17.3.09
L'Antisémitisme musulman : un danger clair et actuel
par Professeur Robert S. Wistrich
May 23, 2002 - Dans l'extrait qui va suivre, Robert S. Wistrich, professeur à l'Université Hébraïque de Jérusalem, où il enseigne l'histoire moderne européenne et juive, démontre, documents à l'appui, le courant antisémite qui s'est « enraciné dans le corps même de la vie politique de l'Islam avec une virulence encore jamais atteinte à ce jour. » Travestis dans une rhétorique islamiste, les symboles de l'antisémitisme européen sont revenus à la surface avec, dans son sillage, les clichés qui ont caractérisé le fascisme des années 30 et 40:
* Théories du complot international pour une hégémonie juive
* Accusations relatives à la consommation de sang humain dans le rituel religieux et autres fantaisies concernant des actes d'empoisonnement
* Diabolisation des Juifs en les comparant aux Nazis
* Rhétorique à propos du génocide et autres incitations à la violence
Le but poursuivi ne vise pas simplement la délégitimation de l'état d'Israël, mais encore la déshumanisation des Juifs et du Judaïsme.
Ce rapport a été commandité et diffusé par le Comité Juif Américain afin d'alerter et de sensibiliser le public aux dangers que représente l'antisémitisme musulman. Le rapport complet avec notes d'accompagnement et illustrations est disponible auprès de l'American Jewish Committee, 165 E. 56th Street, New York, NY 10022, ou téléchargé du site www.ajc.org.
L'argument défendu dans certains milieux est le suivant : les Arabes étant des sémites, ils ne peuvent donc pas être accusés d'antisémitisme. Cet argument est aussi absurde, fallacieux que désarmant, et cela pour plusieurs raisons. Tout d'abord le concept de " sémite " fait référence à une classification linguistique et non pas à une classification raciale ou nationale. Etre sémite c'est appartenir à la famille des langues sémitiques qui englobe l'hébreu, l'arabe et l'araméen. En second lieu, le terme « antisémitisme » a été imaginé en Allemagne en 1879 par Wilhem Marr et n'a jamais concerné les Arabes. Il visait clairement et exclusivement les Juifs afin de lutter contre leur émancipation. Sa coloration manifestement raciste était en fait un substitut pseudo-scientifique pour désigner la haine traditionnellement réservée aux Juifs religieux.
Troisièmement, Hitler et les Nazis étaient plus que ravis d'inviter à Berlin en guerre, comme hôte d'honneur et allié, le grand mufti de Jérusalem et leader du mouvement nationaliste arabe palestinien, Haj Amin al-Husseini, alors même qu'ils mettaient en œuvre leur programme d'extermination massive de la population juive d'Europe. Le fait que Al-Husseini appartenait à la branche arabophone de la famille des langues " sémites " n'a pas empêché Heinrich Himmler, le cruel chef des SS, de souhaiter au grand mufti tout le succès possible dans son combat "contre le Juif étranger".
Il n'est pas nécessaire de rappeler ici la part active prise par le monde arabo-musulman ou palestinien dans l'entreprise de judéophobie menée par les nazis et qui va aboutir au génocide. Les attitudes profondément hostiles à l'égard des Juifs restent des actions antisémites même si elles sont exprimées en arabe, par des Arabes. Ainsi par exemple, Les Protocoles des Sages de Sion est un produit fin de siècle, typique de l'antisémitisme russe et européen, ayant pour origine une tradition historique et culturelle à l'évidence distincte de celle des Musulmans arabes. Mais lorsque cet ouvrage est publié, édition après édition, à travers le monde Arabe, il perd son caractère original européen pour devenir partie prenante de la pensée arabe. Son attrait séduit d'autant plus de nombreux Musulmans et Arabes que pour beaucoup d'entre eux, le Juif est perçu comme appartenant à une force occulte et omnipotente tel qu'il est décrit dans « Les Protocoles » et qu'ils perçoivent encore comme « un pamphlet sioniste pour la conquête du monde. » Dans le même temps, le spectre d'une conspiration aussi satanique que puissante, participe au soulagement du traumatisme psychologique subi par les Arabes et de l'humiliation ressentie après les défaites successives infligées par Israël et par les pays de l'Ouest. Il y a quelque mois seulement, les Protocoles a fait l'objet d'une série de 30 épisodes pour la radio et télévision Arabe, réalisée en Egypte, avec un budget de plusieurs millions de dollars et une distribution de 400 interprètes. Selon un important hebdomadaire égyptien, les téléspectateurs arabes ont pu enfin être exposés à la stratégie centrale "qui à ce jour domine la politique, les aspirations politiques et raciste d'Israël."
Les intellectuels arabes et les antisionistes occidentaux, malgré les réfutations et les preuves apportées, continuent à nier l'existence d'un antisémitisme « sémite ». Ils prétendent que la littérature spécialisée fait souvent une distinction nette entre Juifs et Sionistes. En réalité cela a été rarement le cas même par le passé. Et quand bien m& ecirc;me une telle différentiation a pu, à un certain moment exister, elle a été pratiquement effacée entièrement. Depuis plus de cinquante ans, le terme de "Juifs" (Yahûd) a en fait été confondu ou utilisé de manière interchangeable avec celui de "sionistes" (Sahyûniyyûn), "Israéliens" ou encore d'"enfants d'Israël" (Banû Isrâîl). Cette littérature et les réflexions véhémentement antisémites qu'elle véhicule, est toujours présente dans les media et dans la presse écrite ou audiovisuelle. Elle a complètement envahi la pensée de ceux qui, parmi la minorité Arabe, ont essayé de faire une différence entre Juifs et sionistes.
Ce flot continu d'images virulentes, sonores et visuelles s'étend du Maroc jusqu'aux pays du Golfe et à l'Iran. Il est aussi puissant dans un pays qui se prétend "modéré" comme l'Égypte que dans des nations arabes ouvertement hostiles comme l'Irak, la Libye et la Syrie. Les Juifs sont présentés dans les bandes dessinées arabes comme des démons et des assassins ; ils sont dépeints comme un peuple odieux, haïssable, qu'il faut craindre et éviter. Ils sont perçus comme étant à l'origine de tout mal et de toute corruption, comme les auteurs d'une sombre et implacable conspiration pour infiltrer et anéantir la société musulmane afin de prendre un jour le contrôle du monde.
La distorsion visuelle la plus courante du Juif consiste à le représenter comme un homme courbé, basané, barbu, revêtu d'une robe noire, avec un long nez crochu et un aspect diabolique - le type de stéréotype hideux vulgarisé par la propagande diffusée dans le torchon nazi Der Stürmer. Le judaïsme lui même est présenté comme une religion sinistre et immorale, fondée sur des cabales et des rites sanglants, tandis que les Sionistes sont assimilés systématiquement à des racistes criminels ou à des Nazis. Le but recherché n'est pas simplement de délégitimer moralement Israël en tant qu'état Juif et comme entité nationale au Moyen-Orient, mais de déshumaniser le Judaïsme et le peuple juif en tant que tels. Aucun observateur objectif, même modérément familier avec cette cascade de haine qui atteint ces derniers temps des sommets dans la diffamation, ne peut mettre en doute son caractère profondément antisémite.
Le piètre prétexte "antisioniste" de cette presse de caniveau est franchement une insulte à l'intelligence de tout individu décent. La thèse centrale qui affirme qu'Israël doit être effacé de la carte du monde ne représente pas seulement un axiome du fondamentalisme musulman : elle est largement partagée par la plupart des nationalistes arabes et palestiniens, ainsi que par la majorité des Arabes de la rue. L'antisémitisme est devenu en fait une partie intégrante et organique de cette culture arabo-musulmane de la haine - un instrument puissant d'incitation à la violence, à la terreur et à la manipulation politique.
La persistance, le caractère monolithique et la profondeur de cette haine ne doivent pas nous faire oublier pour autant que, historiquement parlant, l'antisémitisme reste un phénomène relativement récent dans la culture arabe, et de l'univers musulman en particulier. Ce sentiment de haine n'a jamais occupé une place centrale dans le monde islamique traditionnel. Mais, comme nous le verrons plus loin, les prémisses de ces attitudes anti-juives qui ont fleuri à notre époque ont pour origine certains textes du Coran et plus près de nous, toute une littérature Islamique.
Les relations judéo-musulmanes à travers l'histoire : pas toujours « dorées »
Les Juifs et les Musulmans ont coexisté sans discontinuité depuis l'émergence de l'Islam au septième siècle de l'ère chrétienne. Il y a eu des périodes de tolérance relative durant lesquelles les juifs ont pu prospérer intellectuellement et économiquement de façon significative et exercer une influence politique certaine au sein des gouvernements islamiques. En réalité, et plus souvent qu'on ne le croit, le sort des Juifs n'a pas été toujours enviable. Du Maroc jusqu'en Perse, ils ont subi misères et humiliations, insécurité et violences populaires. Cette période d'adversité, aux onzième et douzième siècles, a amené un des plus célèbres philosophes Juifs du Moyen Age, Maimonide, à s'adresser non sans amertume à la « nation d'Ismaël» qui nous persécute cruellement et qui met en place tous les moyens de nous nuire et de nous avilir. » En fait, l'« Age d'Or » des Juifs sépharades qui a coïncidé avec l'apogée de la civilisation de l'Islam au Moyen Age n'a pas été sans provoquer envie et hostilité parmi les Musulmans face à l'influence croissante des Juifs et à leurs succès socio-économiques notables.
Le statut légal des Juifs et des Chrétiens sous domination Islamique dans l'ère prémoderne, était essentiellement celui de dhimmi ("peuple protégé"), dont les religions étaient officiellement reconnues par les autorités (en place). En s'acquittant d'une taxe (jîzya), il pouvaient exercer librement leur religion, jouir d'un certain degré de sécurité personnelle, et fonder leurs propres organisations communautaires. Mais la protection accordée aux "peuples du Livre" (ahl al-kitab) était accompagnée d'une forme d'assujettissement. La "tolérance" dont ils bénéficiaient était limitée à l'intérieur d'un cadre social étroit qu'ils ne pouvaient transgresser ; discriminations et interdits soulignaient constamment la supériorité et la préséance des Musulmans sur les Juifs et les Chrétiens.
Il était interdit aux Juifs de porter des armes, par exemple, ou de monter à cheval. Ils étaient en outre, astreints au port d'un vêtement distinctif (la rouelle jaune a été inventée à Bagdad et non pas dans l'Europe du Moyen Age). De plus, ils ne pouvaient pas construire de nouveaux lieux de culte.
Dans des pays plus éloignés comme le Maroc, l'Iran et le Yémen, les Juifs avaient subi des humiliations, été maltraités physiquement et méprisés. Les restrictions liées au statut de dhimmi ont été renforcées et appliquées avec plus de rigueur encore. Les émeutes accompagnées de pillage et de meurtres dirigées contre la population juive étaient plus fréquents dans ces contrées périphériques et cela jusqu'à l'aube du vingtième siècle. D'autres régions d'Afrique du Nord connurent des épisodes tragiques durant le dix-neuvième siècle et à des intervalles assez réguliers. A la même époque est apparu le pamphlet diffamatoire accusant les Juifs d'utiliser le sang d'enfants pour leurs rituels. Cette monstrueuse calomnie qui avait fleuri parmi les communautés grecques orthodoxes sous l'empire Ottoman, a eu pour conséquence le déferlement de pogroms à Smyrne (1872) puis à Constantinople deux ans plus tard. D'autres accusations de meurtre rituel commis par les Juifs avaient été déjà enregistrées à Beyrouth en 1824, à Antioche (1826), à Hama (1829) a Damas en 1840 (la sordide affaire de Damas).
Il faut dire toutefois que le sort des Juifs soumis au statut de dhimmi, malgré toutes ses conséquences douloureuses, était, somme toute, plus enviable que celui de leurs coreligionnaires vivant en terres chrétiennes. Plus sûrs et plus confiants en eux-mêmes les Musulmans de l'époque médiévale n'éprouvaient pas la même obsession qui habitait leurs homologues chrétiens qui refusaient de reconnaître le Judaïsme en tant que religion.
Néanmoins l'image du Juif véhiculée par le Coran, si radicalisée et exacerbée dans la littérature islamique contemporaine, est loin d'être inoffensive. Le Coran contient des passages très durs dans lesquels Mahomet stigmatise les Juifs comme étant les ennemis de l'Islam et les dépeint comme possédant un esprit rebelle et malveillant. Les Juifs devaient être humiliés "parce qu'ils n'ont pas cru aux signes de Dieu, qu'ils avaient mis à mort, à tort, les Prophètes" (Sourate 2:61/58).
Le Coran met l'accent tout particulièrement sur le fait que les Juifs ont rejeté Mahomet alors même (selon des sources musulmanes) qu'ils reconnaissaient sa qualité de Prophète, par jalousie et par dépit, sous prétexte qu'il n'était pas Juif. Ce comportement est présent encore aujourd'hui, comme la preuve du caractère fourbe, perfide et intrigant du Juif tel qu'il est décrit dans le Coran.
La notion selon laquelle les Juifs sont, par exemple, des "falsificateurs arrogants", ourdant sans cesse de nouveaux complots intrigant pour semer la discorde, créer des conflits et des divisions au sein de la communauté musulmane est considérée comme une évidence en parfaite conformité avec l'enseignement coranique. Seule une adhésion sans faille aux vraies valeurs Islamiques pourra préserver les Musulmans de la terrible menace que représente l'infiltration impérialiste, judéo-sioniste et occidentale, péril prétendument anticipé et répété dans les textes sacrés du Coran. C'est le message central du pamphlet de Sayyid Qutb "Notre combat contre les Juifs", écrit au milieu des années 1950 par un des leaders Egyptien de l'idéologie musulmane et qui a grandement influencé la doctrine fondamentaliste contemporaine.
Selon Qutb, les Juifs et le Sionisme sont l'incarnation du point névralgique de la crise que traverse la civilisation islamique, encore amplifiée par les craintes et les faiblesses ressenties, face aux dangers de la modernité laïque, le laxisme sexuel et la puissance envahissante de la culture de masse américaine.
Théories du complot : Les Protocoles et les calomnies de crimes rituels dans l'affabulation islamique
La judéophobie islamique de Qutb, comme celle de ses adeptes fondamentalistes, s'est amalgamée tout naturellement à bien de thèmes propres au vingtième siècle, prônant un antisémitisme raciste et politique issu de sources occidentales. Au premier plan de ces emprunts européens figure Les Protocoles des Sages de Sion, qui veut démontrer la responsabilité historique des Juifs dans leur conspiration satanique destinée à dominer le monde. Le communisme, la franc-maçonnerie, le sionisme et l'État d'Israël ne sont que les instruments de ce complot diabolique ourdi par les Juifs. L'attrait des « Protocoles » auprès des Musulmans crédules n'a fait que croître et embellir après chaque défaite des armées arabes contre Israël. La théorie du complot antisémite constitue, par ailleurs, un des traits dominants de la Charte du Hamas Palestinien de 1988 dont l'article 32 stipule:
Pour les sionistes, les intrigues n'ont pas de fin, et après la Palestine, ils viseront l'expansion des territoires s'étendant du Nil à l'Euphrate. Lorsqu'ils auront complètement absorbé les régions dont ils se sont emparés, ils prépareront de nouvelles annexions, etc. Leur projet est clairement exposé dans Les Protocoles des Sages de Sion et leurs agissements actuels en sont la meilleure des preuves.
Les Juifs sont ouvertement accusés par le Hamas (Mouvement de résistance islamique) d'avoir la main-mise sur la richesse du monde, les mass-médias, d'avoir fomenté les Révolutions française et russe ainsi que les deux guerres mondiales, afin de promouvoir avec cynisme les objectifs sionistes. Ils sont accusés également d'avoir fondé des organisations clandestines (telles que le Rotary, le Lions Clubs, la franc-maçonnerie, etc.) à des fins d'espionnage et de subversion. Les Juifs, affirme encore la charte du Hamas, ont éliminé délibérément le califat islamique pour créer ensuite, la Ligue des Nations autour des années 1920 "afin de régner sur le monde par son intermédiaire".
Le Hamas, une branche de l'Autorité palestinienne, était à l'origine une organisation égyptienne liée aux Frères Musulmans. Il ne fait pratiquement aucune distinction entre Sionistes et Juifs dans ses tracts odieusement agressifs. De manière très caractéristique les publications du Hamas évoquent la conquête par Mahomet, en l'an 628, de Khaïbar -- une oasis de la péninsule arabique -- où les "perfides" Juifs furent éliminés par le Prophète. Le Hamas utilise ce fait historique comme une action inspirée et une invitation à mener une guerre pour la destruction d'Israël.
Une idéologie tout aussi radicale anime le mouvement Shiite libanais, le Hezbollah (« le Parti de Dieu »), dont le rôle s'est affirmé lors de sa résistance à l'invasion israélienne du Liban en 1982. Sa négation totale de l'existence d'Israël et sa perception du Judaïsme comme l'ennemi le plus ancien et le plus implacable de l'Islam, s'inspirent en grande partie des prédications « antisionistes » de l'ayatollah Khomeini ainsi que des rapports symbiotiques du Hezbollah avec la République Islamique d'Iran. En conformité avec cette source doctrinale d'inspiration, le Hezbollah s'oppose au nationalisme, à l'impérialisme et à « l'arrogance occidentale », tout en mettant l'accent sur la libération de la Palestine et de Jérusalem comme objectif stratégique majeur.
Les médias occidentaux, comme à l'accoutumée, ont été extrêmement réticents à relier la guerre terroriste menée actuellement contre Israël et l'Occident à ses racines idéologiques ancrées dans l'Islam ou aux sources et à la signification du djihad. Ils sont tout aussi peu disposés à faire le lien entre le terrorisme et les obsessions anti-juives qui animent aujourd'hui des millions de Musulmans. Le peu d'attention accordée à l'abondance, à l'énergie et à la virulence même de l'antisémitisme musulman contemporain, qui se manifeste depuis le Caire et Gaza, jusqu'à Damas, Bagdad, Téhéran et Lahore, est stupéfiant. Au mieux, le considère-t-on comme un détail subordonné à la violente tempête d'anti-américanisme ou comme une forme d'« opposition politique » aux actions d'Israël. Les véhémentes affirmations arabes selon lesquelles la Shoah aurait été inventée de toutes pièces par les Sionistes et les Juifs (et qui attirent beaucoup d'attention dans les médias européens lorsqu'elles émanent de néo-nazis ou d'extrémistes de droite), n'ont pas même provoqué de tièdes réactions en Occident.
On ne s'est pas davantage ému des divagations antisémites de l'actuel ministre syrien de la défense, Mustafa Tlas (en poste depuis 1972 !) qui, depuis des années, relance avec une détermination zélée, l'accusation moyenâgeuse selon laquelle les Juifs consomment le sang d'enfants non-juifs. Dans la préface de son livre devenu désormais un « classique », Le pain azyme de Sion, publié pour la première fois en 1983, Tlas écrit :
Le Juif peut vous tuer et prendre votre sang pour fabriquer son pain sioniste. Ici s'ouvre devant nous une page plus horrible encore que le crime lui-même : les croyances religieuses des Juifs et les perversions qui y sont contenues, qui tirent leur orientation d'une sombre haine envers tout le genre humain et toutes les religions.
Cette rhétorique déshumanisante et délirante, qui s'exprime aujourd'hui dans d'innombrables variations à travers une bonne partie de la culture arabo-musulmane, est en train de contaminer lentement mais sûrement d'autres parties du monde. La mal nommée « conférence contre le racisme » de Durban en Afrique du Sud (qui s'est achevée seulement quarante-huit heures avant l'attaque terroriste du World Trade Center à New York), en offre un exemple notoire. Les organisations non gouvernementales (ONG) réunies à Durban ont produit le document probablement le plus ouvertement antisémite jamais émis par aucune assemblée internationale depuis 1945. Menées par des organisations arabes, palestiniennes et musulmanes, elles accusèrent à plusieurs reprises Israël de génocide envers le peuple palestinien, de pratiquer la purification ethnique et d'être un pur « Etat raciste d'apartheid ». Ce qui est appelé la « Catastrophe » palestinienne perpétrée par Israël, fut qualifiée de « troisième holocauste » par le forum des ONG réunies à Durban. Un paragraphe clé condamnant l'antisémitisme fut délibérément supprimé des débats, mais dans un artifice de pur double sens orwellien, « les pratiques sionistes contre le sémitisme » furent élevées au rang d'expression majeure du racisme contemporain.
L'exemple peut-être le plus éloquent de cette orgie de haine, fut un tract affiché au Palais des expositions de Durban, présentant un portrait d'Adolf Hitler avec la légende « Si j'avais gagné la guerre, il n'y aurait pas eu ... de sang palestinien versé ».
Le « fascisme islamique » : d'inquiétants parallèles à la lumière du 11 septembre
La référence à Hitler nous ramène aux parallèles indéniables qui existent entre le nazisme et ce que j'ai appelé ailleurs le « fascisme islamique » - des similitudes qui se sont révélées particulièrement évidentes suite à l'attaque des Tours Jumelles du 11 septembre 2001.
Les terroristes islamiques qui ont perpétré les attaques de septembre, usent, à l'instar des nazis et des fascistes d'il y a soixante ans, d'un langage de haine inextinguible, non seulement envers l'Amérique et l'Occident, mais également envers Israël et le peuple juif. Ces radicaux musulmans ont consciemment opté pour un culte de la mort, transformant le motif du sacrifice et du martyre en quelque chose d'urgent, d'élémentaire, de pseudo-religieux, voire de mystique. Si leur bible est le Coran et non Mein Kampf, la structure mentale et la vision du monde qui sous-tendent leurs actions, présentent des analogies saisissantes avec le National socialisme allemand.
Les fondamentalistes musulmans - comme les nazis avant et pendant la Shoah - vocifèrent contre les « pouvoirs anonymes » de la globalisation et de l'Occident ploutocratique (symbolisé par le World Trade Center et la ville de New York). Comme leurs prédécesseurs totalitaires, ils prétendent (de manière mensongère) parler au nom des masses laissées pour compte, frustrées et appauvries, trahies par les élites traditionnelles dirigeantes arabo-musulmanes et durement exploitées par le capitalisme international. Pour les Musulmans radicaux, la ville « juive » de New York est, tout autant que l'Etat sioniste d'Israël, l'incarnation d'un mal satanique, tout comme Wall Street représentait, pour les nazis et autres fascistes convaincus d'avant-guerre, le siège de la perversité organisée et du Judaïsme cosmopolite.
Les théories antisémites du complot se trouvent au cœur même de la vision actuelle du monde des fondamentalistes musulmans et des nationalistes arabes. Elles associent la finance ploutocratique, la franc-maçonnerie internationale, la laïcité, le sionisme et le communisme, comme autant de forces obscures et occultes, conduites par la pieuvre géante du Judaïsme international, et dont le soi-disant dessein serait de détruire l'Islam et de corrompre l'identité culturelle des croyants musulmans.
Cette structure mythique de pensée est à de nombreux égards, de fait, identique à l'antisémitisme nazi, en dépit du processus d'« islamisation » qu'elle a subi et à ses références à des versets du Coran pour justifier les monstrueux actes terroristes. L'Islam fondamentaliste comprend la même aspiration totalitaire et pseudo-messianique à l'hégémonie mondiale que le nazisme allemand ou que le communisme soviétique. Il utilise aussi un discours latent et parfois explicitement génocidaire dans ses assauts contre la civilisation des " Croisés juifs ", qui éveille des échos alarmants du passé. Les terroristes du djihad sont voués à la violence, résolument déterminés à une confrontation totale avec les infidèles dans les politiques jusqu'auboutistes de la victoire ou de la mort, et adoptent une vision enracinée dans une polarisation manichéenne entre les forces de la lumière et de l'obscurité.
La joie avec laquelle les attaques terroristes du 11 septembre contre les Etats-Unis furent accueillies dans de nombreuses régions du monde arabe, y compris dans les territoires sous l'Autorité palestinienne, témoigne de cette vision du monde. C'est ainsi que le mufti de Jérusalem, dans son sermon du vendredi à la mosquée Al-Aqsa, appela ouvertement à la destruction d'Israël, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis :
Ô Allah, détruis l'Amérique, car elle est dirigée par les Juifs sionistes... Allah peindra la Maison Blanche en noir!
L'actuelle vague d'attentats suicides musulmans, d'israélophobie et de terrorisme, semble jouir d'un écho massif auprès de la plupart des Palestiniens et d'un grand nombre d'Arabes et de Musulmans. L'antisémitisme islamique s'est également répandu avec une rapidité effrayante parmi les immigrés musulmans et arabes dans les démocraties occidentales. Ces immigrés sont déjà porteurs du bagage antisémite de leurs pays et de leur culture d'origine, exacerbé par la couverture médiatique intensive du conflit au Moyen Orient. En septembre et octobre 2000, cela s'est traduit par une augmentation alarmante des attaques antisémites commises par des Arabes ou des Musulmans contre des communautés juives de la Diaspora, en particulier en Europe - notamment des incendies de synagogues, des profanations de cimetières, des agressions physiques, des lettres piégées et des attaques verbales particulièrement intimidantes.
Mais tout aussi rapidement, à travers la société arabo-musulmane, la responsabilité des attaques terroristes et des attaques à l'anthrax, fut fermement imputée aux sionistes, au gouvernement israélien et au Mossad. L'ambassadeur de Syrie à Téhéran déclarait que, de source sûre, les « Israéliens ont été impliqués dans ces incidents puisque aucun employé Juif n'était présent dans le bâtiment du World Trade Center ce jour-là ». Selon le quotidien gouvernemental syrien Al Thawra, le Premier Ministre israélien, Ariel Sharon, cherchait ainsi à détourner l'attention de ses plans d'agressions contre les Palestiniens.
Les théories anti-israéliennes et antisémites du complot qui se sont répandues dans le monde arabo-musulman depuis le 11 septembre, ne sont pas nouvelles en soi. Mais elles révèlent un mélange explosif d'anti-occidentalisme, de fanatisme idéologique, de haine brute et d'irrationalité qui sous-tend un courant significatif de la pensée musulmane contemporaine. L'attitude à l'égard des Juifs, de par son langage virulent et l'accent mis sur des « solutions radicales », évoquent de façon troublante les années 1930 et 1940. Comme nous l'avons vu, les stéréotypes antisémites, sont aussi courants en Jordanie et en Egypte qui ont signé des traités de paix avec Israël, qu'en Syrie, dans les territoires de l'Autorité palestinienne, en Arabie Saoudite ou dans les autres Etats du Golf.
Israël comme « abstraction diabolique »
Selon le schéma défendu actuellement dans le monde arabe, Israël représente non seulement une autre facette du racisme européen ou du nazisme, mais également un " double nazisme ". Pour citer cet autre moraliste politique notoire, le président Assad de Syrie, Israël est « plus raciste que les nazis ». Fiamma Nirenstein a clairement résumé cet état de faits :
Israël a été transformé en un concept qui relève à peine de l'ordre d 'une abstraction diabolique, et certainement pas d'un pays, mais d'une force maligne rassemblant tous les attributs négatifs possibles - agresseur, usurpateur, pécheur, occupant, corrupteur, infidèle, meurtrier, barbare.
Ce tableau effrayant de l'Etat juif, présenté comme incarnation d'un mal envahissant, encourage naturellement la thèse selon laquelle il y a lieu d'éliminer tous les Juifs d'Israël. Sur un terrain si bien fécondé par la démonologie, le culte du martyre prospère facilement et perd ses dernières inhibitions morales.
Un élément central de l'antisémitisme antisioniste arabe a été, et reste, le refus catégorique d'accepter le droit à l'existence et la légitimité morale d'Israël. Ce parti pris fondamental a été exacerbé par une éducation inlassablement dirigée vers la haine d'Israël et des Juifs. Dans cette propagande, Israël est le bouc émissaire pour l'incapacité continue des Arabes à réaliser une unité politique, un développement économique ou d'autres objectifs nationaux. La frustration de ne pas parvenir à une modernisation réussie, s'est transformée en rage contre les Juifs et l'Etat juif, en tant qu'" agent de l'impérialisme occidental, de la globalisation et d'une culture moderniste envahissante dans la région ".
Mais certains dirigeants arabes, tels que Saddam Hussein, sont allés beaucoup plus loin dans leur rhétorique et leurs actions. Ils parlent de l'« entité sioniste » non seulement comme d'un « implant » étranger et artificiel, mais aussi comme d'une « pieuvre » multitentaculaire, d'un " cancer mortel " ou d'un " virus du sida " qu'il s'agit d'éradiquer totalement. Durant l'année écoulée, de telles déclarations appelant à la destruction d'Israël, ont été maintes fois prononcées, aussi bien par les nationalistes laïques panarabes du Parti baasiste au pouvoir en Irak, que par les ayatollahs en Iran. Pour Saddam Hussein, comme pour les fondamentalistes musulmans, « la Palestine est arabe et doit être libérée du fleuve jusqu'à la mer, et tous les sionistes qui ont émigré vers la terre de Palestine doivent partir ».
L'antisémitisme arabo-musulman comporte, certes, un aspect politique virulent qui découle de l'intensité du conflit israélo-arabe. Mais la dimension territoriale palestinienne ne doit pas nous faire oublier que l'antisémitisme possède une dynamique autonome qui lui est propre. Il existe une structure distincte et sous-jacente à l'idéologie antisémite arabo-musulmane, au-delà des circonstances politiques du moment, de la propagande gouvernementale, du conflit territorial avec Israël et de l'instrumentalisation de stéréotypes et symboles anti-juifs importés de l'Occident.
La négation de la Shoah
Même s'ils en ont « islamisé » le langage, les antisémites arabo-musulmans ont repris ces dernières décennies les symboles et les expressions de l'antisémitisme européen. Un exemple particulièrement significatif est celui de la négation de la Shoah. On relève une tendance croissante dans le monde arabe, à croire que les Juifs ont consciemment inventé le " mensonge d'Auschwitz ", le " canular " de leur propre extermination, dans le cadre d'un véritable plan diabolique visant à accéder à la domination du monde. Dans ce scénario supermachiavélique, l'archétype satanique du Juif conspirateur - auteur et bénéficiaire du plus grand " mythe " du vingtième siècle - atteint une apothéose macabre et singulière.
Pour les Arabes, l'un des attraits de la négation de la Shoah réside visiblement dans le fait qu'elle ébranle radicalement les fondements moraux de l'Etat d'Israël. Les premiers signes du « révisionnisme » moyen-oriental s'étaient en fait déjà manifestés dans les années 1980. En 1983, Mahmoud Abbas (plus connu aujourd'hui sous le nom de Abu Mazen), qui se révéla par la suite être, au sein de l'OLP, le principal architecte des accords d'Oslo, est l'auteur d'un livre négationniste intitulé : L'autre face : les rapports secrets entre le nazisme et le mouvement sioniste. Il y prétend que le nombre de victimes juives de la Shoah « fut même inférieur a un million ».
En Iran également, une forme embryonnaire de négationnisme existait déjà au début des années 1980, avec des caricatures s'apparentant au Stürmer du « Juif talmudique », la promotion obsessionnelle du mythe des Protocoles et des appels répétés à l'éradication du cancer sioniste de la face de la terre. Sur une telle toile de fond, il n'est pas surprenant d'entendre l'actuel dirigeant de l'Iran, l'ayatollah Ali Khameini, déclarer récemment :
Il existe des preuves qui démontrent que les sionistes avaient des liens étroits avec les nazis d'Allemagne et qu'ils ont exagéré les statistiques relatives au nombre de Juifs tués. Il existe même des preuves qu'un grand nombre de hooligans et de voyous non-juifs d'Europe de l'Est furent forcés d'émigrer vers la Palestine en se faisant passer pour des Juifs.... afin d'établir, sous l'apparence d'un soutien aux victimes du racisme, un Etat anti-islamique au cœur du monde islamique.
Pour ne pas être en reste, le mufti de Jérusalem, Cheikh Ikrima Sabri, déclarait en mars 2000 au New York Times :
Nous pensons que le chiffre de six millions est exagéré. Les Juifs exploitent cette question de plusieurs manières, en faisant notamment un chantage financier aux Allemands... L'Holocauste protège Israël.
Les antisémites arabes assimilent invariablement l'histoire de la Shoah à un « complot sioniste destiné à égarer le monde ». Selon le quotidien égyptien Al-Akhbar, « ceci fut conçu dans le but de motiver les Juifs à émigrer vers Israël, d'exercer un chantage sur les Allemands pour obtenir de l'argent et de gagner le soutien du monde en faveur des Juifs ».
Dans ces milieux, l'Etat juif est considéré comme existant et prospérant avant tout grâce au « mensonge de l'Holocauste », lequel, selon l'écrivain et politicien libanais Isaam Naaman, constitue « la colle qui maintient les Juifs ensemble ».
D'autres, comme Mahmoud Al-Khatib, qui écrit dans le journal jordanien Al-Arab Al Yom, s'inspirent davantage des révisionnistes occidentaux lorsqu'ils prétendent, de manière mensongère, qu'il n'existe « pas de preuve » de la Shoah au-delà des « témoignages contradictoires de quelques 'survivants' juifs ». Selon Al-Khatib, Hitler aurait tout au plus assassiné quelque 300'000 Juifs, et il les aurait tués non pas parce qu'ils étaient juifs, « mais plutôt parce qu'ils avaient trahi l'Allemagne ».
Cependant, le révisionniste européen le plus fréquemment cité comme source par les négationnistes arabes, est l'intellectuel de gauche français (et converti à l'Islam) Roger Garaudy. De fait, le procès et la condamnation pour négationnisme de cet auteur, en 1998 en France, sont de nature à en faire un héros dans une grande partie du Moyen-Orient.