le pli était pris : démocrates, good ; républicains, bad. En outre, l’épisode George H. W. Bush, président de 1989 à 1993, n’a rien arrangé. Avec ses acolytes James Baker et Brent Scowcroft, ce dernier était en effet revenu momentanément à la ligne républicaine classique. Ce qui a brouillé l’image de son fils George W. Bush, qui incarnait un courant totalement différent du même parti.

Mais Rosner avance une autre explication. Si le pro-israélisme de Reagan et du second Bush n’a pas été pris en compte par l’électorat juif, c’est tout simplement, selon lui, parce qu’Israël a cessé d’être important aux yeux de ce dernier. Les chiffres qu’il avance heurteront certains lecteurs de Commentary, semblent difficilement réfutables.

Selon un sondage commandité en 2008 par l’une des principales organisations juives américaines, l’American Jewish Committee ou AJC, 54 % des Juifs américains voulaient que les candidats s’expriment davantage à propos de l’économie, et 3 % seulement à propos d’Israël. Ceci, à un moment où Israël était confronté à la menace nucléaire iranienne, aux bombardements du Hamas et à la reconstitution du potentiel hostile du Hezbollah au Liban. Au même moment, l’organisation juive de gauche J Street publiait un autre sondage où, à la question « quelle est selon vous la question la plus importante qui se posera au président et au Congrès après les élections », 55% des Juifs américains répondent l’économie, 33 % l’Irak, 15 % l’énergie, 12 % l’environnement et 8 % Israël.

Rosner apporte deux précisions importantes. D’abord, le taux de soutien à Israël décroît avec l’âge. Selon une troisième enquête publiée par le Hebrew Union College, le séminaire des rabbins réformés, 54 % des Juifs de plus de 65 ans affirment qu’Israël est le facteur principal dans leur choix électoral. On tombe ensuite à 39 % des Juifs âgés de 35 à 54 ans, et 29 % des Juifs âgés de moins de 35 ans.

Deuxièmement, ces chiffres s’appliquent à l’ensemble des Juifs américains. Mais pas aux orthodoxes, qui représentent 20 à 25 % d’entre eux. Dans l’ensemble, les Juifs orthodoxes ont voté républicain en 2004 et en 2008. Dans l’ensemble, ils considèrent Israël comme une priorité absolue. Et les jeunes Juifs orthodoxes sont aussi pro-israéliens que leurs aînés.

Rosner note que les Juifs orthodoxes « sont en moyenne plus jeunes que les autres Juifs, et croissent plus vite » - ce qui pourrait conduire, dans une génération ou deux, à une situation où le judaïsme américain serait globalement à droite. Mais il n’aborde pas de front la question que chacun ne peut manquer de se poser : pourquoi les Juifs non-orthodoxes – les quatre cinquièmes de Juifs américains - sont de moins en moins pro-israéliens ?

Répondons à sa place : parce que les Juifs non-orthodoxes sont de moins en moins juifs. Par définition, le judaïsme non-orthodoxe, réformé ou « conservative » (massorti), impose moins d’obligations à ses fidèles que le judaïsme orthodoxe. Par définition, il montre moins d’exigence en matière de conversion. A la première génération, cette ouverture peut apparaître comme un signe de vitalité. A la seconde, elle conduit à la création d’une communauté à l’identité incertaine, où la moitié au moins des fidèles peuvent « zapper » entre un héritage juif et un héritage non-juif. A la troisième génération, le judaïsme s'efface au profit de syncrétismes divers.

La dérive d’un judaïsme américain en voie de déjudaïsation ne se manifeste pas seulement sur le plan électoral. Elle se traduit également par une soudaine baisse de combativité pro-israélienne (notamment sur Durban II) d'organisations communautaires tenues jusqu’ici pour « inconditionnelles », notamment l'AJC. Ou par la création de lobbies juifs d’extrême-gauche ouvertement destinés à « faire pression » sur Israël en vue d’une capitulation stratégique devant le nationalisme arabo-islamique, notamment J Street. A terme, c’est bien un schisme national qui pourrait se dessiner, au delà de l’éclatement religieux.



© Michel Gurfinkiel & Hamodia, 2009